Andrea Sedláčková : « Dans mon film, le dopage est un prétexte pour évoquer la cruauté du régime communiste »

'Fair Play', photo: Falcon

Suite de l’entretien avec Andrea Sedláčková au sujet de son dernier long-métrage « Fair Play », qui traite du dopage systématique des sportifs tchécoslovaques par l’Etat dans les années 1980. Projeté dans les cinémas tchèques depuis début mars, le film pose un certain nombre de questions, et pas seulement sur l’éthique sportive. Car Andrea Sedláčková, qui a émigré en France en 1989 peu avant la chute du régime communiste, voulait aussi faire un film sur la Tchécoslovaquie de sa jeunesse. Tout cela avec un certain succès, comme le laisse à penser l’accueil réservé à son film.

Andrea Sedláčková,  photo: Falcon
« La critique a été plutôt bonne. J’ai le sentiment que les commentaires ont été positifs. Après, il y a toujours des gens pour dire que le film simplifie trop les choses ou que l’actrice qui joue le rôle de l’athlète ne court pas assez bien pour une athlète qui se qualifie pour les Jeux olympiques. Mais c’est évident, nous ne sommes pas aux Etats-Unis. Mais dans l’ensemble, je suis contente de l’accueil qui a été réservé au film. »

A la genèse du film, a-t-il été difficile de convaincre des partenaires de financer votre projet ? Le thème du dopage peut certes intéresser les amateurs de sport, et encore, pas tous, il y en a beaucoup qui préfèrent ignorer la réalité pour ne profiter que du spectacle. Mais pour le reste, ce n’est pas un thème qui, a priori, va passionner les foules. Finalement, la Télévision tchèque s’est engagée, mais pas tout de suite…

« J’ai eu la chance, quand j’ai apporté la première version du scénario à mes producteurs, ceux-ci ont été tout de suite très enthousiastes et m’ont dit qu’ils voulaient faire un grand film et donc essayer de trouver les moyens nécessaires. Selon eux, c’était un thème qui méritait ce traitement, même si tourner dans les stades par exemple coûte cher. Les producteurs étaient donc très optimistes et pensaient qu’ils allaient trouver facilement les fonds. Mais la réalité a été plus compliquée. Ce qui s’est passé, c’est qu’une ancienne sportive de haut niveau qui fait l’objet de nombreux soupçons de dopage siège au conseil d’administration de la Télévision tchèque…

… la lanceuse de poids Helena Fibingerová*.

Helena Fibingerová,  photo: ČT24
« Oui. Tant qu’elle a siégé à ce conseil, la Télévision tchèque a refusé pendant trois ans de coproduire le film. Mais dans le mois qui a suivi son départ, la Télévision a accepté… Ceci dit, cela ne suffisait pas encore. Nous avons eu une grande collaboration avec l’Allemagne et la Slovaquie. Pour un film tchèque, c’était un budget assez conséquent. Le fait de devoir tourner dans chaque pays qui a cofinancé le film, deux semaines en Allemagne et dix jours en Allemagne, a compliqué les choses. Nous avons aussi décidé de tourner durant toute l’année pour montrer comment les athlètes s’entraînent différemment selon les saisons. Tout cela a coûté cher et a été difficile à gérer, mais le film était fini après deux ans de tournage, tout en sachant que les deux actrices principales du film ont commencé à s’entraîner un an avant le début du tournage. L’héroïne courait chaque semaine une soixantaine de kilomètres. »

Le film sera donc projeté en Allemagne. Le sera-t-il aussi en France ?

« Je le souhaite ! Mais vous savez bien comment cela se passe avec les films tchèques et plus généralement de l’Europe de l’Est en France. Le cinéma tchèque a pratiquement disparu des écrans français. Si donc le film remporte un prix à un festival international, je peux espérer que, peut-être, un distributeur français va investir de l’argent pour le sortir. Mais ce n’est pas gagné. »

Vous avez évoqué l’héroïne du film, dont le rôle est interprété par l’actrice slovaque Judit Bárdos. A-t-il été difficile de trouver une actrice qui soit sportive en même temps, parce que les scènes d’entraînement et de compétition sont relativement nombreuses ?

« Au début, mon idée était de choisir une actrice maigre et grande pour lui apprendre à courir. Je pensais que ce serait simple. Seulement, après le casting, j’ai emmené l’actrice que j’avais choisie chez un entraîneur et celui-ci m’a dit que ce n’était même pas la peine qu’elle commence à courir, qu’elle n’avait absolument pas le physique pour cela. Cela m’a étonné, mais l’entraîneur m’a confirmé que cela était impossible. »

'Fair Play',  photo: Falcon
« Après, je me suis donc dit que j’allais prendre des vrais sportifs pour essayer de leur faire jouer la comédie. J’ai donc fait un casting avec une trentaine d’athlètes et à ma grande surprise, certaines étaient vraiment d’excellentes comédiennes. Cela aurait donc été possible. En même temps, je m’étais déjà rendu compte à quel point il avait été difficile de trouver une date pour organiser le casting. Les sportifs d’un certain niveau ont un planning de diplomate. C’était : ‘à cette date, je ne peux pas, je suis en stage, à cette date non plus, j’ai compétition’, etc. Bref, le tournage aurait été impossible. Aucune d’entre elles ne lui aurait donné la priorité par rapport à leur sport. »

« Ma troisième démarche a donc été d’emmener des comédiennes au stade pour que l’entraîneur me dise lesquelles savent courir ou non. Et ce n’est qu’après que j’ai fait le casting classique. C’était un peu horrible pour les filles. Elles courraient deux cents mètres et l’entraîneur disait : ‘celle-là peut-être, celle-là non’, etc. Sur les 210 candidates, l’entraîneur a estimé que seules quelques-unes savaient courir… Finalement, j’ai choisi Judit Bárdos, et c’est amusant, parce que dans le premier casting, je l’avais éliminée, car je la trouvais un peu grosse. Elle avait des grosses fesses, et dans mon esprit, elle ne pouvait jamais être une athlète. Et en fait, l’entraîneur m’a dit que ce n’était pas un problème, que dans quelques mois, elle aurait perdu ses kilos superflus. Selon lui, au contraire, elle avait le bas du corps bien constitué. Et c’est vrai que les deux actrices qui ont joué les rôles des athlètes et ont suivi le même entraînement ont perdu dix kilos et ont complétement changé. Bon l’héroïne a aussi perdu tous les seins qu’elle avait au début… (Rires) »

Votre film ne traite pas seulement du dopage. C’est aussi un film sur la Tchécoslovaquie des années 1980. Derrière la relation entre l’entraîneur et l’athlète, il y a aussi une histoire familiale avec une maman prête à tout pour que sa fille réussisse et, grâce au sport, puisse émigrer. Comment avez-vous brodé cette histoire sur votre thème de départ, le dopage ?

'Fair Play',  photo: Falcon
« Cette deuxième ligne est pour moi la plus importante. Le sport et le dopage n’étaient qu’un prétexte pour raconter comment nous avons vécu sous le communisme et la cruauté du système avec les gens. En même temps, j’ai l’impression que le film pose aussi la question de savoir où sont les frontières morales. Et là, c’est un thème contemporain. Dans notre vie, on se pose souvent la question de savoir si ce que l’on fait est bien ou non. Accepte-t-on de faire quelque chose d’un peu moins moral qui va nous servir à quelque chose ? C’est donc un film qui évoque des thèmes plus généraux que le dopage et le communisme. »

« Et puis, comme l’héroïne du film, j’avais moi aussi dix-sept ou dix-huit ans à cette époque-là. Comme tous les jeunes de ma génération, j’étais confrontée à la génération de mes parents. On trouvait qu’ils avaient fait des concessions trop grandes, qu’ils s’étaient laissé esclavager. C’était donc tout cela que je voulais raconter : l’histoire d’une fille et de sa mère sous le communisme pour aborder les questions morales. Mais à vrai dire, je ne saurais pas vous dire comment est née l’histoire. Je pense que c’est là le mystère de l’écriture. Vous réfléchissez, réfléchissez, et d’un coup, cela arrive. Notez bien, parfois l’inspiration ne vient pas non plus… »

C’est vrai que votre film pose un certain nombre de questions. On voit la mère piquer sa fille en lui laissant croire que ce sont des vitamines. C’est forcément quelque chose de touchant : une maman fait du mal à sa fille, à l’être qui lui est le plus cher, parce qu’elle veut son bien…

'Fair Play',  photo: Falcon
« Oui, mais c’est ce qui se passait souvent sous le communisme. Par exemple, les parents intégraient le Parti parce qu’ils pensaient bien faire pour leurs enfants. Personnellement, je pense qu’il ne faut jamais rien faire même s’il s’agit juste d’un petit mensonge. Mais pour en revenir à la maman qui pique sa fille, c’est inspiré d’une histoire vraie dans le sport tchécoslovaque. Plusieurs personnes m’ont raconté qu’un entraîneur piquait son athlète en lui faisant croire que c’était de la vitamine B, alors que c’était du Stromba. C’était intéressant, mais je me suis dit qu’un entraîneur avec une athlète, ça faisait tout de suite une histoire d’amour. J’ai donc pensé que ce serait beaucoup mieux si c’était la maman, car celle-ci veut que sa fille quitte la Tchécoslovaquie pour l’Occident. Dans ma famille, c’était aussi comme ça. Il fallait que je finisse mes études pour pouvoir partir, émigrer. On me disait que je ne pouvais pas vivre dans ce pays. Il a détruit nos vies, nous ne voulons pas qu’il détruise aussi la tienne. Dans ma génération, à dix-huit ans, tout le monde pensait à l’émigration. C’était aussi un sujet très important pour moi. Aujourd’hui, la jeune génération ne s’imagine pas que nous étions tous prêts à partir. Nous étions programmés pour cela. »

« Mais certains lecteurs du scénario affirmaient que jamais une mère ne ferait ça à sa fille. Mais il y en avait aussi d’autres qui disaient que tous les parents savaient que leurs enfants étaient dopés. Ils n’étaient pas bêtes quand même, ça se voyait, et ils n’ont jamais dit non. Ils étaient d’accord. Que vous preniez la seringue et que vous piquiez vous-même ou non, à partir du moment où vous êtes d’accord avec ces pratiques, cela ne change pas grand-chose. »


Helena Fibingerová,  photo: Alžběta Švarcová,  ČRó
Championne du monde à Helsinki en 1983, médaillée de bronze aux Jeux olympiques de Montréal en 1976, multiple médaillée aux championnats d’Europe entre 1973 et 1985, ancienne recordwoman du monde en plein air (22,32 m) et en salle (22,50 m, record toujours en vigueur depuis 1977), Helena Fibingerová s’est lancée, avec un certain succès, dans les affaires après sa carrière d’athlète. Elle a été également membre du Conseil de la Télévision tchèque notamment entre 2005 et 2011 et vice-présidente entre 2006 et 2010.