Agriculture durable : en Centrafique, le nouveau projet de Siriri et de l’Université des sciences de la vie de Prague
Siriri est une ONG tchèque qui, depuis près de vingt ans, mène diverses actions en République centrafricaine. Depuis peu, en coopération avec la Faculté d’agriculture tropicale de l’Université des sciences de la vie de Prague (ČZU), elle a lancé un nouveau projet dans les environs de Bangui visant à la transformation d’une plantation de palmiers à huile vieillissante en une exploitation moderne et durable sur le plan environnemental. Un vaste projet, aussi, de formation que présente Jana Škubalová, directrice de Siriri.
« C’est une nouvelle coopération que l’on souhaitait mettre en place depuis déjà un certain temps et nous sommes donc très heureux d’avoir pu trouver des personnes à la faculté qui avaient envie de travailler avec nous en Centrafrique. La faculté avait déjà d’autres projets là-bas, donc c’est très bien de pouvoir collaborer de façon pratique. Sur place, ils ont déjà un accord d’échange avec l’Université de Bangui qui est plutôt théorique, alors que ce nouveau projet est davantage axé sur l’aspect pratique et nous permet d’être sur le terrain. »
De quoi s’agit-il exactement ?
« Près de Bangui, dans la ville de Bimbo, se trouvent nos partenaires qui sont les Pères Carmes Déchaux. Ils possèdent un terrain sur lequel se trouvent des palmiers un peu vieillissants et une ferme qu’ils revitalisent petit à petit. Ils agrandissent l’espace de maraîchage et d’élevage. Et notre objectif serait de les aider dans cette transformation en passant de ces plantations de palmiers à une agriculture plus durable, davantage axée sur l’élevage et le maraîchage. Et l’idée est que les employés qui travaillaient dans cette plantation et produisaient de l’huile puissent rester et s’occuper des autres activités de la ferme, car il y a désormais une centaine de vaches, une centaine de cailles et une centaine de lapins. »
« Le projet que nous menons avec la faculté en est encore à ses débuts. Nous sommes en train de monter un dossier pour un appel à projet de l’Union européenne de manière à pouvoir élargir les activités de cette ferme fondée par les Carmes. Car c’est aussi une ferme pédagogique qui est reliée au lycée agricole qui se trouve sur place. La pisciculture est une des activités sur lesquelles nous voudrions faire reposer ce projet. Mais comme il existe un problème avec la nourriture pour les poissons, nous aimerions aussi mettre en place une culture de moustiques et d’insectes qui servirait à leur élevage. Par la suite, les poissons vont produire des déchets qui peuvent être utilisés pour le maraîchage. Ce serait, donc, une sorte d’économie circulaire. »
Les élèves du lycée agricole participeront-ils aussi à ce projet ?
« De manière générale, les élèves participent déjà aux activités de la ferme, puisque la partie théorique ne représente que 30 % de leur formation. Les autres 70 % sont axés sur la pratique. Donc, oui, ils passent l’essentiel de leurs journées au maraîchage et à l’élevage, et ce nouveau projet les concernera directement. »
Qu’est-ce que l’expertise de la faculté d’agriculture tropicale à Prague vous apporte concrètement ?
« Ce qui est très intéressant, c’est que les Pères Carmes ont le terrain et qu’il y a l’espace nécessaire pour réaliser ce type de projet et mettre en place des innovations. Mais si c’est intéressant pour la faculté de Prague, cela peut le devenir aussi pour la faculté de Bangui, qui reste très théorique. »
Partout en Afrique, il existe un problème croissant de désertification et de dégradation des sols, notamment en raison de certaines cultures très intensives, comme la production d’huile de palme. Est-ce le cas également à Bangui ?
« Un expert de la faculté de Prague est venu à Bangui pour faire un état des lieux et évaluer la qualité du sol. Et justement, il s’est rendu compte qu’il fallait le revitaliser. Il a donc établi un dossier avec des informations très intéressantes, avec toutes les étapes nécessaires pour mener à bien le projet. En deux jours, il a vraiment pu faire une analyse approfondie. Cet enseignant s’appelle Jan Staš. C’est donc un partenariat à trois : Siriri s’occupera de la partie logistique, tandis que la faculté de Prague va amener toute son expertise sur place avec aussi une partie enseignement et transmission des savoirs. Mais ils ne vont pas rester très longtemps. Par la suite, le lycée agricole prendra le relais pour poursuivre le projet. »
Ce lycée agricole existe depuis bientôt cinq ans. Quel est le type de formation proposée, et quel est le nombre d'élèves ?
« Le nombre d’élèves varie selon les années. C’est environ une trentaine de personnes par classe pour une formation de deux ans. Ils sont donc au maximum une soixantaine. Une formation d’entrepreneuriat agricole leur est proposée. Il s’agit de leur montrer les différentes techniques, comment s’occuper des sols, comment mettre en place des cultures maraîchères et une activité d’élevage. Quant à la pisciculture, cela représente vraiment l’avenir. »
« Déjà, le nombre de vaches a doublé et elles produisent pas mal de lait, ce qui permet aussi une activité de transformation. Ils commencent à produire des yaourts, du fromage... Autant de choses que ces étudiants apprennent à faire. Certains d’entre eux restent ensuite et sont maintenant employés de la ferme. Par la suite, ces produits sont vendus aux habitants de la ville. Il leur faut donc aussi apprendre à en faire la promotion à travers, par exemple, de petites vidéos ou des annonces à la radio. Des personnes de la classe moyenne et des habitants un peu plus aisés de Bangui viennent là pour s’approvisionner en produits laitiers. »
Siriri mène différentes actions en Centrafrique depuis sa création en 2006. Au-delà de l’agriculture, essentiellement dans les domaines de la santé et de l’éducation. Qu’en est-il aujourd’hui de ces différents projets ?
« La plus grande partie de nos moyens est consacrée à l'éducation, avec le projet ‘Apprendre en jouant’ bien sûr. Nous sommes en train de le faire passer entre les mains des locaux, car un nouvel institut pédagogique a vu le jour dans la ville de Bouar. On voudrait que ce soient ses enseignants qui s’approprient le projet pour le transmettre eux-mêmes à leurs étudiants, qui seront les futurs pédagogues de la zone. C’est pourquoi nous prévoyons pour cette année de faire venir en Tchéquie le directeur de l’institut et son adjoint pour qu’ils puissent voir comment ça se passe dans une classe tchèque et qu’ils puissent ensuite l’intégrer encore mieux à leur niveau. »
Pour ce qui est de l’agriculture, y a-t-il des étudiants centrafricains qui viennent à Prague à l’Université des sciences de la vie ?
« En ce moment, et c’est vraiment tout nouveau puisqu’ils sont arrivés il y a quelques semaines, il y a deux étudiants de l’Université de Bangui de la filière agricole. Mais avec Siriri, nous avons un autre grand projet. Actuellement, nous soutenons 13 étudiants sur place en prenant en charge leur frais de scolarité. En République centrafricaine, si vous voulez faire des études à l’université, il faut payer. Donc, nous trouvons des personnes douées qui peuvent étudier des filières intéressantes pour ensuite apporter quelque chose à leur pays. Mais ces personnes-là n’ont pas les moyens de financer leurs études. Et c’est là que nous intervenons. En ce moment, trois de ces étudiants sont à l’Université catholique de Bangui, où il y a aussi une filière agricole. »
« En Tchéquie, on a parfois l’impression que l’Afrique, c’est comme l’Antarctique, à l’autre bout du monde »
Vous concernant, Jana, comment une Tchèque devient-elle responsable d’une organisation comme Siriri ?
« Je me suis beaucoup intéressée à l’Afrique depuis un séjour à Taizé, en France, où j’avais rencontré des Africains. J’ai toujours beaucoup aimé le français et cette rencontre a été pour moi une découverte. Je me suis dit que c’était magnifique, grâce au français, de pouvoir échanger avec des Africains ! Cette idée a fait son chemin... J’ai ensuite vécu en France et travaillé comme volontaire avec des Africains. C’est comme ça que, petit à petit, j’ai découvert que l’Afrique n’était finalement pas pas si loin. Ici, en Tchéquie on a parfois le sentiment que l'Afrique, c'est à l’autre bout du monde. Pour nous, c’est presque comme l’Antarctique ! »
« Par la suite, je me suis inscrite à l’université à Bordeaux, où j'ai suivi une formation sur trois ans dans le domaine de la gestion de projets de développement durable et de l’action humanitaire. J’avais encore une fois des collègues de classe et même des professeurs qui étaient africains... Et par la suite, je suis aussi partie en stage à Madagascar et au Maroc. Et après les études, j’ai vécu au Mali pendant deux ans. J’ai coordonné des projets de solidarité internationale pour la région Centre, en France, qui a des coopérations à travers le monde dans plusieurs pays. »
« De retour en Tchéquie, j’ai cherché un travail qui corresponde à tout cela, à la coordination de projets dans les ONG. Je connaissais donc Siriri depuis déjà un certain temps et son action m’intéressait beaucoup. Parce que c’était l'Afrique francophone et aussi le milieu chrétien. Et c’est comme ça que les choses se sont faites. »
Depuis, vous êtes allée cinq fois en Centrafrique, un pays où la situation, en matière de sécurité et de développement, est particulièrement compliquée. Quelle découverte en avaez-vous faite ?
« J’étais préparée à tout cela. On m’avait bien expliqué que c’était un pays très pauvre et que ce serait dur. Dans tous les pays où j’étais passée auparavant, j’avais travaillé dans des zones rurales en province. Mais dès mon premier séjour de six semaines à Bangui, j’ai pris conscience de l’extrême pauvreté et du fait qu’une personne sur deux avait faim. Un des premiers mots qu’un étranger apprend est ‘nzara’ - ‘faim’. Ils disent ‘nzara, nzara mingi’ – ‘j’ai très faim, donne-moi quelque chose à manger’. »
Vous avez dit que dans l’idée de beaucoup de Tchèques, l’Afrique était quelque chose de très lointain. On voit, par exemple, avec l’Ukraine ou lorsqu’il y a eu les inondations en Tchéquie l’année dernière, que les Tchèques sont capables de se mobiliser et de faire preuve d’une grande générosité. Quand on travaille pour une organisation comme Siriri, qui entretient un lien avec l’Afrique, est-il plus difficile de sensibiliser les gens ?
« Je ne peux pas dire que c’est facile, c’est sûr. Ce qui marche très bien, c’est de présenter aux gens la réalité sur le terrain. Comme nous connaissons assez bien le terrain, nous sommes en mesure de transmettre cette expérience. Et c’est précisément ce que je m’efforce de faire à travers, par exemple, des conférences ou des débats. Je montre aussi des photos, des images. Et j’essaie d’expliquer aux gens quelle est la situation sur place et ce que nous, en tant que Siriri, faisons. Pour faire évoluer les choses. »
« Pour ce qui est concrètement de l’agriculture, la République centrafricaine est un pays qui est vraiment propice à la culture, car finalement très vert. Certes, pas tout le pays, parce qu’il est divisé en plusieurs zones. Au sud, c’est la forêt tropicale avec encore des animaux comme des éléphants et des gorilles, et aussi le peuple pygmée Aka. Dans le centre du pays, qui est assez vaste, c’est la zone de la savane, et c’est là que nous travaillons essentiellement et où il y a vraiment la possibilité de cultiver. Il y a suffisamment d’eau, finalement. Donc, c’est plutôt une question de savoir-faire. Et, bien sûr, aussi de financements... »
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