André Glucksmann : « La liberté est l’expérience du choix »
Comme chaque année depuis 1997, figures politiques et intellectuelles de plusieurs pays se retrouvent autour de la personne de l’ancien président Vaclav Havel dans le cadre de la conférence internationale Forum 2000. Parmi les invités de l’édition 2009, placée sous le signe des 20 ans écoulés depuis la chute du communisme, le philosophe français André Glucksmann. Il a rappelé à cette occasion l’angoisse qu’avait suscitée chez certains dirigeants occidentaux l’émancipation soudaine des pays d’Europe centrale, il y a 20 ans, mais aussi celle des premiers concernés...
« L’émancipation est une expérience de la liberté, et la liberté, c’est très angoissant car c’est toujours la responsabilité d’abord, mais la responsabilité devant le bien et le mal. Il y avait une angoisse générale à l’époque. Elle était tout à fait saine quand j’ai fait mon allocution à l’Université Charles, le jour de la ‘manifestation des clés’, la première grève générale de cinq minutes à Prague. Cette angoisse je l’ai retrouvée aussi en Allemagne de l’Est parce que je m’y suis rendu vite en avion, lorsque le mur est tombé, le lendemain. De la part de nos cousins de la République démocratique d’Allemagne (RDA), il y avait à la fois une joie à sortir pour la première fois, mais il y avait aussi une crainte. Il faisait froid ce jour-là... Ils frissonnaient, non pas seulement parce qu’il faisait froid, mais parce que l’avenir était tout à fait autre chose que leur passé, ce qui les remplissait d’incertitudes. Il y avait une angoisse fantastique à l’époque, c’est ce que j’ai ‘reniflé’ tout de suite. C’est pour cela que j’étais enthousiaste mais aussi inquiet. Et de fait il y avait deux voies : il y avait la voie de Havel. Quand les Slovaques se sont séparés, ils se sont séparés pacifiquement. Et il y avait la voie dure, la voie criminelle de Milosevic : quand les autres pays de la Yougoslavie ont voulu se séparer, il a dit non et il a envoyé l’armée serbe. Vous avez deux voies et franchement, ce n’est pas un hasard : l’expérience de la liberté n’est pas l’expérience du bien, ce n’est pas l’expérience du mal, c’est l’expérience du choix qui est tout le temps à faire entre deux voies, l’une qui mène plus ou moins aux enfers et l’autre qui ne mène certainement pas au paradis mais qui peut mener à un mieux-être. Mais c’est une voie pleine d’épines. »
On peut dire qu’il y a eu une sorte de triomphalisme du modèle libéral sur le communisme, mais qui s’est avéré un leurre...
« Ce que je veux dire, c’est qu’il y a surtout eu un triomphalisme de ceux qui n’avaient pas à triompher parce qu’ils avaient, non seulement rien fait, puisqu’ils habitaient en France ou ailleurs, mais aussi ils n’avaient rien compris. Ils n’avaient soutenu en rien les dissidents. Nous avons toujours été une toute petite minorité, une poignée de gens, d’intellectuels, de journalistes qui disaient qu’il se passait des choses très importantes avec Soljenitsyne, Sakharov, avec le Printemps de Prague. Pour les simples gens informés par les journalistes habituels et les politiques très paresseux, c’était rien. Le Printemps de Prague représentait un échec, et ainsi de suite. »Suite de cet entretien avec le philosophe français André Glucksmann dans une prochaine édition des Faits et Evénements.