Aménagée en musée, l’ancienne fortification « Na trati » maintient vivant le souvenir de la mobilisation générale de septembre 1938
Focus, aujourd’hui, sur l’histoire des fortifications surnommées « la petite ligne Maginot ». Edifiées entre 1935 et 1938 grâce à une coopération militaire avec la France le long de la frontière nord entre la Bohême et la Moravie, leur but était d’assurer la défense du pays face à Hitler ; une ligne ininterrompue de 10 000 constructions de béton et de fer, depuis les monts des Géants jusqu’à la ville d’Ostrava. Près d’un million d’hommes appelés en septembre 1938 sous les drapeaux étaient prêts à y défendre le pays. Finalement, les fortifications sont restées inexploitées. Il y a 74 ans de cela, le 29 septembre 1938, les accords de Munich étaient signés, permettant à Hitler d’annexer les Sudètes. Aujourd’hui encore, on trouve dans les régions limitrophes les constructions gigantesques d’anciennes fortifications. Quelques-unes sont aujourd’hui aménagées en musées : c’est le cas de celle qui s’appelle « Na trati » et qui est située près de Bohumín, pas loin de la ville d’Ostrava.
« Les ouvrages de la région de Bohumín ont été conçus avec le concours de constructeurs français, suivant l’exemple de la ligne Maginot. Moins expérimentés dans la construction de ce type d’ouvrages, les Tchèques ont fait appel aux ingénieurs français et c’est pour cela que les ouvrages édifiés au nord de la Moravie portent en soi des éléments de fortification typiques de l’école française. »
Les plans de construction des fortifications ont vu le jour dans l’Armée tchécoslovaque peu après l’arrivée de Hitler au pouvoir, en 1933. Grâce à une coopération de longues années avec la France, des stages d’officiers ont été convenus, et c’est ainsi que des spécialistes militaires tchécoslovaques ont pu se rendre dans la région fortifiée de la Trouée de la Sarre. A leur retour, une ligne longue de 263 kilomètres a été tracée le long de la frontière nord de la Tchécoslovaquie. Dans les plans de défense de l’armée, la région d’Ostrava a figuré parmi les priorités absolues. En 1935 commence la construction de huit premiers ouvrages de type MO-S 5 autour de Bohumín. Par leur forme atypique, ils ressemblent beaucoup à la ligne de casemates de type STG dans la Trouée de la Sarre, observe Martin Hejda en nous conduisant dans les intérieurs obscurs et froids de l’ouvrage Na trati, une construction unique à deux ailes reliées par une galerie de 22 mètres, aujourd’hui caché en dessous d’un carrefour de routes. Autrefois, cet ouvrage était situé sur une voie ferrée reliant Bohumín à Annaberg en Allemagne:« L’ouvrage Na trati a été construit dans le cadre du secteur fortifié de Bohumín. Il est l’un des plus anciens à l’échelle du pays. Il est aussi tout à fait atypique tant par sa situation que son équipement. Le béton a été employé pour la protection de l’armement dont les murs exposés avaient 3,5 mètres d’épaisseur : ainsi, 4 314 mètres cubes de béton armé ont été nécessaires pour la construction de ce seul segment. La galerie principale est longue de 66 mètres. La société Skorkovský de Prague qui a réalisé les travaux, a réussi à terminer cet ouvrage en quinze jours, au mois de juin 1936. La construction de l’ensemble du secteur fortifié de Bohumín a débuté en octobre 1935. En accord avec l’appel d’offres, la société n’avait que 200 jours pour terminer la construction des huit ouvrages de ce secteur. »
En 2004, l’ouvrage Na trati a été classé monument culturel. Depuis onze ans, il est réparé et entretenu par les membres du Club d’histoire militaire de Bohumín et c’est grâce à eux qu’il se présente aujourd’hui aux visiteurs tel qu’il était en automne 1938, lorsque l’armée le quitta. Ainsi, en ce moment, le club est en train d’installer une nouvelle cloche comme on appelle une sorte de blindages en acier ayant servi essentiellement à l’observation. La fortification Na trati avait dans son équipement plusieurs canons antichars ainsi que des mitrailleuses. L’entrée était protégée par les créneaux et deux portes blindées étanches lourde chacune de 600 kilogrammes et assurant aux soldats un certain confort, celui de pouvoir séjourner dans ce milieu peu accueillant sans masques à gaz. La relève était effectuée bimensuellement. Edifié en 1936 et équipé d’armement un an plus tard, l’ouvrage a connu un destin mouvementé :« En 1938, lors de l’occupation de la région de Záolší, ces ouvrages ont incombé à la Pologne, laquelle a voulu en faire son propre système de fortification face à l’Allemagne. La frontière entre la Pologne et l’Allemagne passait par le confluent des rivières Oder et Olše. Pendant un certain temps, les soldats polonais sont restés stationnés dans les fortifications tchécoslovaques. En 1939, l’ensemble du secteur fortifié est devenu propriété de l’Allemagne et il a cessé d’être utilisé comme dépôt de munitions. L’armée allemande a pris tout ce dont elle avait besoin : armes, moteurs, câbles électriques, éléments de ventilation… Beaucoup d’éléments d’origine ont été volés dans les années 1970. Un travail énorme nous y attendait. Ce que nous montrons aujourd’hui aux visiteurs a été reconstitué en l’espace de trois ans, conformément aux plans d’origine. »
On retrouve ainsi sous terre une caserne avec les chambrées pour la troupe et une salle indépendante pour le commandant, une cuisine, une infirmerie, une salle de filtres à air en cas d’attaque au gaz, une centrale de production d’électricité, une centrale téléphonique, des réservoirs d’eau…Tous ces organes sont reliés par une galerie aux blocs de combat, où se trouve un canon antichars de type 36. Vladimír Konečný est l’homme qui l’a restauré :
« Nous voilà dans le principal bloc de tir, où on a installé le canon antichars tchécoslovaque de 47 millimètres, modèle 36, solo, capable de percer à une distance de 1500 mètres les blindages des chars épais de 30 millimètres. Dans l’armement de 1938, on a aussi utilisé le canon modèle 36 jumelé à la mitrailleuse lourde, modèle 37. Le canon exposé ici est un original : les membres de notre club l’ont découvert en France. Après quatre années de négociations avec la partie française, ils ont obtenu l’autorisation de l’exporter. »Comme le précise encore Vladimír Konečný, le poids du canon antichars est de 22 kilos. La version solo correspond, à ses dires, à la conception française d’origine, lorsque chaque créneau protège un canon, alors que plus tard, les constructeurs tchécoslovaques ont procédé au jumelage pour deux mitrailleuses.
L’ouvrage fortifié Na trati près de Bohumín témoigne du niveau élevé des ingénieurs, des techniciens et des constructeurs. Il témoigne aussi de l’enthousiasme des hommes appelés en 1938 sous les drapeaux. Après une mobilisation partielle des réservistes, le 13 septembre 1938, tous les hommes de moins de 40 ans ont été mobilisés dix jours plus tard. Ainsi près d’un million d’hommes se sont présentés, prêts à défendre leur patrie. Or, le 29 septembre, les accords de Munich étaient signés entre Hitler, Mussolini, Chamberlain et Daladier. La Tchécoslovaquie a perdu deux tiers de ses territoires limitrophes. L'ordre de démobilisation donné le 6 octobre 1938 a suscité un désaccord général dans l’armée. La déception des soldats prêts à combattre était inimaginable. Beaucoup d’entre eux sont partis combattre sur les fronts est et ouest, en France et en Grande-Bretagne…