« Anges déchus », un spectacle qui permet aux prisonniers de « s’évader »
« Padající andělé », en français « Anges déchus », c’est un spectacle multi-genre monté au Théâtre national de Moravie-Silésie d’Ostrava, dans le nord-est du pays, par le chorégraphe et metteur en scène français Philippe Talard. Un spectacle mêlant danse, chant et acrobatie, sur et dans l’univers carcéral, car il met en scène, aux côtés des danseurs et acteurs professionnels, une dizaine de détenus d’une prison locale. Le spectacle est présenté ce jeudi en première.
« Je trouve que ses textes décrivent non seulement l’univers carcéral, mais justement la situation d’un ‘ange déchu’, de quelqu’un qui a chuté. C’est toute l’histoire dans cette pièce et dans n’importe quel livre de Genet : la situation de l’abandon. On est abandonné par les autres, par sa mère, comme Genet d’ailleurs. On a violé, on a tué, on a commis des fautes, on a détourné de l’argent et on se retrouve en prison et là, on se rend compte que l’on est vraiment tout seul, comme il le dit. Et on paye la peine. Il faut que le prisonnier accepte d’avoir commis le délit, qu’il ne l’oublie pas et qu’il soit, enfin, prêt à quitter la prison, à être libre. Justement, le travail que je fais n’est pas seulement artistique, mais c’est un travail de réinsertion pour essayer de réintégrer quelqu’un dans une société qui n’en veut plus. »
Philippe Talard a sélectionné une dizaine de détenus, pour la plupart les membres d’une chorale de la prison. Le spectacle a été créé au bout de six mois de répétitions intenses. Philippe Talard :« Sur les dix prisonniers qui travaillent dedans, il y en a huit qui sont roms. Ils sont vivants, allègres, très à l’aise avec le chant en particulier, avec le mouvement aussi. »
Ivan Plachetka fait partie de ce groupe de prisonniers et désormais aussi comédiens tziganes, dont la mentalité serait proche, selon le chorégraphe, à celle des prisonniers italiens :
« Nous sommes roms, alors la danse nous est propre. Mais ce qui n’est pas évident pour nous, c’est la chorégraphie, certains éléments du spectacle. »
« Non, ce n’était pas difficile, il a fallu apprendre la chorégraphie et la répéter, mémoriser. Ce qui était plus difficile pour nous, c’est que nous devions nous mettre d’accord, nous respecter, nous écouter les uns les autres et surtout faire ce que l’on nous disait. Tout le monde n’en a pas toujours envie, c’est clair. »La compréhension des textes de Jean Genet n’a pas été un obstacle pour les détenus, comme l’explique Milan Vašek :
« Ces textes reflètent ce que c’est qu’une prison, ils parlent de cette frontière fragile entre la liberté et la non-liberté. Aujourd’hui, il est très facile de perdre la liberté. »
La musique originale du spectacle « Anges déchus » a été composée par Armand Amar, auteur de musiques de films. On l’écoute :
« C’est un projet étonnant… Il m’a fallu un peu de réflexion avant de dire oui. Les textes sont très beaux, même si je suis un peu loin d’eux… Je les trouve assez durs. Ce qui m’a intéressé, c’était d’amener un certain lyrisme pour aller contre cet univers dur, vers quelque chose de plus onirique, plus léger. »
La liberté n’est que spirituelle, tel est, d’après Philippe Talard, le principal message de son spectacle « Anges déchus » :« Dans tous les livres de Genet, on retrouve les descriptions de cette immense liberté possible pour un être humain qui est incarcéré. S’il est incarcéré, il faut qu’il puisse s’évader en permanence pour rester vivant. Sinon, la prison, c’est la mort. »
Pour le prisonnier Radek Tulej, le spectacle a accompli sa mission :
« Lorsque nous chantons dans le spectacle, nous nous rendons compte que même en prison, nous pouvons éprouver de la joie. »
« Anges déchus » sera donné les 24 et 29 mars et les 5, 11 et 20 avril 2012. Plus de détails sur www.ndm.cz.