A Únětice, la renaissance de l’une des meilleures brasseries artisanales tchèques (1ère partie)
Depuis quelques années, le tourisme gastronomique s’est développé en République tchèque. Mais qui dit gastronomie à Prague, en Bohême et dans une moindre mesure en Moravie, dit forcément bière, boisson nationale parfois présentée comme du pain liquide. Parallèlement au développement de ce tourisme gastronomique est également apparu un phénomène particulièrement rafraîchissant pour les amateurs de bière sur un marché toujours archi-dominé par les grandes brasseries : la multiplication, un peu partout dans le pays, des micros et petites brasseries. Avant même la fin de cette année, leur nombre devrait ainsi dépasser les 300. Parmi elles, une brasserie fait l’unanimité auprès de tous ceux qui ont déjà goûté sa production : l’Únětický pivovar – la brasserie d’Únětice. Dans ce village de moins de 700 âmes situé à une petite dizaine de kilomètres au nord-ouest de Prague, la réouverture de la brasserie, après une cession d’activité longue de 62 ans, a permis de renouer avec une tradition qui remonte au début du XVIIIe siècle.
En août dernier, à l’occasion d’un tournoi organisé dans les jardins du château de Troja à Prague, même si c’était un verre de vin qu’il tenait alors entre les mains, Eric Sirot, ancien triple champion du monde français de pétanque, se souvenait avec envie de parties bien particulières qu’il avait disputées lors de sa première visite en République tchèque dans une brasserie située au cœur d’un petit village de Bohême centrale traversé par une route en lacets. Mais à Únětice, plus encore qu’une certaine façon, à la tchèque, de vivre la pétanque, Eric Sirot avait aussi découvert le monde local de la bière. Une plongée en plein cœur d’une activité industrielle ancestrale, la brasserie, que le Français devait à Petr Fuksa, responsable d’Ubulodrom Únětice, une association qui permet la pratique de la pétanque, ce jeu si typiquement français dans l’esprit des Tchèques, sur l’un un boulodrome couvert qui se trouve au dernier étage de la brasserie :
« J’ai la chance d’habiter vraiment juste à côté de la brasserie. Je sens donc la fabrication de chez moi, et je sais si la bière sera bonne, ou ne sera pas bonne, même si pour l’instant, ça a toujours senti bon. Il n’y a donc pas de souci. »Petr Fuksa est ce que l’on peut appeler un homme heureux. Toujours le sourire aux lèvres, ce parfait francophone passionné donc de pétanque, vit à Únětice depuis son enfance, quelques centaines de mètres en dessous de l’église de l’Assomption-de-la-Vierge-Marie récemment rénovée, et à quelques dizaines d'autres d’une brasserie qui, aussi loin qu’il se souvienne, a toujours fait partie de son quotidien d’autochtone :
« Oui, c’est, avec l’église, un des monuments importants de la commune. Sa réouverture a apporté beaucoup de prestige au village. J’habite à Únětice depuis une quarantaine d’années et j’ai toujours vu l’inscription Únětický pivovar. Mon père et mon grand-père me parlaient de la renommée de la brasserie au début du XXe siècle et dans les années 1920 et 30. Et maintenant, voilà ! La brasserie a retrouvé son activité originelle, la bière est excellente, tout le monde le dit. Il y a beaucoup de touristes qui viennent à Únětice spécialement pour la brasserie. Il y a donc une raison de plus d’être fier d’être un habitant d’Únětice. »Une bière dont même la 10° a du goût
Lucie Tkadlecová est, avec son mari et deux autres associés, la copropriétaire de la brasserie d’Únětice, une société dont le statut de « petite brasserie » limite, conformément à la législation fiscale tchèque, la production à quelque 10 000 hectolitres par an. Avant de se lancer dans l’aventure de la rénovation du bâtiment de la brasserie et de la reprise de la production de bière après son arrêt décidé sous le communisme au début des années 1950, Lucie Tkadlecová, comme son mari, travaillait pour un grand groupe brassicole à Prague. Elle explique le succès quasi-immédiat de leur entreprise, dont le début de l’activité ne remonte qu’à 2011 :
« Nous avons été parmi les premiers dans le pays à surfer sur la vague de la multiplication des petites brasseries qui s'efforcent de proposer des bières de qualité en respectant le processus de production et en ne cherchant pas à faire des économies sur la qualité des ingrédients. Aujourd’hui, ces brasseries poussent comme des champignons, mais ce n’était pas encore tout à fait le cas à l’époque, surtout avec la crise économique dont on sortait à peine. Notre projet était donc unique en son genre. »Comme son « voisin » Petr Fuksa, Lucie Tkadlecová met l’accent, elle aussi, sur la responsabilité qui découle de l’héritage de l’histoire de la brasserie à Únětice :
« Le bâtiment de la brasserie a une grande valeur historique. C’est lui qui porte la brasserie. Les gens sont attachés à leurs traditions et d’une certaine manière, ce bâtiment raconte leur histoire, car la brasserie a toujours fait partie de leur vie. Pendant des siècles, de la bière a été produite à Únětice. Et d’avoir relancé cette activité, c’est quelque chose de très apprécié aujourd’hui. »
Mais, aussi bête que cela puisse paraître, ce qui a fait, et continue de faire, le succès de la brasserie d’Únětice, c’est sa… bière. Plus précisément ses bières : l’une de 10°, l’Únětická desítka, et l’autre de 12°, l’Únětická dvanáctka, les deux seules bières que la brasserie produit tout au long de l’année. Les amateurs de bière le savent : les Tchèques utilisant le degré dit Balling, les degrés indiqués pour une bière ne signifient donc pas la teneur en alcool de celle-ci, mais correspondent au pourcentage d’extrait sec du moût avant fermentation, aussi appelé la densité primitive de moût, soit le jus en forte teneur en sucre obtenu en salle de brassage à partir du mélange d’eau chaude, de malt et, éventuellement pour certaines bières, d’autres céréales. Bref, deux bières de type pils, à savoir blondes et de fermentation basse, et plutôt légères, à l'amertume et à l'arôme de houblon prononcés, et non filtrées. Petr Fuksa complète leur description :« Ce qui différencie la bière d’Únětice des autres bières de ce type, c’est la 10°, la ‘desítka’ comme on dit en tchèque. Au début, je buvais essentiellement de la 12°, qui est toujours plus forte et a plus de goût, avant de découvrir la 10°. Toutes les brasseries tchèques produisent de la ‘desítka’, mais celle d’Únětice a un vrai goût, et c’est la différence essentielle. Normalement, la ‘desítka’ est une bière que l’on boit pour étancher la soif sur une terrasse, mais sans plus. Or, la ‘desítka’ d’Únětice non seulement vous rafraîchit, mais elle a aussi le goût de la bière. Il suffit de comparer avec n’importe quelle autre bière de 10° que vous pouvez acheter dans les supermarchés. »
De l’Únětice même « en France »
A Roztoky, commune voisine d’Únětice, les avis sont identiques ou presque. Comme lors du traditionnel carnaval qui relie et rassemble les habitants des deux villages, un événement pour lequel la brasserie produit une brune spéciale de 11° (la Masopustní černá jedenáctka, littéralement « la 11 noire du carnaval »), la bière d’Únětice est généralement celle qui coule à flots dans les nombreuses manifestations, culturelles notamment, organisées tout au long de l’année. C’est également cette même bière qui est servie dans la plupart des cafés et bistrots de Roztoky, comme à l’Eiffel situé sur la place, un café-bar au nom bien français, mais franco-tchèque dans la conception et l’âme, comme l’explique sa propriétaire Petra Přikrylová. Pour elle et son mari Michal, le choix d’Únětice parmi les six à sept bières en pression qu’ils proposent à leur clientèle a été une évidence dès l’ouverture du bar :« Pour nous, cela a été clair dès le départ, car c’est une bière régionale et c’est la préférée des habitants de Roztoky. C’est une des bières que les gens boivent le plus ici. Et puis comme Unětice est une brasserie familiale, ils ont à peu près la même ambiance que chez nous, et je pense que c’est aussi une des raisons pour lesquelles les deux, la bière d’Unětice et notre bar, marchent bien ensemble. »
Et les deux se marient si bien ensemble, comme la bière et la pétanque, et comme tout ce que la bière peut accompagner comme réjouissances et plaisirs de la vie, que nous les retrouverons dans notre prochaine rubrique touristique pour la suite de notre reportage.