Andrej Kisko, un bon choix pour l’Europe centrale ?
Le deuxième tour de l’élection présidentielle en Slovaquie, samedi dernier, qui a abouti à l’élection d’Andrej Kiska, une figure jusqu’ici quasi inconnue sur l’échiquier politique, a été très suivi par les médias tchèques. Un intérêt légitime, car depuis la partition de l’ancienne Tchécoslovaquie en 1993, la Slovaquie demeure pour les Tchèques, comme ils aiment l’affirmer, leur « voisin le plus proche ». Les médias ont également évoqué le 85e anniversaire de Milan Kundera, écrivain français d’origine tchèque. Nous avons retenu un texte publié dans le quotidien Lidové noviny dans lequel son auteur s’interroge notamment sur ce que les Tchèques doivent à Kundera. Enfin, les pages sportives du même journal ont rappelé le crash aérien de 1961 dans lequel ont péri les meilleurs patineurs américains qui se rendaient aux championnats du monde à Prague.
« La scène politique tchèque et la scène politique slovaque ont aussi des points communs. Lors des dernières élections législatives, les électeurs tchèques ont donné une grande chance à Andrej Babiš et à son mouvement ANO qui est arrivé deuxième derrière les sociaux-démocrates, et ce sans même savoir quel est son véritable programme politique. Les électeurs tchèques se sont contentés du fait que Babiš n’appartenait pas à la compagnie détestée qui a ‘privatisé’ la politique pour privilégier ses propres intérêts à l’intérêt public. S’agissant d’Andrej Kisko, on ne sait pas non plus ce qu’il souhaite vraiment, si ce n’est qu’il veut être président de la République et rassembler l’ensemble des Slovaques. Ces derniers l’ont élu, car ils croient tout simplement qu’avec lui, les malfaiteurs auront moins de chance qu’auparavant. »
Si la possibilité de choisir est un des signes de la force de la démocratie et de ses mécanismes, l’auteur de l’article perçoit d’un œil négatif l’écart des partis politiques traditionnels :
« Une machine politique classique avec des partis et des débats parlementaires houleux et interminables, accompagnée parfois de scandales, est un système que l’histoire a vérifié. Tout autre modèle est bien pire. Or, ni Babiš, ni Kiska ne sauront dépasser l’ombre du système. Ils n’arriveront pas à améliorer d’un coup de baguette magique les choses de façon manière spectaculaire et efficace... Le plus grand ennemi des deux Andrej, Babiš et Kiska, ce sont les attentes démesurées de leurs électeurs. »
Dans le quotidien économique Hospodářské noviny, Martin Ehl remarque qu’Andrej Kiska a probablement obtenu le plus fort mandat à l’échelle de l’Europe centrale, depuis la victoire de Victor Orban en Hongrie. Il a également écrit :
« Andrej Kiska promet une modification du caractère de la politique slovaque. Tout semble jouer en sa faveur. Les Slovaques, en effet, n’ont pas seulement élu un président. Ils ont aussi clairement voté contre le système qui s’appuie sur une liaison entre les partis et des lobbies, système incarné par Robert Fico et les représentants des différents partis de centre-droite... Certains comparent Kiska à Andrej Babiš ou encore à Miloš Zeman. Le prochain président slovaque représente toutefois un autre type d’homme politique, car il ne s’affiche pas comme un macho qui sait tout. Il a rassemblé les voix de protestation et apporté un espoir. L’histoire de sa vie, qui n’est pas noir et blanc, promet que cet entrepreneur de Poprad âgé de 51 ans constitue un choix intéressant pour la Slovaquie et l’ensemble de l’Europe centrale. »
Ce que la société tchèque doit à Milan Kundera
Dans une récente édition du quotidien Lidové noviny, Jiří Peňás regrettait que Milan Kundera soit « un grand absent dans ce pays ». Une façon de rappeler non seulement l’absence physique dans son pays d’origine de l’écrivain qui vient de souffler ses 85 bougies, mais aussi le fait que, mis à part les romans La Vie est ailleurs et Le livre du rire et de l’oubli qui ont été édités en tchèque, les autres livres que Kundera, fixé depuis 1975 en France, a écrits en français ne soient pas disponibles en version tchèque. Jiří Peňás écrit plus loin :« Après son départ en exil, le régime totalitaire a tout fait pour effacer ou pour dénigrer le nom de Kundera, établi dans la langue et la culture françaises. Tout a naturellement changé après la chute du régime en 1989, par exemple lorsque Kundera s’est vu décerner par Václav Havel la Médaille des mérites. L’écrivain n’est pourtant pas venu recevoir cette distinction, tout comme il n’est plus jamais revenu dans sa patrie, sauf peut-être en catimini. Seul Kundera lui-même connaît les motifs de cette distance et il ne doit d’explication à personne. Et comme il a opté pour un mode de vie caché même dans le pays où il vit, on peut considérer qu’il ne s’agit pas de sa part d’une tchécophobie, mais plutôt d’une aversion profonde pour le rôle de ‘célébrité’. »
Le 85e anniversaire de Milan Kundera constitue pour Jiří Peňás l’occasion de déclarer que l’écrivain ne doit rien à la société tchèque, mais que c’est plutôt bien elle qui possède une dette envers Kundera. Il explique pourquoi :
« Pendant de longues années, c’est précisément lui qui a merveilleusement représenté la société tchèque dans l’univers culturel : il représentait la culture tchèque qui s’est retrouvée – en partie de sa faute – à la périphérie voire en dehors de l’Europe. C’est son célèbre essai ‘Un occident kidnappé ou la tragédie de l’Europe centrale’ qui, dans la première moitié des années 1980, a fait savoir au monde civilisé dont nous ne faisions pas partie à l’époque qu’une merveilleuse culture avait jadis fleuri en Europe centrale et que les Tchèques comptaient parmi ses créateurs. C’est grâce à Kundera et à plusieurs de ses semblables que la langue tchèque a conservé sa capacité d’exprimer des pensées dépassant le marasme de l’époque. Il mérite pour cela notre merci. »
Et l’auteur de l’article de conclure :
« Milan Kundera ne nous doit rien, sinon ses quelques romans. On ne peut rien faire de mieux pour attiser encore davantage notre curiosité. »
Rappel des championnats du monde de patinage artistique à Prague à l’ombre d’une immense tragédie en 1961
L’édition de mardi du quotidien Lidové noviny a consacré une de ses pages sportives au rappel du crash aérien de 1961 dans lequel sont morts les meilleurs patineurs artistiques américains en route pour les championnats du monde à Prague. Le journal apporte quelques détails de cette tragédie qui, à l’époque, avait bouleversé le public tchèque et pas seulement sportif :« Le crash du Boeing 707 de la compagnie Sabena parti de New York est survenu le 15 février 1961 lors de son atterissage à Bruxelles. L’ensemble des 72 passagers et de l’équipage sont morts sur place. Mis à bruit des rumeurs sur des problèmes d’ordre technique, les causes véritables de cette tragédie n’ont jamais été élucidées. »
Ce qui est certain en revanche, c’est que l’accident a entraîné la disparition de toute une génération du patinage artistique américain. Au total, dix-huit patineurs, six entraîneurs et dix juges, des fonctionnaires et des membres de leurs familles. Parmi les athlètes décédés, le journal rappelle Laurence Owen, alors âgée de 16 ans et présentée comme « la plus fabuleuse des patineuses américaines ». Il rappelle également :
« Ce drame a mis fin à l’âge d’or du patinage américain qui durait depuis 1948, lorsque Dick Button a gagné son titre olympique. Ce n’est ensuite que dans la seconde moitié des années 1960 que les Américains ont renoué avec cette tradition, notamment grâce à Peggy Fleming, championne du monde et médaillée d’or aux JO de Grenoble. »
Suite à cette tragédie aérienne, les championnats du monde de patinage artistique avaient été reportés d’un an pour finalement se dérouler comme prévu à Prague. Lidové noviny note que dans la catégorie des couples, le titre a été décroché par les frère et sœur Otto et Marika Jelinek du Canada, originaires de Tchécoslovaquie et qui avaient échappé de justesse à la catastrophe l’année précédente en décidant au dernier moment, sur recommandation de leur entraîneur, de changer d’avion. Et le journal de remarquer également qu’Otto Jelinek est aujourd’hui ambassadeur du Canada à Prague.