André Glucksmann: Anna Politkovskaïa était une femme d'un courage extraordinaire
C'est à la journaliste russe, Anna Politkovskaïa à laquelle les habitants de la capitale russe font ce mardi leurs adieux, que le philosophe français André Glucksmann a consacré le débat qui s'est déroulé lundi, à Prague, dans le cadre de la conférence Forum 2000, sur le thème « L'Europe : raison, foi, violence ». Alena Gebertova a retenu ses paroles.
« Je l'ai connue, c'était une femme d'un courage extraordinaire, d'une lucidité et d'une honnêteté extraordinaires, comme on en rencontre que rarement dans sa vie. Elle avait 47 ans, elle a deux enfants qui sont déjà de jeunes adultes, une fille et un garçon. Elle a été cinquante fois en Tchétchénie, avec tous les risques que cela suppose, cinquante fois, elle est la seule journaliste russe à encore rendre compte de ce qui se passe en Tchétchénie. Je l'ai vue souvent à Paris et je lui ai dit : mais tu ne veux pas te reposer, prendre une année sabbatique. Elle était comblée de prix, en Allemagne, en France et aux Etats-Unis. On lui proposait des années sabbatiques et elle a dit non. Elle m'a répondu : non, je ne peux pas, parce que si ce n'est pas moi qui rend compte pour mon journal de ce qui se passe en Tchétchénie, il y aura de jeunes journalistes qui le feront. Et ils ne sont pas aussi avertis que moi, ils ne savent pas se faufiler et j'aurais leur mort sur la conscience. Donc c'est moi qui y vais. Et d'autre part, il faut que quelqu'un, une voix russe au moins témoigne encore du drame, de la tragédie qui dure depuis dix ans en Tchétchénie : deux cent mille morts sur huit cents mille habitants. Et puis, elle a essayé de négocier aussi à Beslan... C'est une femme fantastique qui a dit une chose très simple à la fin de son dernier livre. Le chapitre s'intitule Ai-je peur ? et elle dit : je ne veux pas rester silencieuse dans la cuisine en attendant des temps meilleurs. »