Elections régionales tchèques : « Une victoire en demi-teinte pour le parti ANO »

L’équipe électorale du parti ANO à Zlín, photo: ČTK/Dalibor Glück

Retour sur les élections du week-end écoulé. Les Tchèques votaient pour renouveler un tiers du Sénat, mais aussi et surtout pour renouveler les conseils régionaux. Le scrutin régional servant à prendre la température de l’électorat un an avant les législatives, comment analyser la victoire du parti ANO du Premier ministre Andrej Babiš, le renforcement du Parti pirate et l’effondrement de la gauche ? Pour en parler, RPI a interrogé le politologue Michel Perottino :

« C’est une victoire en demi-teinte, dans la mesure où le parti ANO a remporté la première place dans un grand nombre de régions, mais en même temps il n’a pas réussi à s’assurer de la possibilité d’obtenir une coalition gouvernementale au niveau des régions. C’est un premier bémol à cette réussite. Mais quand on compare les chiffres de l’élection de cette année et d’il y a quatre ans, on constate aussi qu’ANO a renforcé sa position dans le pays, puisqu’il a remporté beaucoup plus de voix qu’en 2016. »

Miloš Zeman,  photo: ČTK/Michal Krumphanzl

En effet, il y a quatre ans, le même problème s’était déjà posé. ANO avait remporté de facto les élections, mais n’a pas été capable de former des coalitions. Résultat, le parti a été exclu de certains conseils régionaux. Ce scénario peut donc se reproduire cette année également. A l’époque, le président tchèque Miloš Zeman avait estimé qu’il s’agissait d’une « tromperie des électeurs ». N’est-ce pas le jeu démocratique qui veut cela ?

« C’est en effet le jeu démocratique qui ne touche pas uniquement les partis qui se présentent aux élections régionales. On a déjà vu la même chose se produire aux législatives. Donc la position du président qu’il a réitérée dimanche, c’est une position normative et très politique. Il apporte une fois de plus son soutien au Premier ministre et à son parti ANO. »

Cette élection montre également l’ascension, lentement mais sûrement, du Parti pirate ces dernières années. Ce qui pouvait apparaître il y a quelques années comme un élément folklorique de la scène politique tchèque, ça ne l’est pas – ou plus…

Le Parti pirate,  photo: ČTK/Michal Krumphanzl

« Ça ne l’est pas, mais en même temps, la question est de savoir si ce résultat est imputable au parti en tant que tel, à ses dirigeants, à ses représentants au niveau régional, ou si c’est un résultat imputable à l’absence d’alternative, notamment à gauche, en particulier pour les jeunes. C’est un parti qui, encore aujourd’hui, est difficilement classable sur une ligne classique droite/gauche. Par certains aspects il est libéral, par d’autres, il est assez à gauche. Mais en fait, on n’a pas encore de classification nette de ce parti, y compris pour l’avenir. Une des possibilités est que ce parti se retrouve dans la situation de l’Union de la liberté qui avait obtenu aussi de très bons résultats il y a une quinzaine d’années mais qui n’a pas réussi à s’installer de manière définitive sur l’échiquier politique. »

Le Parti pirate est-il un vote de contestation ?

« C’est un vote de contestation, mais c’est également un vote par défaut d’autres alternatives. »

Ce qui ressort également de cette élection, c’est la déconfiture de la gauche dans son ensemble, qu’il s’agisse du parti social-démocrate (ČSSD) ou du parti communiste. Est-ce que le ČSSD paye son alliance avec le parti ANO, que d’aucuns ont pu trouver contre-nature, même si c’est quelque chose qui se répète depuis plusieurs années…

Le parti ČSSD,  photo: ČTK/Slavomír Kubeš

« D’une part ça se répète, mais d’autre part le très bon résultat d’ANO est lié au fait qu’Andrej Babiš a réussi à obtenir le vote d’un électorat qui, jusqu’à présent votait soit social-démocrate soit communiste. Il a renforcé cet électorat en donnant pas mal de prébendes notamment aux retraités, à certaines catégories socio-professionnelles. Il joue beaucoup là-dessus, et ça marche visiblement. Concernant la social-démocratie, il y a beaucoup d’autres aspects qui viennent compliquer la lecture de son résultat. Il y a eu beaucoup de dissidences internes avec le départ de plusieurs personnalités, notamment d’anciens présidents de régions. Ceux-ci n’ont pas été présents sur des listes social-démocrates, mais ont remporté des résultats plutôt bons. Le résultat de la social-démocratie ne reflète pas nécessairement un électorat de gauche. Il y a eu beaucoup de petites formations difficilement classables qui ont récupéré une partie de cet électorat social-démocrate. L’inconvénient pour la social-démocratie, c’est qu’en termes politiques on va pouvoir rappeler leur effondrement, et pour les prochaines élections c’est un mauvais départ. »

Pendant le week-end, Andrej Babiš a en quelque sorte « rendu hommage » à son partenaire de coalition Jan Hamáček, leader des sociaux-démocrates, en disant qu’il s’était comporté correctement et qu’ils ne s’étaient pas tiré dans les pattes pendant la campagne. C’est un peu le baiser de la mort…

Jan Hamáček,  photo: ČTK/Radek Petrášek

« Andrej Babiš joue sa carte donc il a tout intérêt à se présenter comme quelqu’un de réservé, d’objectivement amical et loyal envers son partenaire de coalition. Il joue déjà les prochaines législatives. Pour lui, si la social-démocratie s’effondre, ce sera pour lui l’occasion de récupérer un électorat. D’un autre côté, cela peut être difficile à gérer car il n’aura pas de partenaire aussi clair pour reformer une coalition gouvernementale. »

Puisqu’on parle de la gauche, on ne peut pas ne pas évoquer le parti communiste qui soutient ce gouvernement de coalition au Parlement. Le parti a fait un score totalement négligeable par rapport à des scrutins passés. Est-ce aussi le résultat de la fuite des voix des électeurs traditionnels du parti vers le parti ANO ?

Andrej Babiš,  photo: ČTK/Michaela Říhová

« Il y a en effet cette fuite de l’électorat communiste vers quelqu’un qui paradoxalement est peut-être plus proche de l’image que les électeurs communiste ont d’eux-mêmes. Andrej Babiš a commencé sa carrière sous la normalisation. Chez certains communistes, il est peut-être perçu comme un ancien cadre qui a bien réussi sa conversion. Ils ne le voient pas comme illégitime, pas même en tant que milliardaire. En outre, l’électorat du parti communiste vieillit. Pas mal d’électeurs attachés au parti ne se sont probablement pas déplacés pour le soutenir à cause du Covid-19. On verra dans les jours et semaines à venir quel est le profil des électorats des différents partis. »

Une dernière question en lien avec l’ombre du Covid-19 sur ce scrutin. On pensait justement que la participation pourrait être plus faible qu’il y a quatre ans. A l’époque, elle était de 35 %, cette année de 37,9 %. Ces craintes ne se sont pas confirmées, même si l’abstention reste évidemment très importante. Mais les gens se sont quand même rendus aux urnes, et en plus grand nombre qu’en 2016…

« D’une part l’électorat d’Andrej Babiš a pu légitimement penser qu’il fallait aller soutenir son favori notamment parce qu’il est remis en cause sur la scène politique, y compris en raison de sa gestion de la crise du Covid-19. Et puis il y a une sorte de repolitisation d’une partie de l’élite politique mais aussi de l’électorat, qui a pu contribuer au renforcement des Pirates d’un côté – un électorat plutôt jeune qui serait allé voter – ou un électorat plus traditionnel chez les partis de droite classiques que ce soit l’ODS, STAN – les maires et indépendants difficilement classifiables – ou les démocrates-chrétiens. »