Sur le chemin de la résilience et d’une nouvelle vie, reportage au Centre Paraple à Prague

Kamil Fiala

À Prague, depuis bientôt 30 ans, le Centre Paraple (« Centrum Paraple » en tchèque) est une organisation qui aide les personnes paralysées qui se retrouvent en fauteuil roulant après une lésion de la moelle épinière ou une maladie et leurs familles à surmonter les obstacles et à relever les défis de leur nouvelle vie. Un centre de soins et de « réhabilitation sociale » reconnu d’utilité publique unique en son genre en Tchéquie. Visite des lieux avec Nicolas Chudyba, Français qui vit en République tchèque depuis de longues années et travaille désormais au Centre Paraple, et Kamil Fiala, ancien carreleur et sportif à qui Paraple a permis de reconstruire sa vie après son accident (un reportage à écouter de préférence en raison de son montage son).

« Je m’appelle Nicolas Chudyba et suis le responsable de gestion du Centre Paraple. »

Nicolas Chudyba | Photo: Barbora Navrátilová,  Radio Prague Int.

« ‘Paraple’, c’est bien sûr un jeu de mot avec ‘parapluie’. Dans les années 1990, les créateurs du Centre Paraple se sont rendus compte que les gens qui avaient subi un accident de la colonne vertébrale se retrouvaient souvent chez eux sans assistance, dans un monde différent de celui qu’ils connaissaient avant leur accident. Ce ‘parapluie’ leur apporte donc un accompagnement pour reprendre une vie la plus normale possible. »

« Paraple est à la fois un centre de rééducation et de ‘réhabilitation’ sociale. Cela passe par une plus grande indépendance physique et psychologique. La réhabilitation sociale, comme on l’appelle ici, inclut la physiothérapie, l’ergothérapie, l’assistance sociale, la psychologie, pour permettre aux clients après leur accident de repartir dans le bon sens, de reprendre la vie du bon bout, dans les nouvelles conditions qui sont les leurs, tout en leur permettant de profiter des choses dont ils bénéficiaient avant. L’ergothérapie, comme vous le savez, est l’adaptation de son environnement à sa nouvelle condition. On apprend aux clients à se déplacer de leur fauteuil roulant à leur voiture, sur un siège, à utiliser des ustensiles adaptés de manière à ce qu’ils puissent vivre le plus normalement possible. »

« L’ergothérapie, c’est une sorte de traitement par le travail. C’est pour ça que les clients passent ici, au Centre, trois semaines intensives, où ils font toutes ces activités pour acquérir le plus d’habilité possible. »

Centre Paraple | Photo: Barbora Navrátilová,  Radio Prague Int.

L’histoire de Kamil

« Je m’appelle Kamil Fiala, j’ai 43 ans, je vis à Jihlava, je suis marié, j’ai deux enfants et je travaille comme parrain professionnel à CZEPA, qui est l’Association tchèque des paraplégiques. »

Lorsque nous l’avons rencontré un mercredi de mai dernier, quelques heures avant la finale de la Coupe de Tchéquie de football entre le Sparta et le Slavia Prague à laquelle il s’apprêtait à assister dans la soirée, Kamil sortait d’une séance d’exercice dans la salle de musculation.

Kamil Fiala | Photo: Barbora Navrátilová,  Radio Prague Int.

« L’exercice, j’aime ça, oui. J’ai toujours fait beaucoup de sport quand j’étais en bonne santé et ce goût de l’effort m’est resté, c’est toujours ce qui donne un sens à ma vie. Avant, je jouais au foot et roulais beaucoup à vélo. »

« Avant », dans la vie de Kamil, c’était bien évidemment avant son accident. C’était en 2018, un plongeon dans l’eau comme il en avait déjà fait des centaines  d’autres auparavant...

« C’est arrivé en jouant avec les enfants dans une piscine à la montagne. On faisait des bêtises en sautant dans l’eau... Je ne me souviens pas de l’instant précis de l’accident, j’ai un trou de mémoire, mais c’est probablement arrivé en plongeant... »

« Les conséquences ? Je me suis fracturé le rachis cervical, de la quatrième à la septième vertèbre.  J’ai une paralysie complète depuis la poitrine jusque dans le bas du corps et mes bras sont également affectés. »

Kamil Fiala | Photo: Barbora Navrátilová,  Radio Prague Int.

Lorsque nous l’avons rencontré, Kamil en était à son huitième séjour au Centre Paraple depuis 2019. Un suivi post-opération et post-rééducation qui s’étale donc aujourd’hui sur quatre ans, qui a porté et continue encore de porter ses fruits :

Kamil Fiala | Photo: Barbora Navrátilová,  Radio Prague Int.

« Je suis resté neuf mois à l’hôpital et dans un centre de rééducation où je me suis efforcé de faire les exercices prescrits autant que possible. Le fait d’être sportif m’a certainement aidé dans le sens où faire les exercices m’a toujours intéressé, j’y prenais plaisir. Assez vite, mon objectif a été clair : parvenir à un stade qui me permette d’être indépendant et de m’occuper de moi-même sans assistance. Le problème au début est que je ne connaissais pas mes limites. Je ne savais pas jusqu’à tel stade mon handicap me permettrait de parvenir. Comment dire ? C’est comme si vous attendiez une chose dont vous n’êtes pas certain qu’elle va arriver ou se produire. On m’a d’abord dit que je ne pourrais plus me servir de mes bras, puis les choses se sont progressivement améliorées. Le résultat aujourd’hui est que je vis dans un environnement sans barrières. À la maison, on peut dire que je suis pratiquement autonome. »

Nicolas Chudyba : « C’est très fréquent (un tel nombre de séjours). L’accompagnement est important, car le corps change énormément dans le temps. Les clients ont tendance à prendre du poids et à perdre de la masse musculaire. L’accompagnement est donc nécessaire pour repérer les mauvaises habitudes et les remettre sur les bons rails. »

Centre Paraple | Photo: Barbora Navrátilová,  Radio Prague Int.

Assez vite après son opération, d’abord au centre de rééducation puis sur conseil d’autres personnes à mobilité réduite, Kamil Fiala a découvert l’existence du Centre Paraple.

« Quand je suis venu ici pour la première fois, j’étais pratiquement incapable de faire quoi que ce soit seul. Il fallait m’aider pour tous les gestes du quotidien : pour m’installer dans mon fauiteuil, pour m’habiller... Il fallait même me donner à manger. Mais l’attitude de tous les gens que vous croisez dans le centre est positive. Rien ne pose jamais problème. C’est une ambiance très stimulante et cela m’a très vite beaucoup plu. »

Kamil Fiala | Photo: Barbora Navrátilová,  Radio Prague Int.

« Puis je suis revenu une deuxième fois, une troisième fois, une quatrème fois... Et j’ai commencé à voir les progrès. Aujourd’hui, c’est mon huitième séjour ici et, que ce soit le matin ou le soir, à l’exception des thérapies, je n’ai pratiquement plus besoin de l’aide des assistants. Ma situation n’a absolument plus rien à voir avec celle dans laquelle j’étais quand je suis arrivé ici pour la première fois. »

Nicolas Chyduba : « Le niveau général des soins pour les personnes ayant subi une liaison de la moelle épinière est très élevé. La République tchèque est à un très bon niveau en ce qui concerne les soins intensifs et des instituts d’État de réhabilitation. Mais ils font le strict minimum, parce qu’ils s’occupent d’énormément de choses, de toutes sortes d’accidents. Il y a donc une certaine pression à avoir un débit. Et la spécialisation n’est pas au niveau de ce que nous proposons au Centre Paraple à nos clients. Même si le niveau de santé publique est très bon en République tchèque, il y a un manque que nous essayons de combler. »

Centre Paraple | Photo: Barbora Navrátilová,  Radio Prague Int.

« La prise en charge au Centre Paraple ne se limite pas aux séjours de trois semaines. D’autres programmes sont prévus. Kamil Fiala, par exemple, a suivi un programme qui s’oriente plus vers des activités sportives. En effet, le principe du Centre Paraple repose sur le fait que, comme les clients étaient des marcheurs, ils avaient des activités liées à leur condition précédente. Donc, ils avaient des activités sportives. Et souvent, après leur accident, les gens ont tendance à les mettre de côté et à se dire que ce n’est plus pour eux. Or, il y a plein d’activités qui leur sont accessibles, et c’est que nous essayons de leur montrer. »

« Preuve du succès de cette philosophie, une équipe tchèque a participé, en mai dernier à Cardiff, au championnat d’Europe de rugby en fauteuil roulant. Notre directeur est un joueur de rugby. Ça montre que si on veut, on peut. Et nous sommes là pour leur montrer la voie et les accompagner dans cet effort. »

Un propos que confirme Kamil Fiala, qui témoigne de tout ce que le Centre Paraple lui a apporté :

Centre Paraple | Photo: Barbora Navrátilová,  Radio Prague Int.

« La prise en charge est globale. Les exercices et la musculation sont une chose, mais vous avez aussi bien sûr les services d’un psychologue et d’insertion sociale. Des gens qui sont là pour la première fois et d’autres dont l’accident remonte à vingt ans se rencontrent et peuvent échanger ensemble, partager leur expérience. Le soir, vous pouvez discuter autour d’un verre. Personnellement, cela m’a beaucoup aidé au début de voir ce qu’étaient capables de faire certains quelques années seulement après leur accident. Ce sont eux qui vous montrent l’exemple. C’est motivant de voir qu’il est possible de mener de nouveau une vie normale. »

Une nouvelle carrière de « parrain »

Carreleur avant son accident, Kamil était dans l’impossibilité de reprendre son ancienne activité professionnelle ou de choisir un autre métier manuel. Pas emballé non plus à l’idée de travailler chez lui derrière un ordinateur, c’est donc l’entraide et une nouvelle carrière de parrain ou de pair-aidant qu’il a finalement embrassée :

« Être parrain, cela signifie aider ou plutôt accompagner les nouvelles personnes qui se retrouvent en fauteuil roulant. Quand elles reviennent chez elles après leur rééducation, elles ont besoin d’aide au début. Concrètement, cela va des conseils pour s’habiller ou pour choisir une voiture adaptée à l’assistance pour faire les demandes de diverses prestations. C’est donc une prise en charge complète de ces personnes. »

Centre Paraple | Photo: Barbora Navrátilová,  Radio Prague Int.

Avant chaque séjour au Centre Paraple, chaque client ou patient fait part de ses motivations : trouver un emploi, améliorer sa condition physique ou encore, par exemple, apprendre à se déplacer dans les transports en commun. Kamil, lui, souligne l’importance d’avoir pu compter aussi chez lui sur l’aide préciseuse de son épouse. Et désormais, il aimerait rendre à d’autres ce que lui aussi a reçu lorsqu’il s’est retrouvé en situation de handicap. Il précise comment se passent les choses :

« Dans les centres de rééducation, il y a toujours une travailleuse sociale qui repère les patients dont elle pense qu’ils pourraient avoir le profil pour travailler comme parrains et pourraient être intéressés par ce type de service. Ensuite, la mise en relation entre le parrain ou le mentor et le client dépend de plusieurs critères : si c’est un homme ou une femme, du type de handicap, s’il a une famille ou encore de choses plus pratiques comme par exemple la distance qui les sépare. »

L’histoire aussi de Nicolas

Si Nicolas Chudyba a tenu à nous faire découvrir le Centre Paraple et qu’il y travaille aujourd’hui, c’est aussi pour des raisons plus personnelles, comme il nous le confie lors de la visite du jardin du Centre Paraple, lui aussi entièrement adapté aux besoins des clients :

Centre Paraple | Photo: Barbora Navrátilová,  Radio Prague Int.

« Le jardin n’est pas qu’un endroit de vie pour se reposer ou faire des activités sportives. C’est aussi un terrain d’entraînement, pour permettre aux nouveaux clients de se familiariser avec les obstacles auxquels ils seront confrontés en ville. D’abord avec un assistant, et ensuite tout seul. On voit qu’il y a différents types de terrain et différents types de pavés, un peu ‘traîtres’ d’ailleurs, parce qu’ils sont omniprésents à Prague…On voit aussi que les joints des pavés ne sont pas bien fixés. C’est fait exprès. »

« Ici, on dirait les pavés de Paris-Roubaix… Une fois qu’on a passé les pavés, on se retrouve dans ce gravillon qui est un gros problème pour les déplacements en fauteuil roulant. Quand on n’est pas habitué, on n’a pas le griffe pour s’en sortir. On retourne ensuite sur des petits pavés, avec des petits obstacles de niveau. Il y a cinq centimètres à passer. Et on peut avoir, ensuite, ce qu’on trouve très fréquemment en ville : le trottoir. Comment accéder au haut du trottoir en fauteuil roulant, et descendre en toute sécurité... »

Centre Paraple | Photo: Barbora Navrátilová,  Radio Prague Int.

« C’est aussi important pour l’assistant qui accompagne la personne en fauteuil roulant. On peut voir l’installation qui a été faite cet hiver, avec les rideaux verts. Ça nous sert à entraîner ceux qui en ont envie au tir à l’arc. Nous avons collaboré avec une association de tir à l’arc pour personnes handicapées, qui nous a conseillé des matériaux, l’installation. Un sponsor nous l’a financée. »

« Juste à côté, il y a une école, c’est un peu un symbôle. Cela permet aussi aux professeurs de venir deux à trois fois par an ici, par exemple pendant la période de Noël. Et cela montre aussi aux enfants que même si on est différents de par son apparence, on est tous pareils. On a tous le même but : celui de vivre une vie normale. Chacun à son niveau. »

Centre Paraple | Photo: Barbora Navrátilová,  Radio Prague Int.

Nicolas explique comment le Français qu’il est – avec un excellent niveau de tchèque - s’est retrouvé à travailler au Centre Paraple :

« C’est le fruit du hasard. La période Covid m’a forcé à me pencher sur moi-même et je me suis demandé si je voulais continuer à faire le même métier pour le reste de ma vie. Ou profiter du temps qu’il me reste pour aider quelqu’un, monter un projet…Le Centre Paraplé, c’est le hasard de la vie. Je cherchais une ‘réhabilitation’ pour ma fille aînée, qui avait besoin de quelque chose comme le Centre Paraple. Au même moment, le centre recherchait un responsable technique. Le destin a donc choisi. C’est pour cela que je suis ici. »

Centre Paraple | Photo: Barbora Navrátilová,  Radio Prague Int.

« Le destin tisse parfois ses fils d’une bonne façon, mais pour d’autres personnes, c’est parfois plus difficile, comme pour ma fille... En tant que parent, on est toujours très impliqué. D’un autre côté, ma fille de 21 ans a toujours besoin de ce service de réhabilitation. Toute la dureté repose sur ses épaules. Moi, je n’ai fait que l’assister du mieux que je pouvais pour l’aider à repartir du bon pied. »

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