Août 1968: des émissions italiennes clandestines contre l’invasion soviétique
Un chapitre moins connu de l’histoire tchèque : le rôle joué par les émissions clandestines en italien, Oggi in Italia, pendant l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du pacte de Varsovie il y a 42 ans de cela, le 21 août 1968. Oggi in Italia, qui avait commencé à diffuser ses émissions clandestines depuis Prague vers la péninsule italique en 1951, en tant qu’instrument de propagande communiste, s’était retournée, en août 1968, contre l’occupant soviétique. Alors que la plupart des émetteurs radiophoniques dans le pays étaient coupés et la population privée d’informations, la station italienne clandestine mettait ses ondes à disposition des journalistes de la Radio tchécoslovaque. Jiří Dienstbier, futur premier chef de la diplomatie après 1989, est l’un de ces journalistes qui se sont adressés aux auditeurs par l’intermédiaire d’Oggi in Italia. Les archives de la Radio tchèque ont conservé sa voix de 1968, lorsqu’il informait de l’occupation imminente du bâtiment de la Radio, rue Vinohradská :
« Voici encore une fois l’information sur le franchissement de la frontière de l’Etat tchécoslovaque à l’insu et contre la volonté de l’Etat et du parti. Le ministère des Affaires étrangères, son siège, au palais Tchernin, est déjà investi. Nous ne pourrons probablement pas diffuser pendant très longtemps de nos locaux, car l’infanterie soviétique qui est devant le bâtiment de la Radio tchécoslovaque ne va certainement pas tarder à les occuper. »
Après la fermeture des studios, le seul émetteur qui continua à diffuser, bien caché dans une villa de communistes italiens à Nusle, dans le 4e arrondissement de Prague, fut celui d’Oggi in Italia. Grâce aux techniciens et à une employée des émissions internationales de la Radio tchèque, il avait été convenu que cet émetteur serait mis à disposition des journalistes tchécoslovaques, se souvient Jan Petránek, qui, lui aussi, a parlé en 1968 sur les ondes d’Oggi in Italia, comme en témoignent les archives :« Depuis ce matin, la Radio tchécoslovaque diffuse sur des ondes auxquelles vous n’étiez pas habitués jusqu’à présent. Elle diffuse à partir de locaux qui ne sont pas aménagés pour les émissions en tchèque, mais les gens qui assurent techniquement la diffusion font le maximum possible. »Le 25 août 1968, Jan Petránek se trouvait au studio de la villa de Nusle pour annoncer le lancement d’une grève générale. Ce jour-là, Oggi in Italia fut la seule station à diffuser en tchèque, les autres émetteurs restant muets. Les émissions sont annoncées par l’indicatif suivant :
Pour l’historien Oldřich Tůma, de l’Institut d’histoire moderne, le rôle des médias, parmi lesquels en premier lieu la radio en tant que source d’informations immédiates sur l’évolution de la situation dans le pays, a été d’une grande importance :
« Du 21 août 1968 jusqu’à la signature des protocoles de Moscou et au retour de la délégation tchécoslovaque de Moscou, c’est-à-dire pendant la première semaine qui a suivi l’invasion, la radio a joué un rôle-clé. De tous les médias, la radio a été la plus prompte et s’est adressée au plus grand nombre de gens. »
Parallèlement aux émissions diffusées par les journalistes tchèques, les rédacteurs italiens ont continué à informer sur ce qui se passait à Prague. D’après Jan Petránek, cela était important non seulement pour les auditeurs de l’étranger mais aussi pour la population tchécoslovaque, consciente de ne pas être seule dans sa résistance, que le monde entier nous écoutait.Oggi in Italia a vu le jour à la fin de 1950, à l’initiative du parti communiste italien qui, n’ayant pas eu accès aux médias de service public lors des élections organisées deux ans auparavant, décida de fonder ses propres émissions. Et pourquoi fut prise la décision de les diffuser depuis Prague ? Oldřich Tůma explique :
« Après 1948, la Tchécoslovaquie a servi d’asile préféré pour un certain nombre de communistes et de membres d’autres partis de gauche venant notamment d’Europe occidentale : il y avait des Grecs, des Italiens, des Français, ainsi que des Yougoslaves opposés au régime de Tito après la rupture soviéto-yougoslave. »
Les premiers rédacteurs d’Oggi in Italie était des partisans italiens qui s’étaient réfugiés en Tchécoslovaquie après la guerre. Les archives de l’Institut pour l’étude des régimes totalitaires mentionnent également qu’un Tchèque a concouru au fondement des émissions clandestines en italien : Vladimír Tosek, futur commentateur de la Télévision tchèque mais aussi agent du contre-espionnage que la StB a contraint à collaborer en raison de ses activités en exil à Londres pendant la guerre.
Reste à compléter que les émissions clandestines d’Oggi in Italia ont été diffusées depuis Prague pendant vingt ans, de 1951 à 1971. Leur adresse officielle se trouvait à Berlin. Les autorités tchécoslovaques feignaient d’ignorer leur existence. En 1958, l’Italie menaça de geler ses rapports avec la Tchécoslovaquie et envisagea de limiter les importations tchécoslovaques et de cesser de délivrer des visas en raison de l’existence de cette station. Au début des années 1960, un certain dégel politique s’est produit. Le secrétaire général du parti communiste italien Luigi Longo est venu à Prague exprimer sa solidarité à la nouvelle direction communiste avec à sa tête Alexander Dubček. Mais parallèlement à Dubček, éliminé de ses fonctions, Oggi in Italia a cessé ses activités sur le territoire tchécoslovaque. L’entretien diffusé en 1971 avec le nouveau secrétaire général du parti communiste italien Enrico Berlinguer, dans lequel il condamne la politique de Moscou et le processus de Normalisation en Tchécoslovaquie, a été la raison directe de sa fermeture.