Affaire Babiš: « Du jamais vu à Bruxelles, même du temps de Berlusconi »

Andrej Babiš, photo: ČTK/Igor Zehl

Nouveau rapport préliminaire d’audit de la Commission européenne cette semaine, cette fois-ci concernant le secteur de l’agriculture : on prend les mêmes et on recommence. Le goupe agro-chimique Agrofert fondé par l’actuel Premier ministre Andrej Babis (ANO) est au centre de l’attention de ce rapport, qui se penche également sur le potentiel conflit d’intérêts du ministre de l’Agriculture, Miroslav Toman (ČSSD), dont le frère et le père sont des acteurs non négligeables du secteur.

Miroslav Toman,  photo: ČTK/Michal Kamaryt
Première conséquence ce jeudi : le fonds public agricole (SZIF) suspend toutes les subventions attribuées à Agrofert et aux sociétés de la famille Toman.

Le cas Babiš est assez exceptionnel en Europe, comme nous le confirme Eric Maurice, directeur du bureau de Bruxelles de la fondation Robert Schuman :

« C’est un cas particulier du point de vue des institutions européennes dans la mesure où il s’agit d’un chef de gouvernement. Il n’est pas inhabituel de voir des responsables politiques mis en cause dans des affaires de corruption ou de détournement de fonds européens, mais là, Andrej Babiš est le Premier ministre. C’est lui qui siège au Conseil européen et donc dans ce cas précis c’est une première, avec un chef de gouvernement plus ou moins encore directement chef d’entreprise avec un conflit d’intérêts clair selon ce que l’on sait des premières évaluations de la Commission européenne. Cela est du jamais vu à Bruxelles, même à l’époque de Berlusconi – qui lui-même avait beaucoup d’entreprises et d’intérêts économiques. »

Pourtant, au vu du parcours d’Andrej Babiš et de la taille du groupe Agrofert qu’il a fondé, les constatations établies par l’audit européen ne sont pas vraiment surprenantes. Martin Michelot est également basé à Bruxelles, où il représente l’institut tchèque Europeum :

Andrej Babiš,  photo: ČTK/Igor Zehl
« Est-ce qu’aujourd’hui un milliardaire ou millionnaire quel qu’il soit peut être un dirigeant politique sans à un moment arriver à une situation qui s’apparente à un conflit d’intérêts ? C’est sûr que quand le groupe Agrofert a une telle position dominante dans plusieurs secteurs clés de l’économie comme l’industrie agro-alimentaire, l’industrie chimique et des énergies fossiles, évidemment on peut se poser cette question de savoir ce qu’Andrej Babiš aurait pu faire de plus. Je pense qu’il aurait au moins pu avoir une défense plus ouverte en listant des démarches entreprises pour se prémunir d’un conflit d’intérêts, en étant proactif sur ces questions-là plutôt que d’en arriver à un stade où - comme en France où l’on répète ‘rends l’argent !’ – on a l’impression que c’est lui qui est sommé de rendre de l’argent dont il aurait profité directement. »

Les rapports d’audit de la Commission européenne dont on parle ces derniers jours sont des rapports préliminaires. Que doit-il se passer ensuite ?

Eric Maurice : « C’est un processus qui dure souvent assez longtemps. La méthodologie est la suivante : les experts de la Commission européenne regardent les faits, les chiffres et différents critères puis engagent un dialogue avec les Etats, les gouvernements et les personnes mis en cause dans le rapport. Donc ce rapport ne sera finalisé que lorsque la Commission aura eu des retours, arguments, faits et justifications de la part du gouvernement tchèque et d’Andrej Babiš. »

Pour l’instant, la réponse d’Andrej Babiš à ces nouveaux rapports a été cinglante – tout en refusant de rembourser la moindre somme, il considère tout ça comme « une attaque contre la Tchéquie et contre les intérêts du pays ».

Martin Michelot : « Cette défense n’est pas très originale, on l’entend formulée par tous ceux mis en cause par l’UE comme le Premier ministre hongrois Viktor Orban ou le Slovaque Robert Fico à l’époque. Là, tant avec le « Nid de cigognes » qu’avec les conflits d’intérêts on a franchi une étape supérieure. Ce qui est inquiétant dans la défense d’Andrej Babiš c’est qu’il transforme cette attaque contre lui en une attaque contre le pays. Cette transsubstantiation d’Andrej Babiš qui se met à la place du pays est inquiétante et révélatrice de la manière dont il perçoit sa personne et le pouvoir. »

Quant aux potentielles conséquences de ces derniers développements sur la position de la Tchéquie et d’Andrej Babiš dans les futures négociations avec les partenaires européens, ce sera l’un des sujets abordés dans notre émission de demain.