Au Parlement européen, on s’inquiète de la concentration des médias en Tchéquie

Photo illustrative: © European Union 2017 - Source : EP

Sur demande de certains eurodéputés après une nouvelle affaire concernant l’ancien ministre des Finances Andrej Babiš, le comité des libertés civiles du Parlement européen organisait mardi à Bruxelles une réunion sur les craintes qui pèsent sur la liberté de la presse en République tchèque. Si la tendance à la concentration des médias entre les mains de quelques « oligarques » est inquiétante en Tchéquie, les participants à cette discussion ont souligné que la problématique concernait en fait la plupart des Etats de l’UE.

Andrej Babiš,  photo: Filip Jandourek,  ČRo
Début mai, dans un enregistrement audio publié sur internet, on entendait le milliardaire et leader du mouvement ANO, Andrej Babiš, alors ministre des Finances, discuter avec un journaliste du quotidien Mladá fronta Dnes, un des nombreux médias lui appartenant, de l’opportunité de sortir des informations compromettantes sur certains de ses adversaires politiques. Des révélations finalement guère étonnantes tant M. Babiš s’est fait une spécialité de ce mélange des genres, entre politique, sphère médiatique et monde des affaires. Elles ont néanmoins poussé des parlementaires européens à demander un débat sur la situation tchèque.

Durant cette réunion d’environ une heure et demie, c’est peut-être Julie Majerczak, de Reporters sans frontières, qui s’est livrée au réquisitoire le plus implacable du phénomène de concentration de la propriété des médias tchèques entre les mains de quelques oligarques, et notamment de celles d’Andrej Babiš. Bien sûr, la situation globale reste plutôt bonne en République tchèque, classée, selon l’ONG, 23e sur 180 pays pour la liberté de la presse. Mais cette liberté aurait tendance à reculer :

« Elle recule parce qu’en dix ans, les médias, qui étaient contrôlés quasiment à 80% par des investisseurs étrangers, essentiellement allemands, sont passés entre les mains d’hommes d’affaires locaux. Et ces investisseurs locaux ne se sont pas pris tout à coup d’une passion pour le journalisme et pour l’indépendance de la presse, mais ils se sont dits qu’en achetant ces journaux, ils pourraient étendre le champ de leur influence et de l’influence de leurs amis. »

Ces investisseurs, c’est par exemple l’homme d’affaires Zdeněk Bakala, actionnaire majoritaire du groupe de presse Economia, qui édite notamment l’hebdomadaire Respekt et le quotidien Hospodářské noviny. Ce sont les entrepreneurs Daniel Křetínský et Patrik Tkáč, qui détiennent l’éditeur Czech News Center, qui publient les tabloïds Blesk et Aha ! ou encore l’hebdomadaire Reflex. Et c’est bien sûr Andrej Babiš :

Photo: Archives de Radio Prague
« Le cas le plus emblématique et sans doute le plus problématique aujourd’hui est celui d’Andrej Babiš, qui est une sorte de Berlusconi tchèque. Certains le surnomment d’ailleurs ‘Babisconi’. Cet homme détient la deuxième plus grosse fortune du pays. Il contrôle les médias les plus puissants et il dirige l’un des partis politiques les plus influents. Il était vice-premier ministre et ministre des Finances jusqu’à la semaine dernière, et cela depuis 2014. Et il pourrait bien devenir le prochain Premier ministre si l’on en croit les sondages qui donnent son parti vainqueur aux prochaines élections qui doivent se tenir en octobre. D’où la question : un homme politique peut-il être un patron de presse comme les autres ? »

La réponse semble être dans la question. C’est aussi pourquoi, et c’est ce qu’ont rappelé certains intervenants, la législation tchèque comporte depuis le début de l’année une disposition contre les conflits d’intérêts qui interdit aux ministres d’être propriétaires d’un média. Pour contourner la mesure, Andrej Babiš n’a eu qu’à transférer ses biens dans le secteur à une holding qu’il contrôle indirectement.

Toutefois, ces questions de la concentration des médias, de l’influence des puissances d’argent sur leur contenu, du respect de la pluralité des opinions, ou bien du rôle que doit jouer un service public de l’information, se posent à l’ensemble des pays européens, et pas seulement à la Tchéquie. Ce dont ont convenu la plupart des contributeurs, tels Erik Tabery, le rédacteur en chef de Respekt, ou bien Adam Černý, le président du Syndicat des journalistes de République tchèque. Pour ce dernier, c’est d’abord en Tchéquie que ces problématiques doivent être débattues :

Adam Černý,  photo: Khalil Baalbaki,  ČRo
« Je suis venu avec la crainte que cela serait comme une douche froide pour la République tchèque et je pense que cela aurait été assez injuste, car cela aurait été extraire la Tchéquie du contexte européen. Si vous regardez l’évaluation de la liberté de la presse de Reporters sans frontières, vous verrez que nous sommes plutôt bien classés. C’est une autre chose, et je pense qu’elle était importante, de rappeler que la liberté de la presse, la liberté de produire et de diffuser de l’information, c’est une affaire qui nous concerne tous. D’après tout ce que j’ai entendu ici, j’ai l’impression que nous avons pas mal de devoirs à la maison, parce que la Commission européenne a aussi rappelé qu’elle ne disposait pas des instruments pour résoudre ces problèmes. »

Ce jeudi, c’est le Parlement européen, en session plénière, qui est à son tour invité à débattre avec la Commission européenne des abus potentiels dans les médias tchèques.