Amour, vérité et autres "petits" mots de Václav Havel
Sans aucun doute, que ce soit sur Radio Prague, dans les médias tchèques et internationaux, tout ou presque a été dit sur Václav Havel, sa vie et son œuvre, dans la semaine qui a suivi sa mort, le 18 décembre dernier. Depuis, après s’être pratiquement arrêtée l’espace de quelques jours, du moins en République tchèque, la vie, fêtes de fin d’année aidant, a repris son cours. Pour nous, l’événement de son décès, aussi triste soit-il, n’en reste pas moins l’occasion de revenir sur les mots et petites phrases prononcés par Václav Havel depuis l’éclatement de la révolution, fin 1989, qui a entraîné la chute du régime communiste et l’arrivée à la tête de l’Etat tchécoslovaque puis tchèque de l’ancien dissident… Autant de mots et de phrases qui resteront gravés dans l’histoire…
« Milí spoluobčané, čtyřicet let jste v tento den slyšeli z úst mých předchůdců v různých obměnách totéž: jak naše země vzkvétá, kolik dalších miliónů tun oceli jsme vyrobili, jak jsme všichni šťastni. Předpokládám, že jste mne nenavrhli do tohoto úřadu proto, abych vám i já lhal. Naše země nevzkvétá. »
« Chers concitoyens, pendant quarante ans, en ce jour, vous avez entendu de la bouche de mes prédécesseurs la même chose formulée de diverses manières : que notre pays prospère, combien de nouveaux millions de tonnes d’acier nous avons produits, et que nous sommes tous heureux. Je suppose que vous n’avez pas voulu me voir occuper cette fonction pour m’entendre moi aussi vous mentir. Notre pays ne prospère pas. »
Ces mots, que vous venez d’entendre ou lire, sont ceux qui ont été prononcés par Václav Havel devant les caméras de télévision le 1er janvier 1990, soit quelques jours seulement après sa nomination à la présidence de la République, en ouverture de son premier discours du Nouvel an. Le président philosophe en prononça de nombreux autres par la suite, jusqu’en 2003, mais son premier, très tranchant, reste le plus célèbre d’entre tous.
Dans celui-ci, Václav Havel parle donc, malgré l’euphorie générale alors ambiante dans la société tchécoslovaque et plus largement dans toute l’Europe, d’un « pays qui ne prospère pas » - « naše země nevzkvétá », contrairement donc à ce qu’avaient affirmé pendant quatre décennies ses prédécesseurs communistes au Château de Prague. Une façon pour lui de faire ouvrir les yeux aux Tchèques et Slovaques, nombreux à vivre dans l’illusion qu’un avenir radieux les attendait. Malgré la liberté retrouvée, Václav Havel voulait leur faire comprendre que c’était désormais travail et abnégation qui les attendaient en premier lieu.
Dramaturge et écrivain, Václav Havel avait la faculté, le don, de savoir employer les mots comme peu d’autres hommes politiques de son époque. Mais plus que le sens de la formule, l’ancien dissident qu’il était avait pris conscience de la force des mots sous le totalitarisme, lorsque l’emploi de ceux-ci était l’un des rares moyens de lutter contre le régime. Tout cela explique pourquoi certaines phrases de Václav Havel sont entrées dans l’Histoire en s’imprimant pour toujours dans la mémoire des gens.
La formule la plus forte a sans nul doute été celle qui est devenue le symbole de la Révolution de velours : « Pravda a láska musí zvítězit nad lží a nenávistí » - « La vérité et l’amour doivent triompher de la haine et du mensonge ». L’idée d’Havel était alors d’agir sans violence et sans rancune personnelle pour installer la démocratie, en affirmant « Nejsme jako oni » - « Nous ne sommes pas comme eux », sous-entendu les communistes. Et si aujourd’hui cette phrase fait plus rire qu’autre chose un certain nombre de Tchèques et de politiques, elle n’en a pas moins été le slogan de l’important mouvement pacifiste de révolte en 1989, le slogan d’une révolution souvent citée en exemple aujourd’hui encore dans de nombreux pays du monde.Autre formule restée très célèbre : la « blbá nalada »évoquée pour la première fois par le président en septembre 1997. Václav Havel avait alors voulu décrire l’atmosphère suffocante et négative qui régnait alors dans la société tchèque. Littéralement « humeur bête », « blbá nalada » désigne une certaine forme de morosité, de manque ou de perte d’espoir, un manque d’enthousiasme, ou plus simplement une mauvaise humeur générale. A l’époque, les premiers scandales liés à la transformation économique du pays, aux immenses privatisations, éclataient au grand jour et les gens de la rue avaient déjà perdu une grande partie de leurs illusions du début des folles années 1990.
Trois ans plus tard, en 2000, Václav Havel, qui visait indirectement celui qui allait lui succéder à la présidence de la République, l’autre Václav, Klaus, Premier ministre pendant justement les sulfureuses années de transformation économique, parla encore de « capitalisme mafieux » - « mafiánský kapitalismus ». Plus que jamais, la guéguerre idéologique avec Václav Klaus battait alors son plein. Et cette guerre des mots et des petites phrases dura plus de vingt ans, ne s’achevant finalement qu’avec la mort de Havel.
Mais nous reviendrons sur tout cela dans la prochaine émission dans quinze jours. D’ici-là, portez-vous du mieux possible - mějte se co nejlíp !, portez le soleil en vous - slunce v duši, salut et à bientôt - zatím ahoj !