Alžběta Skálová : « Être illustrateur, c’est une étiquette dont on se débarrasse difficilement, surtout en Tchéquie »
Illustratrice tchèque récompensée à plusieurs reprises, Alžběta Skálová a fait l’objet d’une exposition à la Villa Pellé, à Prague, cet été. Plus que ses œuvres d’illustration, cette rétrospective mettait en avant ses tableaux à l’acrylique grand format, le tout agrémenté de créations informelles telles que des cartes postales adressées à ses proches. Radio Prague Int. s’est entretenue avec cette artiste touche-à-tout.
Mais avant d’en arriver à l’illustration, Alžběta Skálová s’est intéressée au cinéma d’animation. Elle nous explique son parcours :
« J’ai commencé par étudier le cinéma d’animation, sans doute parce que j’ai des centres d’intérêt multiples. Je fais par exemple de la couture depuis que je suis enfant, je fabriquais des marionnettes… et donc je m’intéresse aux choses en relief, aux objets. (…) Mais finalement, je me suis réorientée en deuxième année pour rejoindre l’atelier d’illustration. Tout simplement parce que ça me convenait plus. (…) Et puis l’autre raison, c’est que je suis partisane des technologies anciennes, pas de l’informatique. D’ailleurs ça ne m’amuse pas, je ne m’y connais pas vraiment et je n’ai jamais eu le désir d’apprendre. Et si on veut faire des films d’animation à l’ancienne, c’est très compliqué à notre époque. »
Alžběta Skálová a cependant récemment eu l’occasion de se remettre au cinéma d’animation avec Kateřina Karhánková, dont le film Plody mraků– Les fruits des nuages a remporté cette année le prix du meilleur court métrage pour enfants à la Berlinale.Alžběta Skálová a donc bien plus d’une corde à son arc, et c’est certainement en partie grâce à l’environnement familial dans lequel elle a grandi : non seulement son père, František Skála, est un artiste pluriel, sculpteur de formation, mais la famille compte également un grand-père illustrateur, un frère sculpteur, et une mère illustratrice de formation qui l’aidait à se préparer aux examens. Ainsi les possibilités de s’essayer à l’art sous différentes formes n’ont jamais manqué à la petite Alžběta.
Désormais adulte, il semble toujours difficile de la mettre dans une case : elle ne se cantonne pas au travail sur papier, et elle aime toujours autant expérimenter avec d’autres matériaux. Elle a par exemple conçu trois oreillers de créateur pour l’entreprise Jenom látky et a choisi d’illustrer la version tchèque des Petits contes nègres pour les enfants des Blancs, de Blaise Cendrars, avec une technique bien particulière :
« Lors d’un séjour organisé pour les étudiants, j’ai eu l’occasion de travailler directement sur les murs d’une vieille maison. En les grattant, j’ai réalisé qu’ils étaient recouverts de plusieurs couches de beaux enduits de différentes couleurs, accumulés au fil des années pendant lesquelles la maison était habitée. Il y avait même certaines couches faites de décors réalisés au rouleau à peinture à motifs décoratifs. Il était possible de décoller ces couches une par une, et ça me semblait fascinant, ce potentiel artistique tout prêt. Il suffisait de gratter, de jouer avec les couleurs… »« Je rêvais de pouvoir reproduire cela sur une surface transportable. J’ai par la suite passé trois semaines à expérimenter avec différents matériaux pour essayer de simuler artificiellement ces couches de peinture pouvant être séparées les unes des autres, sans l’effet du temps et de l’utilisation. (…) Et le résultat me semblait tout à fait adapté pour les Petits contes nègres, parce qu’il s’agit de contes africains, et il me semblait que les couleurs utilisées, qui sont des pigments naturels, correspondaient bien à ce territoire. »
Ces dernières années, Alžběta Skálová aspire à se concentrer sur sa « création libre ». Ses toiles acryliques sont l’expression de son monde intérieur ou de son regard bien singulier sur ce qui l’entoure. On y retrouve parfois la légèreté et les coloris oniriques mêlés à des souvenirs, on y ressent parfois la même beauté pesante que celle portée par les créations de Bohuslav Reynek, un artiste qu’elle apprécie d’ailleurs particulièrement. Ses tableaux sont donc empreints d’une énergie radicalement différente de celle de ses travaux d’illustratrice ; mais ils ont cependant un point commun avec ceux-ci : l’omniprésence de la nature, sous une forme ou une autre. Alžběta Skálová nous explique d’ailleurs que la nature est pour elle bien plus qu’une source d’inspiration : elle fait partie intégrante du processus de création.
« J’ai besoin de la nature pour créer, et surtout j’ai besoin de créer en pleine nature. En fait, j’ai beaucoup de mal à travailler à Prague. J’ai longtemps travaillé dans la maison de campagne familiale, qui est très proche des montagnes de Bohême centrale. C’est un paysage très vallonné et varié, presque volcanique. Je me sens bien dans ce genre de paysages vallonnés, si possible avec des forêts mixtes ou de feuillus. Et j’aime bien m’y trouver seule, ou, du moins, y trouver un certain calme. »
Sa grande sensibilité ne fait pourtant pas d’elle une rêveuse, et Alžběta Skálová a une vision très pragmatique du monde de l’illustration en Tchéquie à l’heure actuelle par rapport à la situation telle qu’elle était pendant la période de la « normalisation » :
« Être illustrateur, c’est une étiquette, surtout en Tchéquie. Il est vraiment difficile de s’en débarrasser. La production d’illustrations telle qu’elle a eu lieu pendant la période de la ‘normalisation’ est unique en ce sens qu’à cette époque, il y avait de nombreux artistes de qualité qui s’adonnaient à l’illustration. C’étaient des peintres, des sculpteurs ou d’autres artistes qui ne pouvaient alors pas se consacrer à leur création libre, donc ils réalisaient des illustrations. Ainsi, le milieu de l’illustration n’était pas fait que d’illustrateurs. De plus, ils étaient très bien payés, parce qu’il était toujours tiré un nombre très important d’exemplaires, du fait que le marché était fermé, que les livres étrangers n’y pénétraient pas. Cela a donc permis la création de livres absolument incroyables d’un point de vue artistique. »
« Aujourd’hui, outre Meander et Baobab, il y a de plus en plus de maisons d’édition pour enfants qui proposent des beaux ouvrages. Il faut cependant faire la différence entre les ouvrages tchèques originaux et les emprunts à la littérature pour enfants étrangère : éditer des créations tchèques, c’est extrêmement coûteux. La maison Baobab, par exemple, ne peut le faire qu’à l’aide de subventions. »
Des beaux livres que les enfants – et les plus grands – peuvent admirer par exemple lors du festival des petites maisons d’édition Tabook, qui est organisé chaque année à l’automne dans la ville de Tábor, en Bohême du Sud.