Une application web et un album de photos de Terezín contre l’oubli de la Shoah

Album G.T.

Il y a 77 ans, le 27 janvier 1945, était libéré le camp de concentration d’Auschwitz, où ont péri des dizaines de milliers de Juifs originaires de l’ancienne Tchécoslovaquie. A l’occasion de la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste, l’Académie tchèque des sciences a présenté une nouvelle application web qui permet de découvrir la vie des Juifs pragois pendant la Seconde Guerre mondiale, sous le Protectorat de Bohême-Moravie.

Où vivaient les résidents juifs de Prague avant d’être déportés dans les camps de concentration ? Quels sont les lieux qu’ils leur a été interdit de fréquenter pendant l’occupation nazie ? Dans quels endroits ont-ils été détenus pour avoir violé ces interdictions et les règlements anti-juifs ? Autant de questions auxquelles répond l’application intitulée MemoGIS Praha, développée par l’Académie des sciences, l’Institut de l’initiative Terezín et le Centre multiculturel de Prague.

Source: MemoGIS

Cette application, disponible sur ordinateur ou téléphone mobile, permet également de découvrir les histoires personnelles des victimes de la Shoah à travers des documents historiques et des photographies.

Source: MemoGIS

Il s’agit plus précisément d’un plan de Prague en ligne où sont marquées les adresses des habitants juifs de la capitale, ainsi que les lieux précis où se sont déroulés des incidents et arrestations. Ainsi, on apprend par exemple que le 22 mars 1941, Evžen et Jetty Sternlicht ont été interpellés par la police dans un magasin situé rue Na Můstku, pour avoir acheté des oranges en dehors des horaires réservés aux Juifs. Mariana Krennová a été arrêtée pour avoir assisté à un spectacle au Théâtre des Etats, tandis que Valeska Lövensteinová a passé sept jours en prison pour avoir prétendument visité un café sur la place Venceslas.

Dana Gabal’ová de l’Institut de l’initiative Terezín explique :

Des Juifs à Prague en 1942 | Photo: Wikimedia Commons,  public domain

« Personnellement, je trouve vraiment absurde d’avoir interpellé des Juifs pour avoir visité des parcs. Mais en réalité, chaque coin de verdure pouvait être considéré comme un parc : ainsi, beaucoup de Juifs ont été arrêtés au pied de la tour Jindřišská věž, où se trouvent juste quelques arbres et arbustes. Un incident m’avait choqué : il s’agissait d’une femme arrêtée dans la rue, alors qu’il faisait très froid. Elle était emmitouflée dans une écharpe qui cachait en partie son étoile jaune. Un passant l’a tout de suite dénoncée… Les personnes ayant commis une infraction devaient payer par exemple 2 000 couronnes d’amende, ce qui était une somme très importante à l’époque, sinon, ils étaient envoyés pour quelques jours en prison, ce qui évidemment était très redouté. Nous connaissons aussi des cas de personnes envoyées directement à la gestapo, puis en camp de concentration. »

L’application MemoGIS Praha documente près de 30 000 événements survenus pendant la Seconde Guerre mondiale. Le projet permet ainsi d’interconnecter, de manière inédite, la réalité historique et la Prague d’aujourd’hui. « Moi-même, j’ai fait cette expérience unique. Sur le chemin de travail, j’ai compté une quarantaine d’incidents liés à la persécution des Juifs pendant la guerre », a confié Zuzana Schreiberová, directrice du Centre multiculturel de Prague.

Donner un nom aux victimes

Milan Weiner | Photo: Archives de ČRo

Un autre projet qui sort les victimes tchèques de l’Holocauste de l’anonymat s’appelle « Album GT ». Il s’agit d’un album de photographies réalisées pendant la Seconde Guerre mondiale dans le ghetto juif de Terezín (Theresienstadt), en Bohême centrale, par le journaliste de la Radio tchécoslovaque Milan Weiner. Emprisonné à Terezín entre 1942 et 1944, il est décédé en 1969 à Prague, sans parler à qui que ce soit des photographies du ghetto, découvertes plus de 70 ans plus tard par sa belle-fille Věra Weinerová. On l’écoute :

« Cet album était caché parmi d’autres, chez nous. Je n’ai jamais connu mon beau-père, mais je savais qu’il n’aimait pas parler de la guerre, de ce qu’il avait vécu. Alors j’ai respecté ce silence, maintenu au sein de sa famille. »

Album G.T. | Photo: Památník ticha

Un jour, Věra Weinerová décide toutefois de montrer l’album qui documente la vie de tous les jours dans le ghetto de Terezín, à Pavel Štingl, directeur de l’association Památník ticha (Memorial du silence) qui s'emploie à faire un lieu de mémoire de la gare pragoise de Bubny - d'où ont été déportées des dizaines de milliers de victimes de la Shoah. Pavel Štingl explique :

« Ce qui s’est conservé du ghetto de Terezín, ce sont les dessins fait par les artistes qui y étaient emprisonnés. Mais jusqu’à présent nous n’avions pas de photographies de Terezín. Voilà pourquoi cet album est extrêmement précieux. »

Album GT,  Lucie Weisbergerová et probablement Petr Kien | Photo: Mémorial du silence

La sélection de petites photos, prises probablement par Milan Weiner en personne, contient une dizaine de portraits de prisonniers juifs, hommes et femmes. Au printemps dernier, le Mémorial du silence a lancé un appel au public afin d’identifier ces personnes anonymes. Ainsi, quatre noms et destins ont déjà pu être révélés.

Toutes les images de « l’Album GT » de Milan Weiner seront exposées à Prague à l’automne 2022, à l’occasion du 81e anniversaire du départ des premiers convois vers les ghettos de Łódź et de Terezín.

Auteurs: Magdalena Hrozínková , Lucie Korcová
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