Amadis de Gaule, source d’inspiration pour les compositeurs lyriques (2ème partie)
Amadis de Gaule, héros le plus populaire des romans de chevalerie du XVIe siècle, n’a pas disparu avec son temps. Sa trace dans la culture occidentale réapparaît plusieurs fois par la suite et il attire surtout les compositeurs lyriques dont Jean-Baptiste Lully, Georg Friedrich Haendel, Jules Massenet et aussi Johann Christian Bach. Ce fils du grand Johann Sebastian Bach surnommé le Bach de Londres, est l’auteur de l’opéra « Amadis de Gaule » qui a donné aux aventures fabuleuses du chevalier sans peur et sans reproche une forme musicale très novatrice pour l’époque. L’opéra écrit sur un livret français a été créé à Paris en 1779. Il semble qu’aujourd’hui cette œuvre de Johann Christian Bach commence une nouvelle vie. Un des artisans de la redécouverte de l’opéra, le chef d’orchestre Didier Talpin, a présenté le 1er décembre 2010 cette œuvre à l’Opéra d’Etat de Prague avec une distribution internationale et un orchestre composé de musiciens tchèques et slovaques. Parmi les solistes, il y avait la soprano Hjördis Thébault et le baryton Pierre-Yves Pruvot qui ont bien voulu évoquer « Amadis de Gaule » de Johann Christian Bach au micro de Radio Prague. Voici la seconde partie de cet entretien :
Hjördis Thébault : « Je dirais que non. Pas spécialement. C’est exigeant comme musique et comme écriture, mais c’est extrêmement bien écrit pour la voix, il n’y a pas de difficultés insurmontables. Personnellement, je n’ai pas ressenti de difficultés, même au contraire j’ai trouvé que c’était un rôle très confortable vocalement et qui permet justement par ce confort d’exprimer tout ce qu’on a envie d’exprimer. On n’est pas bloqué par quelque chose de technique qui vous obnubile et vous empêche d’exprimer les sentiments. En ce qui me concerne c’est même un rôle très agréable à chanter.»
Pierre-Yves Pruvot : « De mon côté aussi. Il faut également penser au fait que depuis quelques années a commencé une redécouverte de toute cette période de l’opéra français entre 1780 et 1850 où on a l’impression qu’il ne s’est pas passé grand-chose parce qu’il n’existe pas d’enregistrement et parce qu’il n’existe pas d’édition. Grâce à un des partenaires de cette production, le Palazzetto Bru-Zane, une grande campagne de redécouverte de ce répertoire est en cours, et on a la chance d’avoir ici une équipe de chanteurs qui depuis plusieurs années se plient à la redécouverte du répertoire de cette époque-là. Ces chanteurs commencent aussi à avoir des habitudes, des réflexes pour cette musique-là, de la façon dont il faut la chanter, pour dire le texte et interpréter la musique ce qui donne effectivement un certain confort aux interprètes. Même si l’œuvre est inconnue, on est maintenant dans une continuité de la musique, on sait ce qui s’est passé avant. On sait ce qui s’est passé après, et on vient un peu renouer les maillons qui manquent. Cela apporte beaucoup de confort parce qu’on n’est pas dans un répertoire complètement inconnu. »
Quelles sont les qualités purement musicales de cet opéra qui est parfois comparé à Don Giovanni de Mozart et même à Fidelio de Beethoven. Ces comparaisons sont-elles justes ?
Pierre-Yves Pruvot : « Ce qui est évident, c’est que Mozart connaissait très bien Johann Christian Bach. Il avait beaucoup d’admiration pour lui. C’est bien possible que Mozart ait entendu des répétitions à Paris puisqu’il y était à l’époque, et qu’il ait eu la partition entre les mains à un moment donné. On trouve des choses qui sont récitées dans l’œuvre de Mozart plus tard et on en trouve dans les opéras de Gossec et de Grétry aussi. On sait que Mozart était un lecteur affamé de partitions. Donc quand Mozart est venu à Paris il a lu beaucoup de musique de l’époque. Maintenant qu’on commence à redécouvrir ces autres musiques et on voit que Mozart a forcément lu ces choses-là même si on sait qu’à deux endroits différents peuvent naître des choses très proches. Mais là, il est évident qu’il y a eu quand même la connaissance du style de l’époque. Johann Christian Bach a composé cet opéra dans un contexte assez particulier puisqu’il y avait à cette époque à Paris ce qu’on appelait ‘la Querelle des bouffons’ où l’on opposait la musique italienne à la musique allemande de Gluck. Et les compositeurs français choisissaient soit le camp italien, soit le camp allemand. Johann Christian Bach était allemand de formation mais, ce qui est très impressionnant, c’est que cette œuvre est quand même très française par le ton. Johann Christian Bach parlait remarquablement bien français, il n’y a quasiment aucune faute de prosodie dans la partition. Parfois vous avez un compositeur qui écrit dans une langue qu’il ne maîtrise pas et c’est assez maladroit. Ici ce n’est pas du tout le cas. Le français est bien déclamé et la chose remarquable de cette partition est que tous les récitatifs sont accompagnés à l’orchestre ce qui se faisait assez peu à l’époque. On avait quelques récitatifs accompagnés à l’orchestre et le reste était accompagné au clavecin avec une basse de viole. Ici tous les récitatifs sont accompagnés au moins par l’orchestre à cordes et parfois aussi par d’autres instruments comme dans la scène de la tombe où l’on entend la voix d’Ardan Canil, la voix cachée. Vous y avez tout l’orchestre qui joue avec les cors, les trombones, les clarinettes, les bassons, etc. C’est donc assez rare pour le coup. C’est assez allemand mais traité dans un ton français.Et il est vrai que par exemple cette scène du tombeau évoque absolument la voix de la tombe de Don Giovanni, la voix du Commandeur. Même si Mozart ne reprend pas exactement la même chose, il est dans le même esprit. C’est des choses qui existaient avant mais qu’on connaît mieux maintenant. On rend finalement les choses à leurs places en découvrant tous ces opéras qui ont disparu. »
Hjördis Thébault : « Il y a aussi beaucoup de choses inspirées par Gluck. Certaines parties chorales où l’on sent aussi le rapprochement avec Gluck. Et puis je trouve que Bach a un très grand sens théâtral dans cette œuvre. La musique est vraiment écrite d’un point de vue de la déclamation que je mettrai presque parfois en lien avec la tragédie lyrique française de l’époque de Lully où tout était très déclamé, mais en même temps dans le style de Bach. Cela n’a quand même rien à voir stylistiquement mais je trouve qu’il y a des rapprochements dans la façon de traiter le texte. Et puis, c’est une musique très très expressive aussi. On est presque étonné que cet opéra n’ait pas connu plus de représentations même à notre époque. Musicalement, c’est extrêmement riche et théâtralement aussi. »
Vous dites que maintenant Amadis sera porté à la scène. Donc ce sera une mise en scène avec des décors, des costumes et tout cela. Allez-vous participer à cette production ?Hjördis Thébault : « A priori non puisque c’est organisé par un tout autre ‘circuit’. On essaiera par contre d’aller la voire parce qu’on sera évidemment très intéressés de voir cette œuvre en scène et comment un metteur en scène peut traiter ce texte, cette musique. Je crois qu’il est prévu que les décors d’époque soient reconstitués aussi. Je pense que ce sera non seulement une curiosité mais également quelque chose de très intéressant et j’espère surtout que cela fera rentrer l’œuvre au répertoire de certains théâtres parce qu’elle est absolument magnifique. »