Adieu 2013, nous t’aimions bien

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Bienvenue chers amis en 2014 sur Radio Prague. Avant d'entrer plus en avant dans cette nouvelle année, il n'est pas inutile de jeter un regard dans le rétroviseur pour tourner pour de bon la page 2013. Sur le plan politico-judiciaire, l’année écoulée a culminé avec l'affaire Nagyová, qui a finalement contraint le gouvernement de droite de Petr Nečas à démissionner et a plongé le pays dans une crise politique à laquelle les élections législatives anticipées en octobre sont censées avoir mis un terme. Avec une bonne dose d’affaires de corruption en tous genres, les journalistes des colonnes judiciaires ne sont pas ennuyés et les Tchèques en ont eu pour leur argent détourné. Tout n’est pourtant pas noir en Bohême, en Moravie et en Silésie. Les Tchèques ont un nouveau président de la République, pour la première fois élu au suffrage universel direct, Miloš Zeman, dont le style légèrement autocratique en agace cependant plus d’un. La plus longue récession économique de l’histoire récente du pays s’est également achevée et la lente reprise de l’activité laisse entrevoir des jours meilleurs. Mais ce n’est pas de tout cela dont il sera question dans cette émission spéciale. Chaque rédacteur de Radio Prague a été invité à sélectionner un extrait d’un reportage ou d’un entretien qui, pour de multiples raisons, l’a marqué ou particulièrement intéressé. Embarquez avec nous pour cette ballade qui vous emmènera sur les traces de la première cinéaste de l’histoire, de la bibliothèque Václav Havel ou encore de l’un des coureurs à pied les plus célèbres de tous les temps Emil Zátopek.

Quand deux Français passionnés par la vie et la carrière d’Emil Zátopek, l’un journaliste et l’autre comédien, se rencontrent à Prague, en plus autour d’un verre de vin, voilà ce que cela donne… En novembre dernier, Eric Cénat, du Théâtre de l’Imprévu, a effectué une tournée en République tchèque au cours de laquelle il a proposé une lecture théâtralisée de « Courir », un livre de Jean Echenoz qui propose une biographie romancée du légendaire coureur à pied qu’était Emil Zátopek. Guillaume Narguet a rencontré Eric Cénat à l’issue de son spectacle donné au café de l’Institut français de Prague. De Zátopek, Guillaume et Eric auraient sans doute pu en parler des heures et des heures encore. Il en est ressorti un entretien diffusé dans nos émissions le 11 novembre dernier. En voici donc un extrait dans lequel Eric Cénat expliquait d’abord pourquoi le personnage très humain d’Emil Zátopek est devenu si attachant pour lui :

« Oui, c’est vrai que Zátopek est un homme avec ses failles. C’est un homme timide, qui a une voix fluette, qui n’est pas toujours très sûr de lui, et en même temps, c’est un immense champion. Sa personnalité me touche forcément. J’ai beaucoup travaillé en lecture de cette manière sur des vies de poètes notamment. Et si je me lance dans un processus de recherche de ce genre, il est évident que l’homme que je vais mettre en valeur me touche très personnellement. »

La vie de Zatopek est un roman. Il y a des passages formidables, ses titres, ses records, etc., mais il y a aussi d’autres passages plus sombres comme son engagement politique au début des années 1950. Pour certains Tchèques, cela peut poser problème. Qu’en est-il pour vous en tant que Français ?

« J’ai l’impression, comme le dit très bien Jean Echenoz, que dans les années 1950, il ne pouvait pas tellement faire autrement que d’être inscrit au Parti. Il était tellement célèbre que s’il n’en est pas, il devient automatiquement un opposant. Je crois qu’il n’avait pas envie de devenir un opposant. Je pense même que, à un moment donné, il a sincèrement cru aux vertus du socialisme, comme beaucoup d’intellectuels de l’Europe entière qui ont mis du temps avant de comprendre. Il a fallu Budapest en 1956, Prague en 1968, pour que certains comprennent ce qui se passait. Les gens ne voulaient pas le croire, le goulag, les déportations, le stalinisme… Les gens n’en avaient pas conscience. Même quand on le leur racontait, ils refusaient de le croire. Lui vivait en Tchécoslovaquie, mais on ne peut pas juger l’engagement d’un homme. Mais les événements de 1968 me touchent, parce que là, Zátopek a tout à perdre. Le peuple lui demande de s’engager, il lui dit ‘Emil, il faut que tu parles !’, et lui le fait. Sur les photos que je projette pendant la lecture, on le voit devant la foule en train de parler. Or, ce n’est pas un tribun, il a une petite voix. Et c’est énorme ce qu’il a payé pour son engagement. »

Quel est l’accueil qui est réservé à votre spectacle en France ? Le nom de Zátopek reste relativement connu, comme celui de Fangio dans le sport automobile ou de Pelé en football, mais de moins en moins des jeunes générations…

« Pour les gens de moins de trente ans aujourd’hui, le nom de Zátopek ne leur parle sans doute plus beaucoup. Moi, j’ai une quarantaine d’années et je suis peut-être la dernière génération à avoir conscience de qui était Zátopek. En France, pendant qu’on courrait, qu’on faisait son jogging, il y avait toujours quelqu’un sur le bord de la route qui criait ‘Vas-y Zátopek !’. Aujourd’hui, ce n’est plus du tout le cas. Donc, la lecture intéresse le public français, d’abord parce que la langue de Jean Echenoz est formidable, elle passe très bien à l’oral, et que le livre est très bien écrit. Moi, je prends beaucoup de plaisir à la dire. Et puis il y a des gens qui connaissaient Zátopek, son nom est lié à leur enfance ou à leur jeunesse. Eux, ça les touche. Et puis, ceux qui ne le connaissaient pas apprennent l’histoire d’un homme, d’un pays et même de ce qu’était une partie de l’Europe avant la chute du Mur. »


Avec le mouvement des Femen, le message féministe s’est bien souvent résumé à une paire de seins, fidèle au format et aux normes du monde publicitaire. En République tchèque, l’association Forum 50%, qui lutte pour que les femmes et les hommes soient représentés en politique de façon égale, a pris à contre-pied cette mode en octobre dernier, lors d’une manifestation pour protester contre l’absence de femmes sur les listes des partis pour les élections législatives anticipées. L’action, annoncée seins nus, s’est finalement déroulée de façon plus classique, mais n’a pas manqué d’attirer tout un essaim de journalistes. C’est le reportage que Lucie a sélectionné.

Place Malostranské, dans le centre de Prague, dans la soirée de lundi. Cinq femmes se rassemblent sous les réflecteurs d’une vingtaine de photographes. Les caméras de plusieurs chaînes de télévision sont également présentes. Les pancartes qu’elles tiennent dénoncent l’absence de femmes en politique et s’adressent aux hommes : « En avez-vous assez dans le caleçon pour voter pour une femme ? » peut-on ainsi lire sur un des panneaux. La présidente de l’association Forum 50%, Jana Smiggels Kavková, prend alors la parole :

Jana Smiggels Kavková | Photo: Česká televize
Pourquoi si peu de femmes sont-elles candidates aux élections législatives qui se tiendront dans deux semaines ? Jana Smiggels Kavková affirme connaître la réponse : « c’est parce que les partis politiques se moquent bien mal d’avoir des femmes sur leurs listes électorales ».« Nous en avons ras-le-bol des promesses en l’air. Nous en avons marre de la politique sans femmes », poursuit-elle. En tout et pour tout, la manifestation dure cinq minutes. A la question de Radio Prague quant à la promesse finalement non tenue de l’exposition de seins nus, Jana Smiggels Kavková explique :

« Nous avons choisi cette forme de protestation parce que nous voulions attirer l’attention des médias et démontrer que seule la promesse de nudité des femmes suscite l’intérêt des journalistes pour nos activités. Plusieurs fois, les journalistes nous ont même incitées à manifester dans le style des Femen. Nous avons donc opté pour ce petit piège, parce que nous avons déjà fait l’expérience auparavant que la qualité de l’information n’est pas positivement corrélée avec l’attention des médias. »

Jana Smiggels Kavková fait ici référence à l’analyse des listes électorales publiée par Forum 50% début octobre et dont l’objectif était alors le même : attirer l’attention sur la sous-représentation généralisée des femmes sur les listes électorales, à l’exception de quelques petits partis. Mais à la différence de la manifestation aux seins nus, la publication de cette analyse était passée inaperçue.

« Le message phare que nous voulons faire passer est le suivant : il y a moins de femmes sur les listes électorales en 2013 qu’en 2010 lors des dernières élections législatives. C’est pourquoi nous demandons à tous les électeurs de voter de préférence pour des femmes. »

Photo: Facebook de Forum 50%
Même en l’absence de seins nus, ceux qui étaient venus à la manifestation ne sont pas repartis tout à fait déçus, puisque cinq hommes du groupe punk « Vagyny dy Praga » ont ensuite chanté tétons à l’air un morceau plaidant pour une représentation « fifty-fifty » des deux sexes…

Ainsi, l’événement provocateur de l’association Forum 50% a réussi à faire d’une pierre deux coups : avertir du très faible nombre de femmes candidates à la Chambre des députés et pointer du doigt l’hyper-sexualisation de l’espace public et des médias pour lesquels la nudité devient un attribut obligé des revendications des femmes.


C’est en novembre dernier qu’a été solennellement ouverte au public à Paris la bibliothèque qui porte le nom de l’ancien président et dramaturge tchèque Václav Havel. La bibliothèque se propose de devenir avant tout un centre d’informations et de loisirs pour les jeunes du XVIIIe arrondissement de Paris, mais son directeur et conservateur Alain Maenen a également l’ambition d’en faire un centre d’informations sur l’œuvre et la vie de Václav Havel. Voici ce qu’il a dit à propos de la mission de cette nouvelle bibliothèque au micro de Václav Richter :

Photo: CT24
« Alors, dans un premier temps, nous allons essayer d’acquérir le maximum possible d’œuvres de Václav Havel et d’autre part nous allons organiser des animations autour de Václav Havel. Il y en a d’ailleurs une qui est prévue au mois de décembre. »

La bibliothèque envisage-t-elle donc de réserver une partie de ses fonds à l’ancien président tchèque ?

« Il y a une partie des fonds qui lui sera réservée. En ce moment, il y a cependant un petit souci, c’est qu’il n’y a pas énormément d’œuvres de Václav Havel disponibles en français. Au niveau éditorial, il faut qu’il y ait des réimpressions de certaines œuvres. Mais dès qu’il y a quelque chose de Václav Havel, on va pouvoir l’acquérir pour créer un fonds spécifique. »

La Bibliothèque Václav Havel existe déjà à Prague. Une collaboration entre les deux institutions est-elle envisageable ?

« Oui, elle est presque souhaitable. Je ne sais pas quelle forme elle pourrait prendre, mais ce serait très intéressant. »

Qu’est-ce que le nom de Václav Havel évoque et représente encore aujourd’hui en France ?

« Il y a deux aspects principaux. Il y a son œuvre de dramaturge et puis surtout les gens, le peuple français, le connaissent plus par son aspect politique et notamment la partie qu’il a prise dans les événements historiques de votre pays ainsi que son rôle de président de la République. »

Qu’est-ce que Václav Havel représente pour vous personnellement ?

« L’humanisme et les lumières. »

Le nom de Václav Havel est-il connu parmi les jeunes en France aujourd’hui ?

« Alors, peut-être que Václav Havel n’est pas forcément très connu, mais une de nos missions, ce sera de le faire découvrir et de concourir à ce qu’il soit plus connu parmi les jeunes gens par le biais de nos acquisitions et par le biais des animations que nous allons faire autour de son nom. »

Pouvez-vous préciser un peu les moyens que vous allez utiliser pour faire connaître Václav Havel en France ?

« Donc acquérir ses ouvrages et puis faire des conférences autour de sa vie et de son œuvre. Et, pourquoi pas, faire des projections de cinéma. Tout est envisageable. Et si jamais il y a une troupe qui monte un spectacle à partir d’une œuvre de Václav Havel, on va lui proposer de sélectionner des extraits et de présenter ce travail dans le cadre de la bibliothèque. »


De la bibliothèque municipale au cinéma de quartier, il n’y a souvent que quelques rues à parcourir. Et c’est vers l’un de ces temples du septième art que nous nous dirigeons. Une série d’événements, souvent de qualité, a mis à l’honneur le cinéma en République tchèque. Le festival international du film documentaire de Jihlava est l’un d’eux. Fin octobre, il proposait notamment une rétrospective de l’œuvre de la cinéaste Alice Guy, la première réalisatrice de l’histoire du cinéma. Présent à Jihlava, nous avions rencontré David Čenek, l’homme en charge de la programmation de cette section.

Au cœur de la République tchèque, à la frontière entre la Moravie et la Bohême, la petite ville de Jihlava s’anime toute une semaine fin octobre au rythme du cinéma documentaire d’Europe et du monde entier. Prague n’est jamais très loin et de très nombreux jeunes de la capitale ont fait le déplacement. Le Café v lese, un établissement bien connu dans le dixième arrondissement pragois, a d’ailleurs pris ses quartiers au sein de la Maison de la culture de Jihlava, où les deux salles de cinéma ne désemplissent pas tout au long de la journée. Là, les visiteurs retrouvent d’ailleurs les fameux pianos qu’Ondřej Kobza, le patron du bar suscité, a installés dans différents quartiers de Prague…

De la musique donc, pas toujours très bien exécutée, mais surtout du cinéma documentaire. Le Festival international du film de Jihlava est le plus grand événement du genre en Europe centrale et il propose une très riche programmation articulée autour de quatre sections compétitives et d’une multitude d’autres pour présenter des cinémas d’ailleurs ou des thématiques particulières. Durant cette édition placée sous le signe d’une bonne récolte si l’on en croît le slogan choisi cette année, le pays de l’Oncle Sam bénéficiait d’un aperçu de sa production contemporaine en documentaires et les élections constituaient la thématique d’une section parallèle, actualité oblige.

Chaque année, le festival propose également une rétrospective et c’est Alice Guy, la première réalisatrice de l’histoire du cinéma, dont la carrière s’est partagée entre la France et les Etats-Unis au début du XXe siècle, qui était à l’honneur de cette 17e édition. Universitaire et spécialiste du cinéma français, David Čenek a pris en charge la programmation de cette section. Au micro de Radio Prague, dans une des bonnes adresses de cette ville de Jihlava, un restaurant mexicain, il raconte :

« Je travaille pour le festival de Jihlava depuis 2004. Je prépare chaque année une partie de la programmation, soit une rétrospective, soit un film contemporain. Alors, je ne suis pas un spectateur habituel, je viens plutôt dans le contexte de mon travail à Jihlava. Et cette année, je suis ici car j’ai préparé la programmation des films d’Alice Guy, qui est la première réalisatrice du cinéma, la pionnière ! »

Pourquoi le festival a décidé d’organiser une rétrospective sur cette réalisatrice ?

Alice Guy
« Parce que dans la programmation d’une autre section, la section Fascinace (Fascination), une section de films expérimentaux, il y a un film expérimental présentant cette réalisatrice. Ce n’est pas un portrait, c’est vraiment un film expérimental qui joue sur les sentiments, qui présente des images, des extraits des films d’Alice Guy. De plus, il y a chaque année une rétrospective qui est liée avec la Journée de l’héritage audiovisuel (Den audiovizuálního dědictví) et nous n’avions jamais eu l’occasion de présenter les films d’Alice Guy. Nous avons donc décidé de le faire cette année. »

Pouvez-vous nous en dire plus sur Alice Guy, la première réalisatrice française…

« La première réalisatrice dans le cinéma mondial. Elle a commencé à tourner des films qui datent je crois de 1896. Elle a travaillé pour Gaumont, elle a été sa secrétaire. Mais par ce travail de secrétaire, elle a aussi commencé à tourner des films qui ont eu beaucoup de succès, tantôt des films documentaires, même si à l’époque on n’utilisait pas le mot documentaire, tantôt des fictions. Ce qui est également intéressant, c’est qu’elle a commencé à réaliser des phonoscènes. Il s’agissait de films qui n’étaient pas muets. Il y avait une synchronisation avec un phonographe. »

Alice Guy a tournée plusieurs centaines de films. Comment les avez-vous sélectionnés ?

« J’ai vu en fait ses films qui ont été conservés aux archives de Pathé-Gaumont aujourd’hui. Gaumont les a déjà édités en DVD. Il y a eu quelques petites rétrospectives. J’ai eu l’occasion d’en voir quelques-unes. Après cela, j’ai pu sélectionner quelques films. Le problème, c’est que la plupart des films dont on parle n’ont pas été conservés alors nous ne les connaissons pas. On n’en connaît que quelques-uns. »

Sur tous les films qu’Alice Guy a réalisés, des films relativement courts, combien ont été conservés ?

« Je dirais qu’il y en a quatre cents, cinq cents mais je n’en suis pas sûr. Le premier problème c’est d’identifier les films dont Alice Guy est vraiment la réalisatrice parce que les films de l’époque n’ont pas de générique. C’est un premier problème. Le second problème c’est de savoir si la copie a été préservée quelque part dans le monde. Je pense que Gaumont a vraiment conservé seulement une petite partie de ces films-là. On en connaît certains qui ont été cités déjà dans les histoires du cinéma, par exemple La fée aux choux. Ils sont courts, cela dépend. Certains durent plus de quatre minutes. »

Alice Guy, « La Pionnière », c’est le titre de l’une des œuvres présentées dans la section Fascinace. A travers un montage de scènes tirées de ses films et du propre témoignage de la réalisatrice, ce court-métrage de Daniela Abke sublime la dramaturgie employée par Alice Guy ainsi que la portée féministe de son travail. Dans cette section compétitive, c’est toutefois le film expérimental Song de Nathaniel Dorsky, un Américain, maître en la matière, qui a été distingué.


Le film est terminé, passons aux arts de la scène. Dominique Houdart, un marionnettiste parmi les plus reconnus, était de passage dans la capitale tchèque en novembre dans le cadre du festival orientaliste « Croissant au-dessus de Prague ». Son charisme et sa vision philosophique de la vie ont marqué Denisa, qui vous propose donc un extrait de l’entretien qu’elle a réalisé avec le maître.

Pour revenir au spectacle, les objets prennent vie parallèlement aux pensées des philosophes. Comment est née cette idée de spectacle ?

Dominique Houdart,  photo: Festival Nad Prahou půlměsíc
« Je raisonne toujours en terme d'objets et en images. Pour moi la philosophie, c'est quelque chose d'important. Plus je vieillis et plus la philosophie me semble essentielle pour la vie de l'homme. Mais en même temps, je me dis, la philosophie s'est un peu enfermée dans un langage compliqué. Beaucoup de gens ne lisent pas la philosophie, parque c'est trop complexe à comprendre. Lorsque je lis un texte, des images me viennent immédiatement. C'est donc de cette façon que la philosophie peut être transmise.

Ce spectacle que vous avez vu, je l'ai joué devant des jeunes, pas des très jeunes, mais des jeunes lycéens ou étudiants, qui me disent toujours après : « Ah, si les cours de philosophies étaient comme cela, il y aurait moins de problèmes ». Je veux essayer de rendre la philosophie agréable à entendre, facile à entendre aussi. Les profs de philo font un très bon travail, mais quelque fois, c'est un peu obscur, un peu fermé. Il m'a fallu attendre des années avant de me mettre à lire les philosophes. Quand je les étudiais en philo, en terminale, cela ne me disait rien. Et puis, tout d'un coup, l'approche de la lecture fait que maintenant, depuis quelques années, je ne lis plus que des philosophes, parce que c'est une source permanente. Mais chaque fois que je les lis, j'essaie de les traduire en images et de me donner un raisonnement imagé. »

« Ce que je veux transmettre, c’est que la philosophie n’est pas un domaine réservé. La philosophie devrait entrer dans tous les cerveaux, dans toutes les lectures. Il faut l'aborder simplement. Certains philosophes commencent à s'y mettre. Le dernier que j'ai joué, Michel Serres, que l'on peut entendre à la radio sur France Info, tous les dimanches, c'est un philosophe qui parle à la population de façon extrêmement simple et claire. Et ce dernier texte, je le trouve formidable, parce que justement, je n'ai pas besoin de compliquer les choses, pour le raconter, il suffit de jouer les mots.

Il faut aller vers les philosophes comme lui, Michel Serres, qui a écrit un bouquin extraordinaire que je vous conseille de lire, et qui s'appelle ‘Petite poucette’. ‘Petite poucette’, ce sont les jeunes d’aujourd’hui. Je vous raconte un petit peu. Les jeunes utilisent leurs pouces pour travailler sur les smartphones. Poucette, pouce. Michel Serres considère que, depuis quelques temps, on avait la tête philosophique dans la tête, et que, maintenant, la tête philosophique est entre les mains. Les mains avec lesquelles on va chercher sur internet des textes etc. Il compare cela à l'histoire de Saint-Denis. Vous connaissez Saint-Denis ? Ce Saint des premiers siècles à qui on a coupé la tête et qui marchait en tenant sa propre tête. Eh bien, Petite poucette, elle tient sa tête dans les mains. Alors, un philosophe comme lui, qui utilise déjà des images très fortes, j’ai voulu lui rendre hommage, en utilisant son texte qui est superbe. C'est écologique de dire : la planète est en train de se détruire.

Les philosophes sont des gens qui nous lancent des alertes, qui nous disent : « Attention, on est en train de détruire le monde, on est en train de vivre n'importe comment. Ressaisissons-nous ». Mon message : lisez les philosophes, cela peut vous aider. La vie politique actuelle dans le monde entier, elle est un peu pourrissante. Mais on peut regarder un petit peu au-dessus, on peut relever la tête. En ce moment on regarde un petit peu trop l'économie, et pas assez les grands sentiments, les grandes idées. Voila le message philosophique qui peut ressortir du spectacle. En tout cas, je l'espère. »


Un message philosophique, c’est ce que les passants sont invités à écrire à la craie sur un mur repeint en noir de l’île pragoise de Kampa. Depuis juin dernier, l’invitation à la réflexion est explicite : « Avant de mourir, j’aimerais… ». Cette initiative insolite de l’artiste et designer Candy Chang a attiré l’attention d’Agnès, qui est allée sur place recueillir les ultimes désirs des Pragois et des touristes qui se sont pris au jeu.

Photo: Kristýna Maková
« Juste avant de mourir ? J’irais faire la fête à Prague ! »

« Moi ? Assurer ma descendance. C’est tout con… ouais, voilà. »

« Moi, je ne sais pas… j’aimerais bien finir mes études, ce serait cool. Parce que là, ça commence à prendre du temps. »

« Moi j’aimerais faire le tour du monde, vraiment. »

« Un dressing rempli à fond, un garage rempli à fond, et une maison avec une grosse soirée avec tout le monde, avec cinquante personnes, piscine et tout… »

« Je prendrais des rouleaux de printemps du Vietnam, puis un velouté de coco de Thaïlande, et… un tiramisu. Voilà ! Ce serait mon dernier repas. »

« On était en effet en train de se dire que, dans les prisons, aux États-Unis, et plus précisément au Texas, les détenus peuvent choisir ce qu’ils veulent manger la veille de leur exécution. »

« Je ferais un triple cork, tu vois ce que c’est ? C’est une figure en snowboard, tu fais trois tours sur toi-même en l’air. Ouais, je pense que c’est ce que je ferais avant de mourir. »

À l’origine, une artiste. Au final, des millions de vœux exprimés aux quatre coins du monde. Candy Chang est une architecte, designer et urbaniste américaine d’une trentaine d’années, installée à la Nouvelle-Orléans, qui a élu la rue et les espaces publics comme point de départ et point d’arrivée de ses projets artistiques, pour parler aux gens autant que pour les faire parler

Suite à la perte subite d’une de ses proches, Candy Chang a décidé de peindre en noir le mur d’une maison abandonnée se trouvant à côté de chez elle, et d’y reproduire au pochoir ce début de phrase : « Before I die, I want to… ». Dès le lendemain et les jours suivants, des dizaines de passants se sont pris au jeu et ont inscrit leur souhait : planter un arbre, enjamber la ligne imaginaire de changement de date, voir une éclipse, trouver l’Atlantide, être entendu, retrouver le voleur de craies, dire à ma mère que je l’aime…

Plus tard, après avoir reçu plusieurs demandes, Candy Chang met à disposition une « boîte à outil » sur internet pour ceux qui veulent fabriquer leur propre mur. Comme une trainée de poudre, l’initiative se répand alors à travers le monde : du Canada aux Philippines, du Guatemala au Koweït, du Danemark aux Émirats arabes unis, du Liban à la Corée du Sud, ou encore d’Israël en Chine, on finit par compter les pays où le mur de Candy Chang n’a pas encore été monté.

« Les deux choses qui valent le plus au monde sont le temps et les relations que nous entretenons avec les gens qui nous entourent. C’est si facile de se laisser embarquer par le train-train quotidien et de passer à côté de ce qui vaut vraiment la peine d’être vécu. Il est plus important que jamais de continuer à faire des projets et de se rappeler que la vie est brève et fragile. »

Sur cette incitation de Candy Chang, saurez-vous trouver ce qu’il y a de plus cher au fond de vous-mêmes, et qui ne cessera de demeurer en vous au-delà des années ?

« Ce que je ferais avant de mourir… humm, voyager autour du monde ? »

« Voler comme un oiseau. »

« Avant de mourir, j’aimerais vraiment être libérée de toute peur. »

« Avant de mourir, je l’épouserai… elle ! »

« Avant de mourir, je veux tuer un politicien. »

« Avant de mourir, j’aimerais me marier. »

« Avant de mourir, je voudrais changer le monde. »


Pour Radio Prague, il est à présent temps de se pencher sur 2014, en vous souhaitant tout d’abord à toutes et à tous une excellente année, « Šťastný Nový rok !». Sur nos ondes, un peu de nouveau, puisqu’un article quotidien sera désormais consacré à l’actualité économique de la République tchèque. N’hésitez pas à prendre la bonne résolution de consulter avec une fréquence accrue notre site internet. Ahoj !