A Petrkov, la naissance d’un centre culturel tchéco-français dans la résidence du couple Renaud & Reynek
Fin mai, l'Etat tchèque est devenu propriétaire de l'ancienne résidence du couple artistique tchéco-français Suzanne Renaud et Bohuslav Reynek. Situé dans la région de Vysočina, dans le petit village de Petrkov, à quelque 120 km de Prague, la résidence abritera, après rénovation, un centre culturel tchéco-français. Elle sera partiellement ouverte au public dès cet été.
Lieu important des cultures tchèque et française, le domaine de Petrkov a été racheté par le ministère de la Culture pour 18 millions de couronnes (environ 683 000 euros). La famille a mis en vente le complexe en mai 2020. Une pétition intitulée Sauvez Petrkov ! a ensuite recueilli près de 2 000 signatures pour éviter qu’il ne soit racheté par des investisseurs privés. C’est dans cette demeure qu’a résidé jusqu’à sa mort en 1971 le poète, graveur et traducteur Bohuslav Reynek, avec son épouse française Suzanne Renaud (1889-1964), poète et traductrice originaire de Grenoble, ainsi que leurs fils Daniel et Jiří, disparus tous les deux en 2014.
« Peu de lieux ont autant influencé la culture tchèque au XXe siècle comme Petrkov », avait indiqué le ministre tchèque de la Culture, au printemps dernier, lors de la présentation du projet de nationalisation de la propriété, que les héritiers ne pouvaient entretenir.
La résidence de Petrkov est désormais gérée par le Musée de la littérature tchèque. Sous sa houlette, un Centre culturel tchéco-français y voit le jour. Il est dirigé par Lucie Tučková, auteure d’une remarquable biographie de Suzanne Renaud parue en 2014. Nous avons accueilli Lucie Tučková dans nos studios pour qu’elle nous présente Petrkov, devenu pour plusieurs générations un lieu de rencontre, de conversations amicales et de liberté artistique, un lieu d’attache aussi entre la France et la République tchèque.
« La maison de Petrkov est un petit château baroque transformé en ferme agricole. C’est une vaste demeure, entourée d’un grand jardin. Elle a beaucoup de charme. C’est là-bas que Bohuslav Reynek a créé ses gravures les plus connues et écrit ses poèmes, c’est également à Petrkov où son fils Daniel réalisait ses fameuses photographies et où vivait Suzanne Renaud, elle aussi très influencée par ce milieu qui l’a inspirée pour de nombreux poèmes. »
Quand l’ancienne résidence des Reynek à Petrkov accueillera-t-elle le centre culturel tchéco-français ? Est-elle déjà accessible au public ?
« Il faut souligner que la maison nécessite d’importants travaux de rénovation. Par exemple, le grenier devrait être refait de façon à ce que nous puissions y organiser des ateliers de création destinés aux étudiants et y exposer leurs œuvres. Les travaux d’aménagement permettront également de valoriser le jardin et les alentours de la maison (le complexe comporte des bâtiments agricoles, des champs, une forêt et deux étangs, ndlr). »
« Pour l’instant, le Musée de la littérature tchèque ne prévoit que des événements ponctuels à Petrkov dont certains auront lieu cet été déjà. Même pendant la rénovation du bâtiment qui se déroulera sur plusieurs années, nous voulons y organiser des rencontres et expositions, ainsi que des ateliers pour enfants par exemple. »
« Pour les grandes vacances, nous avons préparé un programme culturel intitulé ‘Un été à Petrkov’. Une partie seulement de la résidence sera accessible aux visiteurs, avec notamment une exposition de photographies de František Nárovec qui s’appelle ‘Les Reynek à Petrkov’, ainsi qu’une exposition préparée par le Musée de la littérature tchèque. Les deux expositions auront lieu partiellement dans le jardin. »
Quels sont vos projets d’avenir ?
« Nous voulons maintenir la tradition des Reynek. La maison a toujours été ouverte aux visiteurs, elle était un lieu de rencontres et de vie. Elle accueillait les collaborateurs de Bohuslav Reynek et de Suzanne Renaud : des éditeurs, des poètes, des écrivains. Après 1948, Susanne Renaud y recevait ses amis français : leurs visites étaient certes plutôt rares, mais très attendues de sa part. Nous voulons renouer avec cette tradition de portes ouvertes, en organisant des rencontres d’étudiants et d’universitaires, des spectacles, soirées littéraires, concerts et rencontres autour de la musique classique, mais aussi par exemple autour de la botanique qui était une véritable passion des Reynek. Nous le voyons clairement chez Jiří Reynek, appelé Michel en France : dans ses traductions de l’œuvre de Francis Jammes et plus encore d’Henri Pourrat, il apparaît comme un grand expert en botanique et en zoologie. »
Pour cela aussi, vous profiterez sans doute du grand jardin un peu sauvage qui entoure la résidence…
« Oui, et je suis ravie que l’Etat ait pu faire l’acquisition de tout le domaine de Petrkov, car on voit bien sur les gravures de Bohuslav Reynek par exemple que les alentours faisaient partie de son univers. Nous voulons montrer ce lien aux visiteurs de Petrkov, leur faire découvrir les environs de la maison, en collaboration avec le village de Lípa, dont Petrkov fait partie, et tout en respectant le caractère du lieu. Nous invitons donc le public à venir plutôt en train qu’en voiture… »
« Autre aspect important : la résidence des Reynek est un monument classé, ce qui compliquera et ralentira quelque peu la rénovation. Nous sommes donc tenus de le respecter, tout en profitant des lieux, notamment des bâtiments agricoles inutilisés depuis longtemps où nous voulons aménager des salles d’exposition et de concert. Car pour cela, la maison elle-même n’est pas assez spacieuse. »
Voulez-vous attirer des visiteurs francophones ?
« Absolument, c’est une des missions du futur centre culturel franco-tchèque de Petrkov qui renoue avec les relations que Bohuslav Reynek et Suzanne Renaud entretenaient avec la France, avec leurs proches et amis français. Nous voulons continuer en développant des contacts artistiques entre les deux pays et en créant une nouvelle tradition, un dialogue entre l’art des années 1920, 1930 et l’art contemporain. Pour moi, ce qui caractérise le mieux Petrkov, c’est justement le dialogue et l’ouverture. »
Vous souvenez-vous encore de votre première visite à Petrkov, où vous avez été accueillie par les frères Daniel et Jiří Reynek ?
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« Comme tout ceux qui connaissent Petrkov, je me souviens très bien de ma première visite. Nous avons tous eu la même réaction que les artistes que j’ai accompagnés hier et qui préparent une exposition à Petrkov : ‘C’est splendide !’ Cet endroit a un charme très particulier. Moi-même, j’ai été présentée aux frères Reynek par le poète Zbyněk Hejda. Nous nous sommes rencontrés à Prague et quelques jours après, ils m’ont accueillie à Petrkov. Je me souviens de leur ouverture d’esprit et du fait qu’ils m’ont laissé la porte ouverte. C’est un souvenir très personnel. Tour ceux qui se sont rendus à Petrkov ont eu envie de revenir. Moi aussi, je suis revenue, fascinée par le personnage de Suzanne Renaud. Mes visites ont abouti à l’écriture de l’ouvrage ‘Suzanne Renaud : Petrkov 13’. Ce livre est le fruit du travail commun que j’ai réalisé avec Daniel et Michel Reynek, qui m’ont fait découvrir les archives familiales. Nous voulons donc conserver cette ambiance d’ouverture à Petrkov, tout en entreprenant d’importants travaux de rénovation. »
Le Musée de la littérature tchèque (Památník národního písemnictví) a créé des pages en français sur son site Internet, où il est possible de se renseigner sur l’histoire du lieu, ainsi que sur la programmation du centre culturel de Petrkov, dont l’ouverture complète est prévue en 2026. Pour plus de détails : http://pamatniknarodnihopisemnictvi.cz/actualites/
