À Prague, un auteur français de livres pour enfants et de BD sur les traces du « Don Quichotte de la Šumava »
« Derrière les paupières » est le titre d’un petit livre pour enfants écrit et autoédité par Guillaume Tenaud, professeur de français et conteur d’histoires installé en République tchèque depuis quelques années. Un ouvrage au concept original puisque les lecteurs-bricoleurs doivent d’abord découper et assembler les pages avant de pouvoir les lire. Traduit en tchèque (« Pod víčky »), le livre a été présenté au public, le week-end dernier à Prague, dans le cadre du festival Knihex. Rencontre à cette occasion avec son auteur qui envisage également de se lancer prochainement dans l’écriture (en tchèque !) d’une bande dessinée sur le « dernier chevalier tchèque », aussi surnommé « Le Don Quichotte de la Šumava ».
Guillaume, nous nous étions rencontrés il y a quelques années, à l’occasion de la publication de votre première bande-dessinée intitulée « La Clé de Sid’ ». Cette fois, vous publiez un autre ouvrage qui s’intitule « Derrière les paupières ». De quoi s’agit-il ?
« C’est un livre dessiné pour les enfants, à partir de quatre ans, dont j’avais l’idée depuis quelques années. Je me suis toujours demandé si on pouvait raconter les histoires autrement en 2023 et j’ai donc développé ce projet de livre dépliable. Il s'agit d’une feuille de papier de format A1 que les enfants doivent d'abord déplier, puis découper eux-mêmes les doubles-pages avant de les assembler avec une ficelle ou un élastique. »
« Ce livre raconte l’histoire d’un petit garçon prénommé Louis en français, et Kuba en tchèque. Quand il s’ennuie, il ferme les yeux et pense à tout ce qu’il peut faire grâce à son imagination. Il peut voyager dans le monde entier, remonter le temps, incarner les personnages de ses livres préférés. Le but était de créer un ouvrage qui permette aux parents de passer un moment privilégié avec leurs enfants, que ce ne soit pas seulement un livre à lire mais aussi à construire. »
Ce qui explique pourquoi le livre est accompagné de ce qui ressemble à un mode d’emploi...
« Exactement. Adossé à la feuille de papier se trouve un petit flyer en carton qui explique comment s'y prendre et sert aussi à faire la publicité du deuxième tome, parce que c’est une histoire qui est amenée à se poursuivre dans le temps. Car il ne s'agit que de la première aventure de Louis. J’espère pouvoir publier les tomes suivants d’ici l’année prochaine. »
Ce sera le même personnage avec des thèmes traités qui seront différents ?
« Oui. Le but est de raconter des histoires qui véhiculent des valeurs importantes. Le premier livre consiste à promouvoir le pouvoir de l’imagination, le prochain parlera des cinq sens lors d’une promenade en forêt, le troisième abordera l’importance de la famille, puis l’école, le voyage et la découverte de nouvelles cultures. »
« Il ne s’agit pas tellement de développement personnel, mais de rappeler aux enfants que dans un monde complexe comme le nôtre, nous avons d’autres ressources que le téléphone portable pour nous évader et voyager à l’intérieur de nous-mêmes. L’important était de créer des histoires qui véhiculent des valeurs qui, malheureusement, sont parfois oubliées. »
C’est un petit livre que vous avez d’abord publié en français, et vous nous présentez désormais la traduction en tchèque 'Pod Víčky'. Était-ce important pour vous que votre livre soit traduit dans cette langue ?
« Absolument. Comme j’habite en Tchéquie depuis dix ans, je me sens tchèque d’adoption. J’aimerais aussi que ce livre soit traduit dans d’autres langues comme l’anglais et l’allemand. Mais la deuxième langue qui m’intéressait le plus était effectivement le tchèque, parce que je réside ici et et que j'ai des amis tchèques qui sont parents d’enfants qui ne parlent pas français. Je tenais donc à partager cette histoire avec eux aussi. »
À la radio, ce n’est pas forcément évident, néanmoins, pourriez-vous déplier le livre devant nos yeux et expliquer à nos auditeurs ce que l’on y trouve à l'intérieur ?
« Il se présente sous la forme d’un livret. Quand on le déplie, on se retrouve devant une feuille de format A1, imprimée recto-verso, avec seize doubles-pages sur chaque face. Les pages à découper sont indiquées par des pointillés. Donc, les enfants découpent les feuilles des deux côtés. En bas de chacune d'entre elles, on peut y voir le numéro qui correspond au livre. »
« Les enfants doivent ensuite recomposer le livre en suivant les numéros, en commençant par la première de couverture jusqu’à la quatrième de couverture. Et sur chaque double-page, en plus de l’histoire, il y a une illustration avec un petit jeu comme un labyrinthe, des points à relier, retrouver certains personnages dans une image… J’ai aussi laissé une page pour que l’enfant puisse imaginer ce qu’il pourrait faire lui-même grâce à son imagination. »
C’est un livre que vous publiez vous-même et pour lequel vous avez créé votre propre maison d’édition…
« Effectivement, ça s’appelle Wonderbooks. C’est aussi un défi que je me suis lancé, c’est-à-dire écrire cette histoire de A à Z. J’ai trouvé un illustrateur que j’ai rémunéré. Le concept m’est venu d’un ami qui a donné une exposition il y a quelques années. Son idée de grande feuille dépliable m’accompagne dans la création de cette histoire. Il me disait que ce serait une très bonne idée d’en faire une histoire pour les enfants, et surtout qu’ils soient actifs en construisant le livre. C'est donc en rassemblant tout cela que j’ai créé ce concept qui n’existait pas encore. »
« J’en suis assez fier, et c’est aussi pour cette raison que je voulais garder la mainmise de bout en bout, depuis la création, le concept, jusqu'à l’impression par moi-même, en passant par la recherche d'un illustrateur, etc. »
« Cela dit, c’est difficile d’être à la fois auteur et éditeur. Même si c’est un défi qui me ravit parce que c’est mon projet, je me heurte notamment au problème de promotion et de diffusion du livre. Pour la bande-dessinée, j’avais travaillé avec un éditeur, ce qui sous-entend que l'on doit toujours faire des compromis et que l'on ne fait pas toujours ce que l’on veut. Dans le cas de ce nouveau livre, l’effet escompté s’est produit et les premiers retours sur la version française sont très bons. J’espère que le public tchèque réagira de la même manière. »
Vous travaillez aussi sur un autre projet de bande-dessinée. De quoi s’agit-il ?
« Suite à ma première bande-dessinée, ‘La Clé de Sid’’, parue en 2020, j’ai une autre histoire qui sortira en France en janvier prochain avec le même dessinateur. Ce projet raconte l’histoire de deux petits enfants très différents. L’un a été mordu au visage par un chien. Il porte une cicatrice et il est un peu stigmatisé par ses camarades de classe. Il va se lier d’amitié avec une petite fille d’origine vietnamienne adoptée par une famille française. Au début, ces deux enfants vont se détester, puis ils vont devenir amis grâce à certaines circonstances. Un jour, ils partent faire l’école buissonnière pour essayer de rejoindre le Vietnam... »
Et puis vous souhaitez raconter une histoire aussi aux Tchèques…
« Oui. C’est le projet sur lequel je travaille actuellement. Comme j’habite en Tchéquie et que j’aime la bande-dessinée, cela fait plusieurs années que j’aimerais raconter une histoire qui se déroule ici. Il m’a fallu du temps pour trouver le bon axe et la bonne histoire, et je pense que j’ai réussi. L’histoire se déroule dans la Šumava (massif de moyenne montagne situé dans le sud-ouest de la Bohême, aux confins de l'Allemagne et de l'Autriche) et raconte les dernières années du dernier chevalier tchèque, Josef Menčík. C’est un projet pour lequel j’ai de grands espoirs, parce que ce personnage mérite d’être connu et j’espère lui rendre hommage du mieux possible. »
L’idée est aussi de travailler avec un illustrateur tchèque…
« Oui. Le but est de publier cette bande-dessinée en tchèque, avec un éditeur et un illustrateur tchèques. Mais la première contrainte est d’améliorer mon niveau de tchèque. Dans le cadre de mes recherches, je me suis rendu dans la Šumava et je me suis heurté au fait que tout le monde ne parle pas forcément anglais. »
« Cela m’a donné envie d’aller à la rencontre des gens et de repousser mes propres limites. Je suis en train de prendre des cours pour améliorer mon niveau et pour comprendre le fonctionnement de la bande-dessinée en Tchéquie. Contrairement à la France, c’est un domaine qui est encore peu reconnu et valorisé. Trouver un illustrateur et un éditeur est donc mon défi pour 2024. »