À Prague, la vie compliquée des personnes à mobilité réduite
Dans la capitale tchèque, comme dans bien d’autres villes européennes, les équipements sont largement insuffisants pour accueillir dans des conditions optimales les personnes à mobilité réduite. Ville historique, faite de pavés, de rues étroites et de collines abruptes, Prague reste inadaptée malgré les évolutions de ces dernières décennies. La parcourir en fauteuil roulant est un véritable défi mais ce n’est pas la seule difficulté à laquelle se heurtent les personnes à mobilité réduite. Logements inadaptés, bâtiments inaccessibles et autres transports vétustes rendent la vie difficile aux handicapés moteurs pragois comme aux touristes.
Prague est une ville où il fait bon vivre, c’est une certitude et je suis le premier à l’affirmer. Mais pour les personnes à mobilité réduite, la réalité est toute autre et vivre à Prague revêt un certain nombre d’inconvénients. Prague est une ville historique, où les routes sont faites de pavés, irréguliers, et ce n’est pas facile d’y circuler. Mais selon Kateřina Novotná, membre de l’organisation POV (pour Pražská Organizace Vozíčkářů) cela fait partie de Prague, et ce n’est pas prêt de changer. En effet, le Centre-Ville de Prague étant classé, il est impossible de le moderniser à souhait pour offrir une expérience plus viable aux personnes à mobilité réduite sans toucher aux parties protégées de la ville, que ce soit les monuments mais aussi les trottoirs, les portes, ou les routes.
L’organisation POV essaye donc d’accompagner les personnes à mobilité réduite pour qu'elles passent outre ces difficultés et qu’elles puissent se déplacer dans le centre-ville, entre autres objectifs que nous a expliqués Kateřina, membre de l’organisation depuis 25 ans, maintenant.
« L’objectif était de créer une organisation qui prend en compte les besoins et les problèmes de mobilité des personnes avec des handicaps physiques. Notre projet “overcoming barriers”, concerne les obstacles que l’on peut rencontrer en ville et qui leur rendent la vie difficile. Je pense que les gens peuvent surmonter ces difficultés plus facilement s'ils y sont prêts. Notre rôle, dans un premier temps, est de leur fournir des informations. Par exemple, nous avons cartographié la ville de Prague, à l’aide des données collectées, pour montrer les endroits accessibles, partiellement accessibles, ou totalement inaccessibles, pour qu’ils puissent organiser leurs visites selon leur situation et leurs envies. Ça les aide énormément, car s'ils connaissent les difficultés, ils peuvent mieux s’y préparer et s’organiser en fonction. Il y a beaucoup d’endroits où les personnes en fauteuil peuvent se rendre et vraiment profiter de la ville de Prague. C’est pour cela que nous avons répertorié ces routes, auxquelles nous avons ajouté des recommandations et des conseils. »
Une grande partie du travail de Katerina consiste également à sensibiliser les étudiants en architecture aux enjeux de la mobilité pour les personnes handicapées. Il faut donc qu’ils connaissent les lois en vigueur et sachent les appliquer ensuite dans leurs projets. POV s’affaire aussi à ce que les architectes comprennent ce que cela implique d’être en fauteuil pour qu’ils se mettent à la place de tous les usagers et prennent en considération ces problématiques dans leurs futurs projets.
Des avancées législatives peu respectées
Ces dernières décennies, des améliorations ont tout de même été constatées, notamment au niveau des législations qui sont un premier pas vers un progrès global au niveau de l’accessibilité. La première loi concernant l’accessibilité date de 1986, et a été complétée par un nouveau texte en 2009.
« Ces lois font avancer les choses, il y a du progrès mais ça prend beaucoup de temps. On peut voir les effets des législations avec un certain décalage. Aujourd’hui on peut clairement constater le développement de la législation et l’amélioration de l’accessibilité aux sanitaires pour les personnes à mobilité réduite, par exemple. »
Une nouvelle loi est actuellement débattue au Parlement. Elle affectera non seulement les espaces et les bâtiments publics, en imposant des règles plus strictes pour améliorer l’accessibilité en Tchéquie, mais également les habitations privées. C’est une avancée importante car le logement reste un problème majeur pour les personnes à mobilité réduite qui peinent à trouver un appartement adapté à leur condition. Dominika Hladká, en fauteuil roulant depuis 4 ans, témoigne à ce sujet :
« Pour moi, c’était vraiment un grand problème. J’ai commencé dans un appartement temporaire, et pendant ce temps, j’avais besoin de trouver mon propre appartement, mais ça n’existe pas dans Prague, il fallait aller à Černý Most ou quelque part comme ça. J’aime beaucoup la culture, quand c’est vivant, alors je voulais rester au centre ou pas loin du centre, c’est là où je travaille aussi. C’était une grande problématique, l’appartement où je vis ici (Malešice, Prague 10), appartient à la ville et est destiné exclusivement aux personnes comme moi. »
De plus, avec le vieillissement de la population, le nombre de personnes à mobilité réduite tend à augmenter et le parc immobilier pragois n’est pas adapté à une telle évolution. Enfin, concernant les lois, si elles revêtent normalement un caractère obligatoire, elles restent peu ou mal appliquées, même au sein des projets les plus modernes. Inauguré le 31 octobre dernier, le projet Masaryčka, un des projets immobiliers et urbanistiques les plus ambitieux réalisés à Prague ces dernières années situé aux abords de la gare Masaryk, est inaccessible aux personnes à mobilité réduite. Une négligence dont s’indigne Dominika :
« Ce n’est pas accessible pour nous, il n’y a que des escaliers. Je ne sais pas comment c’est possible, c’est un tout nouveau projet. Dans les textes, les bâtiments doivent être accessibles aux personnes à mobilité réduite. C’est un droit. »
Se déplacer : le défi des pragois en fauteuil au quotidien
Se déplacer reste une des principales difficultés rencontrées par les personnes à mobilité réduite. Au niveau des transports en commun, Prague est, sur le papier, une ville adaptée à ces personnes. Mais dans les faits, des détails viennent affecter l’accessibilité des transports publics de la capitale. Bien que les stations de métro, dans leur majorité, soient pourvues d’ascenseurs et de rampes d’accessibilité (encore faut-il que tout cela soit en état de fonctionner), l’écart entre le quai et le wagon du métro est tel qu’il est infranchissable sans risque pour un fauteuil électrique et est difficilement franchissable sans aide pour un fauteuil manuel. Il existe des rampes pour outrepasser cet écart, mais il en manque dans certaines stations et, souvent, elles sont mal placées et ne permettent pas aux personnes en fauteuil de les utiliser. Cette accessibilité revendiquée montre donc très vite ses limites. Du côté des trams, bien que la société des transports pragois possède 250 rames de tramways nouvelle génération avec plancher abaissé, il faut parfois laisser passer plusieurs rames plus anciennes avant de voir arriver un de ces trams datant de la fin des années 2000. Dans les faits, seuls les bus sont accessibles à 100% aux personnes à mobilité réduite.
J’ai moi-même pu expérimenter les difficultés de déplacement que rencontrent quotidiennement les personnes en fauteuil dans le Centre historique de Prague, le temps d’une après-midi. Muni d’un fauteuil roulant manuel, prêté par l’organisation POV et suivant un des itinéraires recommandés par cette même organisation, j’ai ainsi traversé le centre-ville à la découverte de certains des plus beaux monuments du Vieux Prague, comme Staroměstské náměstí, Prašná brána (Tour poudrière), Obecní dům (la maison municipale)... Cette excursion touristique m’a permis de me rendre compte de tous les obstacles que l’on ne voit pas à pied, mais qui entravent les déplacements des personnes à mobilité réduite, à commencer par le revêtement des rues et des trottoirs.
Les pavés, par exemple, constituent un premier obstacle aux déplacements en fauteuil roulant. Ils sont irréguliers, il y a beaucoup de trous dans lesquels se coincent les roues du fauteuil et il faut redoubler d’efforts comparé à une surface plane pour avancer. Lorsque l’on est seul, même le trottoir le plus banal peut devenir un obstacle infranchissable. Bien que, conformément aux législations, des changements aient été effectués pour faciliter la tâche aux personnes à mobilité réduite, la négligence des architectes fait que, comme l’expliquait Katerina, des détails rendent tout déplacement autonome compliqué en fauteuil. Il y a des trottoirs abaissés, certes, mais parfois les irrégularités de la route ou du caniveau rendent la marche trop importante pour la franchir seul. Les bâtiments publics sont pourvus de rampes, mais elles sont parfois tellement raides ou étroites que s’y engager seul est un véritable défi sportif. Même certains ascenseurs sont trop petits pour y faire entrer un fauteuil. Si certains de ces obstacles peuvent être surmontés, avec de l’entraînement et un peu de force, en fauteuil manuel, ce n’est pas le cas, en revanche, en fauteuil électrique. Dominika résume ainsi la situation :
« J’aime beaucoup être indépendante, voyager seule, par moi-même, mais dans beaucoup de situations on a besoin d’assistance. Les personnes qui travaillent à l'hôtel de ville pensent qu’on doit rester à la maison ou qu’on est toujours accompagné. C’est la même chose avec les cinémas, mais ces derniers ne sont pas accessibles. Pareil pour les clubs ou les bars, il faut faire une croix dessus, mais bon, on fait avec. »
Trouver un emploi en étant à mobilité réduite
Enfin, être à mobilité réduite est également une contrainte majeure lorsque l’on recherche un emploi. Si Dominika a eu de la chance, comme elle l’affirme, en intégrant le bazar Hvězdný, un projet de magasin caritatif qui emploi des personnes en fauteuil roulant, la majorité des entreprises n’offrent pas des conditions nécessaires à l’accueil de personnes à mobilité réduite, il y a souvent des escaliers et pas de toilettes adaptées aux fauteuils. Pour pallier cela, des subventions sont versées par l’État aux entreprises qui recrutent du personnel handicapé.
Des progrès sont faits, et des initiatives se mettent en place pour faciliter le quotidien des personnes à mobilité réduite à Prague. Cependant, le chemin est encore long avant que la capitale tchèque ne soit considérée comme une ville 100% accessible et rattrape son retard sur les grandes métropoles scandinaves, qui, selon Kateřina de l’organisation POV, sont l’exemple à suivre pour toutes les villes européennes en termes d’accessibilité et d’inclusion des personnes à mobilité réduite.