A Prague, une exposition controversée sur des tribus de Papouasie

Photo: Barbora Šlapetová, DOX

Une exposition rassemblant les œuvres de Barbora Šlapetová et de Lukáš Rittstein sur des tribus de Papouasie se tient actuellement au Centre d’art contemporain DOX à Prague. Une exposition controversée. Rencontre avec les deux artistes, qui évoquent leur expérience.

Barbora Šlapetová,  photo: ČT24

Intitulée « Ultrasupernatural », l'exposition est le fruit du travail réalisé par la photographe Barbora Šlapetová et le sculpteur Lukáš Rittstein. Ensemble, ils ont entrepris onze expéditions en Papouasie, étudiant le mode de vie des peuples Yali et Korowai Batu. L’exposition présente les vidéos, photographies et objets d'art qu’ils ont réalisés, comme l’explique Barbora Šlapetová :

« Nous avons tous les deux grandi  durant la période communiste. Nous avions envie d’aller le plus loin possible et la Papouasie était le seul endroit aussi loin géographiquement et dans le temps. C’était intéressant pour nous de nous retrouver dans ces lieux sauvages pour essayer d’en apprendre plus sur nous-mêmes mais aussi sur ces peuples. »

Photo: Barbora Šlapetová,  DOX

Interrogée sur le titre donné à l’exposition, Barbora nous explique que ce que certains ressentent comme étant supranaturel, ne l’est pas pour d’autres. D’un point de vue occidental, ces peuples vivent de façon supranaturelle alors que pour eux, c’est simplement naturel. Mais l’inverse est vrai aussi.

« C’était intéressant, car eux n’ont pas de frontières entre le naturel et le supranaturel. Et en tant qu’artistes, nous travaillons beaucoup avec les formes abstraites et réalistes. »

« Je pense que c’est une interaction. Quand nous avions des questions, nous les laissions poser les leurs. C’est un dialogue qui dure depuis plus de vingt ans. Nous avons essayé de répondre à leurs souhaits. Ils voulaient savoir ce qu’était un artiste, alors je leur ai montré quelle forme cela pouvait prendre en faisant leur portrait. J’ai improvisé un studio photo et lors de notre visite suivante, je leur ai ramené les photos. Ils ont adoré et c’était comme un spectacle. Ils voulaient aussi savoir ce qu’était un sculpteur, alors Lukáš a fait un moulage de mon visage et ils ont voulu la même chose pour l’offrir à leurs enfants. »

Photo: Barbora Šlapetová,  DOX

Barbora estime avoir beaucoup appris à leur contact. Mais elle et Lukáš ont également permis aux natifs Papouas de se sentir confiants vis-à-vis de leur culture qui s’affaiblit. En effet, les jeunes partent en ville et, séduits par la modernité, ne s’intéressent plus aux traditions. Toutefois, certains d’entre eux souhaitent retrouver leurs racines et ont demandé aux deux artistes les histoires qu’ils ont recueillies durant leurs expéditions. La tradition étant orale, les anciens oublient parfois certains récits. Barbora parle d’un ‘monument artistique’ qu’ils ont construit afin de ‘sauver leur culture’ :

« Nous cherchons davantage ce qui est invisible. C’est pourquoi nous voulions vivre ces aventures avec eux, pour le retranscrire dans nos œuvres. C’est différent des travaux des années 1930 avec André Breton ou les surréalistes qui collectionnaient des objets venus d’Afrique et de Papouasie. Nous concernant, nous avons besoin de les connaitre, de sonder leur âme. »

Koichi Wakata,  photo: NASA

« Les gens sont différents partout dans le monde, mais on peut trouver quelqu’un de spirituel comme on peut trouver quelqu’un de stupide, ici comme là-bas. Donc, à l’intérieur, en tant qu’être humain, il n’y a pas de grande différence. »

Depuis 2008, Barbora Šlapetová collabore avec la NASA. Elle a invité l’astronaute Koichi Wakata et a réalisé de nombreuses illustrations sur l’espace. Elle nous raconte cette expérience :

« La première fois que nous sommes arrivés, nous avons découvert certaines de leurs croyances, comme le fait qu’ils pensent qu’il est possible de voyager dans l’espace grâce à la fumée. J’ai donc écrit à la NASA. Ils n’étaient pas surpris de savoir que nous soyons allés dans l’espace, plutôt très étonnés de voir que nous avons tant de difficultés pour voler là-haut. »

« C’était la dernière occasion de confronter la technologie avec les corps préhistoriques des premières cultures. C’est la disparition de l’âme et du corps indigènes. »

Photo: Barbora Šlapetová,  DOX

Ce choix de mettre les Papouas au contact de certaines technologies et avancées scientifiques a été perçu par certains comme une volonté de montrer la supériorité de la culture occidentale, et même comme une vision colonialiste.

Une autre critique porte sur les réalisations en 3D de leurs corps. Certains membres, comme des bras ou des jambes, ont été sculptés par Lukáš. Certaines personnes de la tribu des Yali Mek ont également été scannées en 3D en compagnie de l’astronaute Koichi Wakata. Lukáš Rittstein nous en a expliqué la raison :

L : « En 2006, quand ils ont reçu les moulages de leurs membres, ils ont exprimé leur souhait. Certains d’entre eux étaient partis vivre en ville, d’autres étaient morts, et ils voulaient une sculpture non plus de certaines parties du corps mais du corps entier. C’est pourquoi en 2016 nous avons fait des scans 3D de leurs corps. »

Lukáš Rittstein,  photo: Jindřich Nosek,  CC BY-SA 4.0

B : « Après avoir changé de façon de vivre, de régime alimentaire, les corps ne sont plus les mêmes. C’était donc la dernière occasion de capturer ces corps préhistoriques. »

Pour Lukáš, cette exposition survient après 25 ans d’amitié profonde, de confiance et de respect. Un avis évidemment partagé par Barbora :

B : « Je pense qu’ils sentent que nous nous intéressons à eux, de la même manière qu’eux s’intéressent à nous. Ils voient que nous ne sommes pas des missionnaires ou des businessmen qui les tuent et volent leurs terres. »

B : « Je connais ces problématiques sur le néo-colonialisme, lorsque que quelqu’un utilise la culture de l’autre et prend ses idées, ses terres, ses matériaux. Mais c’est une problématique qui concerne les Etats coloniaux, et la Tchécoslovaquie n’en fait pas partie. Celle-ci a même été colonisée d’une certaine manière. Pour nous, ce ne serait pas non plus intéressant de collectionner des objets et de les montrer.  Nous étions vraiment curieux de connaître le monde spirituel. C’est pourquoi nous y sommes sensibles et nous rendons là-bas avec beaucoup de respect. Dans les années 1930, en Papouasie, les missionnaires venaient avec des géologistes, car ils cherchaient de l’or et des diamants. »

Photo: Barbora Šlapetová,  DOX

L’utilisation du mot « stoneage » en anglais, traduit par « préhistorique » en français, leur a également été reprochée :

« ‘Stoneage’ veut dire préhistorique, natif, et renvoie à une culture naturelle, aux premières cultures. Mais oui, peut-être qu’il conviendrait de dire ‘natif’. ‘Sauvage’ est un mauvais mot, car ils ne sont pas primitifs. Mais ils ont un esprit différent du nôtre. »

Les deux artistes comptent retourner en Papouasie. Mais selon Lukáš, la situation aura totalement évolué, la décrivant comme ‘post-apocalyptique’.

Quant à vous, vous avez jusqu’au 12 octobre pour vous rendre au DOX et visiter si vous le souhaitez cette exposition, afin de vous faire votre propre avis sur la question.