A Únětice, l’ukulélé a tout d’un grand
Depuis une dizaine d’années, chaque dernier week-end de juillet, la commune d’Únětice, à une dizaine de kilomètres au nord de Prague, vibre au son d’un instrument au potentiel bien plus important que sa petite taille ne pourrait laisser penser aux esprits railleurs. Petit tour d’horizon musical à la onzième édition du Czech Ukulele Festival, « réputé comme un des meilleurs d’Europe » – et c’est un connaisseur qui le dit !
En cette fin juillet, dans la cour de la brasserie d’Únětice, ni les spectateurs, ni l’ukuléliste britannique Peter Moss ne se laissent rebuter par les averses orageuses : ils sont là pour s’amuser, apprendre et jouer, ou tout simplement pour écouter et prendre du bon temps – comme l’ami Martin Papcun, que l’on a rencontré dans le public, le sourire béat :
« Le ukulélé, c’est un instrument mignon et qui me rend heureux. Je n’en joue pas moi-même ; je me contente d’écouter et de sourire. J’étais déjà venu au festival et j’en étais reparti heureux ; je suis donc revenu cette année. »
Ceci n’est pas une guitare
Mais à vrai dire, savez-vous vraiment ce qu’est un ukulélé ? Attention à ce que vous allez répondre, car la comparaison bien trop rabâchée avec un certain instrument à cordes plus courant et aux dimensions plus conséquentes a tendance à agacer les connaisseurs ! Ecoutons plutôt la définition de Ben Anderson, directeur du festival d’ukulélé d’Únětice :
« L’ukulélé est un petit instrument à cordes, qui ressemble à une guitare – mais ce n’est pas une petite guitare !!! C’est un instrument différent, d’origine hawaïenne, mais avec des racines portugaises. L’ukulélé est un instrument agréable à jouer, que l’on peut emporter partout avec soi, pour en jouer où que l’on se trouve, et pour jouer ce que l’on veut – mais toujours avec le sourire. »
Autre pomme de discorde dans le milieu des ukulélistes francophones comme tchèques : la prononciation du nom de l’instrument. Entre ceux qui préconisent [oukoulélé], a priori plus proche de la prononciation d’origine (dans le Pacifique), ceux qui prennent leur plus bel accent américain pour dire [youkoulélé] ou ceux qui se la jouent branchée avec [youk], il y a évidemment plusieurs écoles, et à RPI, on s’y perd un peu ! On espère que les auditeurs initiés nous le pardonneront…
Petit mais costaud
Mais au fait, comment est née l’idée d’un festival d’ukulélé à Únětice ? Ben Anderson revient sur sa motivation tout à fait personnelle il y a onze ans de cela :
« Je vis à Únětice depuis 23 ans : c’était donc tout à fait naturel pour moi d’organiser le festival ici. Il y a 11 ans, j’ai commencé à jouer du ukulélé : avant, je n’avais jamais joué d’aucun instrument ; je ne suis pas musicien. Je voulais entendre ce que ça donnait lorsque quelqu’un joue bien du ukulélé. Mais il n’y avait personne comme cela en République tchèque et je n’avais pas assez d’argent pour aller encore et encore à des festivals en Europe ou aux Etats-Unis. A la différence de Mohammed, ne pouvant pas aller à la montagne, j’ai donc décidé de l’amener ici ! Et il se trouve que la brasserie d’Únětice venait justement de rouvrir [après plus de 60 ans d’activité interrompue, ndlr] et les gérants étaient très ouverts à de nouvelles idées. Et c’est comme cela que ça a commencé ! »
Depuis cette première édition, qui avait accueilli entre 150 et 200 personnes, le festival a grandi : il se tient désormais sur trois jours et reçoit environ 350 spectateurs par journée. Par ailleurs, l’organisation a un peu évolué : la première journée du festival est désormais excentrée, à un endroit différent chaque année. Il y a eu Karlštejn, Plzeň, un bateau sur la Vltava, la réserve naturelle de Divoká Šárka, mais cette année, c’est à Kutná Hora qu’a été ouvert le festival. De quoi faire découvrir un autre coin de République tchèque aux stars de l’ukulélé internationales ; de quoi faire connaître l’instrument dans le reste du pays, aussi – comme l’explique Tereza Novotná, chargée des relations publiques du festival :
« Grâce au festival, les joueurs d’ukulélé tchèques se connaissent mieux et peuvent s’entraider. Le festival a provoqué la formation de plusieurs groupes amateurs, que nous invitons régulièrement au festival, parmi lesquels U-kůže, un groupe d’habitantes d’Únětice tombées amoureuses de l’instrument à la première édition du festival, et qui ont décidé en conséquence de former un groupe. Mais on peut faire encore mieux : comme vous pouvez le constater, cette année aussi, la plupart des musiciens au programme du festival viennent de l’étranger ! »
Tout sauf sérieux ?
D’ailleurs, comment le programme est-il établi ? Ben Anderson :
« Le critère pour la sélection du programme, c’est que les interprètes doivent jouer du ukulélé, bien entendu, et aussi qu’ils offrent un peu de spectacle. Nous recevons des virtuoses de cet instrument, bien entendu, mais pas que : tout le monde s’endormirait s’il fallait écouter dix virtuoses les uns après les autres ! »
« Il y a deux ans, nous avons reçu par exemple Barada Street, une troupe d’acrobates qui jouent du ukulélé. Nous avons des groupes qui font des parodies de rock’n roll ; cette année, nous avons invité Dead Mans Uke, un duo de contrebasse et ukulélé… Mais dans tous les cas, il faut que le spectacle soit aussi visuel ; il faut qu’il y ait un peu d’humour… Nous ne nous prenons pas vraiment au sérieux. »
Si sur la scène d’Únětice, les ukulélistes ne se prennent pas au sérieux, ils n’en sont pas moins de vrais musiciens, qu’ils soient amateurs ou professionnels. Reprises ou chansons d’auteur ; jazz, swing, blues, rock, folk, classique : on peut jouer de tout avec un ukulélé ! Même du Nirvana, comme le virtuose taïwanais de 16 ans Feng E…
De l’ukulélé de Barbie à la chanson à texte
Et certains interprètes vivent même de leur ukulélé, comme l’autrice-compositrice-interprète britannique Amelia Coburn, ukuléliste depuis bientôt dix ans, et traductrice du français à ses heures perdues. Elle revient sur son choix de cet instrument, alors qu’elle avait 16 ans :
« Petite fille, c’est le piano que je voulais apprendre. Mais je pense que les instruments comme le piano, ou la guitare, sont difficilement accessibles : ils coûtent cher, ils sont difficiles à apprendre sans professeur… Moi, je voulais chanter en m’accompagnant. A un Noël, j’ai donc reçu un ukulélé en cadeau : il était en plastique rose et il avait coûté 20 euros ! Mais j’ai commencé avec cela, avant de m’acheter quelque chose de plus professionnel. »
Le côté accessible de l’instrument est également ce qui a motivé Jordan Joseph, ancien collaborateur de RPI et voix de notre jingle actuel, venu au festival en quête d’inspiration, mais aussi d’une bonne âme pour l’aider à accorder son ukulélé flambant neuf :
« Je voulais découvrir ce festival car le ukulélé est un instrument qui m’intéresse de plus en plus. J’ai envie d’écrire des chansons et de pratiquer le chant, et je pense que le ukulélé est idéal pour commencer à jouer d’un instrument et m’accompagner lorsque je chante les chansons que j’ai écrites. Je pense qu’il pourrait me permettre d’aller ensuite vers la guitare. De plus, le ukulélé est pratique, car petit et facilement transportable ! J’ai commencé à apprendre très récemment ; je n’en suis qu’au tout début : quelques accords et le placement des doigts sur les cordes. Pour cela, j’utilise des vidéos sur YouTube, mais j’aimerais prochainement trouver un professeur pour pratiquer plus sérieusement et passer à une nouvelle étape d’apprentissage. »
Au programme, et hors programme
Comme lui, de nombreux festivaliers ont apporté leur propre instrument. Car la fête ne se cantonne pas aux concerts et au programme officiel, comme l’explique encore Ben Anderson :
« Vous pouvez voir de nombreux spectateurs qui sont venus avec leur ukulélé : peut-être pour participer à un atelier ou à la scène ouverte, mais certainement aussi pour jouer de façon spontanée à un moment ou à un autre du festival, entre eux, mais aussi avec les stars. A notre festival, les stars ne restent pas en coulisses, et ne s’en vont pas non plus une fois leur prestation terminée. »
C’est trop tard pour cette année, mais si vous venez à Únětice pour la douzième édition, restez à la brasserie après le dernier concert du programme : vous pouvez être sûr que la soirée se prolongera au moins quelques heures avec un bœuf musical informel ouvert aux ukulélistes de tous niveaux, horizons et genres musicaux.
En raison de subventions moindres que les années précédentes, l’édition 2023 du Czech Ukulele Festival a été en partie financée par une campagne de financement participatif. Il est toujours possible d’y contribuer : les fonds qui n’ont pas été utilisés pour la 11e édition serviront l’année prochaine ! https://www.donio.cz/11-cesky-ukulele-festival