Anthony Jouet : « On a envie de travailler avec des artistes qui ont un peu la même approche que la nôtre. »
A deux pas de la place Náměstí Míru à Prague, non loin des locaux de la Radio tchèque, sont basés les bureaux de Fource Entertainment. Cette toute jeune société, qui s’occupe de la programmation de concerts de musiques actuelles dans la capitale tchèque, a été créée par un Français, Anthony Jouet. Radio Prague est allée à sa rencontre.
C’est une petite société ? Vous êtes combien à travailler dans cette société ?
« On est trois donc c’est un petit peu ça dans le milieu de la musique : c’est du ‘do it yourself’. Nous faisons un petit peu de tout donc il n’y a pas forcément de fonction attitrée. Il faut faire l’administration, les factures, les paiements… Et puis le corps du métier, c’est de booker, de programmer les artistes. »
Donc votre métier, c’est ‘programmateur d’artistes’ d’une certaine façon. Comment cela se passe concrètement, comment vous faites venir les artistes ?
« C’est un métier qui est beaucoup basé sur le relationnel, donc c’est beaucoup de contacts avec les agences qui représentent les artistes. Ce que l’on appelle des tourneurs en France. Je suis en relation avec ces grosses agences qui sont pour la plupart basées à Londres ou aux Etats-Unis. Dans un premier temps, il y a un plan de tournée qui est mis en place, une période de tournée qui est donnée. En fonction de cela, nous regardons les disponibilités des salles qui correspondent au potentiel de l’artiste, sur notre territoire, Prague. A partir de là, on établit un budget, on soumet une offre. Il y a une phase de négociations et si tout se passe bien on se met d’accord sur un budget final, sur une offre finale. On confirme le concert, on met ensuite en place la billetterie, le marketing, donc tout le plan communication autour du concert et puis il y a le suivi administratif qui va derrière. Après on espère vendre assez de billets pour rentrer dans nos frais. »Quels artistes vous faites venir ?
« Personnellement, j’ai des goûts très éclectiques. Après il y a toujours un compromis à faire. Il y a certains artistes que nous apprécions personnellement et puis il y aussi des artistes avec lesquels on travaille parce qu’à la fin du mois, il faut payer les factures. Je pense que nous arrivons relativement bien à gérer ce compromis et à garder notre éthique de travail. L’année dernière, nous avons fait venir des artistes comme The Roots, Mac Miller… Auparavant, il y avait eu Bloody Beetroots, The Smashing Pumpkins, Selah Sue, une artiste belge très connu en France, ou encore Swedish House Mafia à l’O2 Arena et puis quelques artistes un peu plus pop comme LMFAO par exemple. »Ce sont des artistes reconnus. Les salles tchèques ont besoin d’un intermédiaire comme votre société pour les faire venir ?
« L’intérêt de travailler avec des promoteurs, des programmeurs comme nous, c’est le fait que nous pouvons vraiment faire du développement d’artiste. C’est un peu différent du territoire français où il y a un réseau de diffusion, un réseau de salles qui est très dense et aussi très subventionné. Donc c’est avantageux pour les artistes français de pouvoir vivre de leur passion en restant sur le territoire français. Mais si un artiste souhaite venir ici et vraiment se développer sur le territoire, il est intéressant de faire appel à quelqu’un qui est indépendant et qui peut par exemple faire un petit concert au Chapeau Rouge comme nous l’avons fait avec Ewert and the Two Dragons, un groupe folk estonien. C’était un concert complet, on a fait deux cents personnes. Donc le prochain concert on va éventuellement pouvoir le faire au Lucerna Music Bar, au Roxy ou au Palác Akropolis. Cela nous donne une flexibilité dans le travail. »Il y a donc un suivi des artistes. Avec quelles salles vous travaillez ? Uniquement à Prague ou dans d’autres villes de République tchèque ?
« Pour l’instant, nous nous sommes focalisés sur Prague. C’est vrai que pour les artistes internationaux, le territoire tchèque n’est pas forcément un ‘marché majeur’ mais on n’exclut pas d’y travailler à l’avenir et pourquoi pas ensuite à l’étranger. »
Vous avez constaté des différences d’approches entre les artistes que vous faites venir ? Peut-être entre les artistes français et les artistes anglo-saxons ?
« Ce qui me vient à l’esprit justement, c’est la différence entre les artistes internationaux et les artistes français. Le milieu de la musique en France est très subventionné, ce qui maintient aussi un niveau de rémunération relativement élevé pour les artistes. Bien évidemment, je suis pour le statut d’intermittent du spectacle en France qui est un statut unique, ces choses-là sont vraiment très bien. C’est pour cela, je pense, que la France a une démocratie culturelle qui est très intéressante et qui ne se retrouve pas ailleurs. Mais par contre, il y a des exigences et des attentes financières qui sont vraiment élevées. Donc je pense que les artistes français sont tellement privilégiés sur leur territoire d’origine qu’ils ont du mal, quand il s’agit de se développer sur un autre territoire, à vraiment repartir de zéro et à jouer devant 300 personnes. Quand on joue devant 300 personnes, on ne peut pas exiger un cachet de 10 000 euros, ce n’est pas possible. Nous essayons de travailler avec les gens qui ont vraiment la volonté de travailler avec nous en tant que partenaires. Nous ne sommes pas dans une logique commerciale où nous mettrions le show en place et c’est tout. On a vraiment envie de travailler avec des gens qui ont un peu la même approche que la nôtre. »Vous organisez aussi à l’inverse des concerts ou des tournées d’artistes tchèques vers la France ou vers d’autres pays ?
« Pas encore. La boîte est encore relativement jeune et on essaie de se focaliser sur notre activité première qui est la promotion de concerts en République tchèque et à Prague. Et je pense que cela viendra éventuellement dans un deuxième temps. Nous avons déjà des artistes tchèques qui nous ont contactés pour les prendre en charge au niveau du management par exemple. Ils savent que par exemple, de par mon parcours, j’ai des contacts un peu partout dans le monde et je pense que pour eux, c’est intéressant pour se développer plus rapidement. C’est vrai qu’il y a des artistes tchèques qui ont vraiment des chances et du potentiel à l’international et je pense que nous pourrions leur donner un coup de main. »
Vous parliez de votre parcours. Comment vous en êtes arrivé à produire des concerts en République tchèque ?
« En fait, c’est un peu par hasard et je pense que mon cursus ou mon profil se sont un peu construits au fur et à mesure toujours en ayant à l’esprit l’idée de garder des portes ouvertes. Il s’avère que des opportunités se sont présentées toujours au bon moment, il y a certainement une partie liée à la chance. J’ai travaillé en France dans le milieu de la musique parallèlement à mes études. J’avais monté un petit festival dans la région angevine. En même temps que mon cursus universitaire, je travaillais aussi à la salle de la SMAC, la scène de musique actuelle de Nantes, qui maintenant s’appelle Stereolux. Ensuite, j’ai terminé mon Master 2 ‘Management du spectacle vivant’. J’ai fait mon stage de fin d’étude au Canada à Toronto chez un producteur indépendant de concert. J’y suis resté quatre ans. Et puis mon ancien boss était tchèque d’origine. Il m’a proposé de m’occuper d’un contrat de consulting qu’il avait avec la salle de l’O2 Arena ici à Prague. Dans un premier temps quand je suis venu ici, cela devait être seulement temporaire. Et après avoir travaillé à l’O2 Arena sur des grosses productions comme Black Eyed Peas, comme Kylie Minogue, j’ai trouvé que c’était le bon moment pour monter ma boîte et faire un peu ce que j’avais envie de faire. Voilà, c’est une question de timing et d’opportunités. On est là et je suis très bien à Prague, c’est une chouette ville. »Pour terminer, vous pouvez nous donner quelques dates de concerts sur lesquels vous avez travaillé pour les mois prochains ?
« Par exemple on fait un groupe de reggae qui s’appelle Groundation, qui est assez connu en France, au Lucerna Music Bar le 12 août. Nous venons également d’annoncer un projet commun à Noisia et Foreign Beggars, qui sont des groupes de drum and bass et de hip-hop, et qui sera au Roxy le 10 octobre. Et puis il y a pas mal de concerts en novembre qui sont vraiment sympas ; je pense à Bastille, à The 1975 et également à Daughter, qui va se produire au Rock Café. Ce sont vraiment des groupes qui buzzent beaucoup en ce moment. Si vous ne le les connaissez pas, il faut les découvrir. »