Amadis de Gaule, source d’inspiration pour les compositeurs lyriques (1ère partie)

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Au XVIe siècle, la saga d’Amadis de Gaule a sans doute été le roman le plus célèbre en Europe. Ce roman de chevalerie en 24 tomes, dont les 13 premiers sont écrits en espagnol et les autres en français, est l’œuvre de plusieurs auteurs. L’histoire d’Amadis, fils du roi fabuleux de France et qui fait de nombreux exploits héroïques pour l’amour de la belle princesse Oriane, a été aimée passionnément par plusieurs générations de lecteurs et a inspiré de nombreux artistes. Même Miguel Cervantes aimait Amadis, et le héros immortel de son roman Don Quichotte cherche à imiter les actes héroïques du chevalier gaulois.

Parmi les compositeurs inspirés par ce roman de chevalerie figure aussi Johann Christian Bach, un des fils du grand Johann Sebastian. Le 1er décembre dernier, les Pragois ont eu l’occasion d’assister à la représentation de l’opéra de Johann Christian Bach « Amadis de Gaule », que le compositeur avait écrit sur un livret français pour l’Académie royale de Musique et qui avait été créé en 1779 en présence de la reine Marie-Antoinette. A Prague cette tragédie lyrique en trois actes a été donnée par un ensemble composé d’artistes français, tchèques et slovaques placé sous la direction du Didier Talpin. Parmi les chanteurs de cette production figuraient la soprano Hjördis Thébault et le baryton Pierre-Yves Pruvot qui campaient les rôles des enchanteurs Arcabonne et Arcalaüs. Ce sont ces deux artistes qui ont parlé de cet opéra au micro de Radio Prague :

Pourquoi Amadis de Gaule de Johann Christian Bach ? Quelle a été la genèse de ce spectacle ?

Pierre-Yves Pruvot : « J’ai rencontré le chef d’orchestre Tidier Talpin il y a une douzaine d’années et il m’a proposé de donner cet opéra en version concert et puis pour de multiples raisons, notamment budgétaires, le projet n’a pas eu lieu. C’est donc un projet qu’on a quelque part dans un coin de la tête et qui finalement se réalise cette année. »

Amadis est un sujet très aimé par les auteurs de livrets d’opéra et par les compositeurs lyriques aussi. Un très bel opéra à ce sujet a été créé par Haendel par exemple. Comment expliquez vous la popularité de ce sujet ?

Pierre-Yves Pruvot,  photo: Philippe Grunchec
Hjördis Thébault : « A l’époque, c’était un roman de chevalerie qui était très populaire en France parce que Louis XIV se comparait à Amadis. Amadis était le modèle du pré-chevalier, noble et courageux. Louis XIV se réclamait de ce personnage puisqu’il a même commandé à Jean-Baptiste Lully un opéra sur le sujet. Ce roman était très populaire et cette popularité a perduré pendant plusieurs siècles après, puisque même Massenet a fait un ‘Amadis de Gaule’ beaucoup plus tard bien sûr, au XIXe siècle. C’est toujours le thème de la belle princesse et du beau chevalier qui s’aiment, il y a un malentendu entre eux, ils se disputent et finissent pas se retrouver avec tout autour une troupe de méchants qui les empêche d’être ensemble et de vivre leur amour. Le sujet n’est pas extrêmement original mais c’était une espèce de grande saga avec des rebondissements, avec des aventures et vu le succès qu’il avait eu, cette popularité a perduré à travers les époques. »

Comment finalement cet opéra s’est-il retrouvé parmi les œuvres lyriques de Johann Christian Bach ?

Pierre-Yves Pruvot : Johann Christian Bach était un des fils du compositeur Johann Sebastian comme Carl Philipp Emanuel ou Wilhelm Friedemann. Johann Christian s’est tourné assez vite vers l’opéra. Il a fait une carrière assez internationale. La plupart de ses opéras a été jouée à Londres. Et donc il a eu une commande de l’Opéra de Paris pour cet Amadis de Gaule sur le livret de Quinault qui avait servi pour Lully, livret qui a été repris par le directeur de l’Académie royale de l’époque qui s’appelait Devismes pour en faire une version écourtée en trois actes et resserrée. Il y a donc moins de personnages

Johann Christian Bach
et moins d’aventures annexes et on a remis le livret qui avait servi au Lully au goût du jour, cent ans plus tard, dans une version plus moderne. Et cet opéra créé en 1779 n’a malheureusement connu que deux représentations à l’opéra de Paris. Johann Christian Bach en a fait plus tard une version allemande. L’opéra a été peu joué du vivant de Johann Christian Bach. L’Opéra de Paris lui a commandé un autre opéra qui n’a jamais vu le jour. »

Est-ce un opéra qui est joué de temps en temps ou c’est vraiment un événement exceptionnel auquel nous avons la chance d’assister ?

Pierre-Yves Pruvot : « C’est assez exceptionnel. C’est un opéra qui n’est pas encore beaucoup joué. Il a été rejoué pour la première fois en 1979 pour le bicentenaire de l’œuvre. Il a été donné à l’époque à la Radio française. Il y a eu quelques productions depuis, notamment aux Pays Bas et tout récemment, je crois, c’était à Mannheim. Par contre l’année prochaine l’œuvre va être redonnée sur scène à l’Opéra comique à Paris, à l’Opéra royal à Versailles et au Théâtre national de Ljubljana. Donc il va connaître une nouvelle vie parce qu’une nouvelle édition a été aussi réalisée pour l’enregistrement à l’occasion des concerts à Prague et à Bratislava, qui va permettre à l’œuvre d’être diffusée un peu plus largement et de retrouver la place au répertoire. »

Maintenant nous aurons à la disposition l’enregistrement que vous avez réalisé vous-mêmes. Que pouvez-vous dire de cet enregistrement ?

Hjördis Thébault,  photo: Philippe Grunchec
Hjördis Thébault : « C’est en français et c’est donc la langue originale de l’œuvre ce qui est quand même important puisque Johann Christian Bach l’a écrite à partir d’un livret en français. Voilà, c’est interprété par des instruments d’époque. Ce qui est aussi important parce qu’on essaie de recréer les sons et l’esthétique de l’époque. »

Est-ce que le travail sur cet opéra a été un enrichissement pour vous ?

Pierre-Yves Pruvot : « Chaque nouveau rôle est un enrichissement pour un chanteur. Ce qui est intéressant, c’est quand on aborde cette période mal connue de l’histoire de l’opéra, de pouvoir reconstituer des chaînons manquant entre les opéras qu’on connaît, avant et après. Chaque nouveau rôle est donc un enrichissement pour un chanteur. »

Hjördis Thébault : « En plus, les personnages sont assez caractérisés. C’est des archétypes. Nous par exemple, on fait les deux méchants et qui sont vraiment extrêmement méchants. Il y a des scènes infernales avec des démons, des scènes d’invocation, une voix de la tombe et c’est assez amusant de jouer des personnage assez archétypaux. C’est plutôt drôle parce qu’on peut laisser libre cours à son imagination pour caractériser le personnage. Et puis la musique est extrêmement belle, très expressive et cela contribue vraiment à créer un personnage et à faire passer aussi le texte qui est très très beau aussi… »

Dans quelle mesure la trame de cet opéra est-elle importante pour vous ? Arrivez-vous à vous identifier avec les personnages fabuleux de cet opéra ?

Hjördis Thébault : « Ils sont fabuleux, mais ils sont aussi très humains. Donc ils ne sont pas une sorte de modèle inaccessible puisque le thème central c’est l’amour, la jalousie, la vengeance, des thèmes liés à l’homme et à ses passions. C’est des trames assez basiques, je dirais. Il n’y a rien de révolutionnaire dans ce qui est proposé. Ce sont donc des personnages féeriques, fabuleux et en même temps avec des passions et des sentiments très humains. »