Nid de cigognes, conflit d’intérêts, motion de censure : un début de mois de juin compliqué pour Andrej Babiš
La police tchèque a proposé, lundi, la mise en accusation du Premier ministre Andrej Babiš et d’une de ses anciennes collaboratrices, dans l’affaire dite du Nid de cigognes. Retour sur une affaire qui agite la scène politique tchèque depuis plusieurs années, dans un contexte pré-électoral où le gouvernement s’apprête à faire face à une motion de censure et où son chef est désormais officiellement désigné par le groupe Agrofert comme son bénéficiaire final.
Le feuilleton politique tchèque a un titre : le Nid de cigognes, du nom de ce complexe touristique luxueux situé à quelques dizaines de kilomètres de Prague et dont le bâtiment principal prend la forme dudit repaire bâti par ces grands échassiers.
Pour la construction de ce complexe, le groupe Agrofert, fondé par l’actuel chef du gouvernement Andrej Babiš, est soupçonné d'avoir perçu des subventions européennes à hauteur de 50 millions de couronnes (environ 2 millions d'euros) - de l'argent qui était normalement destiné uniquement aux petites et moyennes entreprises. Ces soupçons avaient alimenté le mécontentement d’une partie de la population qui avait manifesté en masse il y a trois ans.
Plusieurs personnes, dont Andrej Babiš lui-même et des individus proches de son groupe agroalimentaire Agrofert, dont des membres de sa famille, ont fait l’objet de poursuites depuis l’ouverture de l’enquête en 2015. Avec le temps, celles-ci ont été abandonnées pour la plupart des personnes concernées, dont son fils Andrej Babiš Junior.
Ce dernier s’était retrouvé au cœur d’une histoire digne d’un film mafieux : en 2018, il avait déclaré à la presse tchèque avoir été emmené de force en Crimée pour l'empêcher de témoigner dans cette affaire de fraude aux subventions européennes. Le Premier ministre avait rejeté ces allégations, arguant que son fils souffrait de problèmes mentaux. Cette année, à la mi-mai, Andrej Babiš Junior a réitéré ses accusations d’enlèvement par son tuteur, quelques mois après le classement de son dossier.
Suite à l’annonce de la police, lundi, de proposer la mise en accusation du Premier ministre, ce sera désormais au procureur général de Prague Jaroslav Šaroch de trancher sur les suites judiciaires à donner à l’affaire du Nid de cigognes. En septembre 2019, il avait interrompu la procédure estimant que la fraude n’avait pas été prouvée.
Le procureur général de la République Pavel Zeman, actuellement démissionnaire au 30 juin, était partiellement revenu sur cette décision du Parquet de Prague, en permettant la continuation des poursuites à l’encontre d’Andrej Babiš et d’une son ancienne collaboratrice.
Le principal intéressé a, comme par le passé, nié toute fraude, estimant via une déclaration écrite pour l’agence de presse ČTK que cette « pseudo-affaire montée de toutes pièces (…) réapparaissait à chaque fois avant les élections. » C’est à son vice-Premier ministre Karel Havlíček qu’est revenue la tâche de jouer les pompiers à la Télévision tchèque lundi soir, dans un exercice d’équilibrisme visant à ne pas donner l’impression de mettre en cause l’indépendance de la police :
« On ressort toujours cette affaire avant les élections. Je ne dis pas que la police ressort volontairement l’affaire, je fais juste le constat du timing. On se retrouve à nouveau dans le même cas de figure puisqu’il y a déjà eu une mise en accusation par le passé et que le procureur général y avait déjà mis un terme une première fois. Nous verrons bien ce qu’il va faire cette fois-ci. »
Ce nouveau rebondissement dans l’affaire du Nid de cigognes intervient alors que, jeudi, le gouvernement d’Andrej Babiš doit affronter une motion de censure au Parlement. Le Premier ministre est toutefois assuré de rester au pouvoir jusqu’aux élections législatives d’octobre, le président Miloš Zeman ayant déjà fait savoir qu’il laisserait le gouvernement en place quelle que soit l’issue de ce vote.
Dans un remarquable concours de circonstances, lundi a également été le jour de publication d’un communiqué du groupe Agrofert qui, conformément à la loi entrant en vigueur ce 1er juin, a dû annoncer qu’Andrej Babiš était le bénéficiaire final de la firme. Selon le porte-parole d’Agrofert, cet état de fait ne change rien à la situation du Premier ministre qui « n’est pas en situation de conflit d’intérêts », estime-t-il, puisque ce dernier « ne dirige pas, ne possède pas et n’influence pas » le groupe.
Ce n’est en tout cas pas l’avis de la Commission européenne qui, en vertu d’un audit visant à examiner la situation du Premier ministre tchèque, considère que ce dernier est bel est bien en situation de conflit d’intérêts.
Récemment, la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen a pour sa part adopté un projet de résolution dans ce sens, estimant « inacceptable que le Premier ministre tchèque ait participé, et participe toujours activement, aux négociations du Conseil sur le budget et les programmes de l'UE, notamment aux négociations sur la politique agricole commune, tout en continuant à recevoir des paiements agricoles de l'UE via les sociétés du groupe Agrofert. » Les députés européens se prononceront sur cette résolution lors de la prochaine session plénière entre le 7 et le 10 juin.