Liberté de la presse : la République tchèque a reculé de huit places
La liberté de la presse en République tchèque ne serait plus tout à fait ce qu’elle était il y a encore un an de cela. Si le constat est forcément exagéré, c’est néanmoins ce que pourrait laisser à penser le classement mondial annuel de Reporters sans frontières (RSF) publié mercredi. Le résultat 2016 peut sembler quelque peu étonnant pour la République tchèque. Celle-ci a en effet reculé de huit places en l’espace d’un an pour se retrouver en 21e position sur un total de 180 pays.
Ces propos sont ceux qu’Antoine Héry, alors responsable du bureau Union européenne et Balkans chez Reporters sans frontières, avaient tenus pour Radio Prague il y a deux ans de cela. A l’époque, la République tchèque avait progressé de trois places pour se retrouver à une flatteuse 13e position au classement établi par l’ONG. Très médiatisé à chaque sortie, ce classement de RSF se fonde sur sept indicateurs pour évaluer la liberté des médias dans un pays : le niveau des exactions, l’étendue du pluralisme, l’indépendance des médias, l’environnement et l’autocensure, le cadre légal, la transparence et les infrastructures.
« Nous avons une méthodologie bien établie que nous utilisons depuis plus de dix ans maintenant. Elle consiste à utiliser un questionnaire long de 87 questions que nous faisons passer à 180 pays, les 180 pays qui figurent au classement, auprès de nos réseaux. Et ces questions traduisent l’état de la liberté de la presse dans chacun de ces pays. »
Depuis, la situation se serait donc dégradée en République tchèque. Sauf que, comme le précisait déjà Antoine Héry en 2014, l’évaluation de la situation établie par RSF est forcément quelque peu tendancieuse :
« La plupart de ces questions de perception qui figurent dans les questionnaires sont effectivement difficiles à mesurer. Ce sont des questions très subjectives qui dépendent de ce que vivent les journalistes. On ne leur demande pas de se mettre à la place de la profession, nous n’en sommes pas capables. Un journaliste ne peut pas exprimer ce que ressentent l’ensemble de ses collègues à l’échelle d’un pays. Mais enfin, nous demandons à ces journalistes que nous considérons représentatifs d’une certaine idée du journalisme, et aux chercheurs qui observent ces professions des acteurs de l’information, de traduire dans quelles conditions ils exercent leur métier. C’est-à-dire de quelle liberté de parole ils disposent quand ils veulent s’exprimer sur les agissements du pouvoir politique, économique, éventuellement religieux… »
Si l’on s’en tient au commentaire qui figure dans le rapport publié par RSF concernant la République tchèque, la situation n’est d’ailleurs pas spécialement alarmante, notamment parce que, estime l’ONG, la justice protège la liberté des médias.
« La diffamation est un crime, mais des poursuites judiciaires sont rarement intentées, peut-on ainsi lire sur le site internet de RSF. Mieux, en 2005, la cour constitutionnelle a fait savoir que tout jugement de valeur était ‘protégé’, aux yeux de la loi, limitant ainsi les velléités de procès pour diffamation. Quand la satire politique est incriminée, les tribunaux locaux prennent souvent parti pour les médias accusés, l’idée étant de conserver la caricature, traditionnelle dans le pays, comme une forme légitime de critique. »En matière de liberté de la presse en République tchèque, le point noir le plus souvent évoqué ces dernières années est l’appartenance de MAFRA, le plus grand groupe de médias du pays, qui publie notamment les quotidiens Mladá fronta Dnes et Lidové noviny, à Andrej Babiš, richissime homme d’affaires devenu ministre des Finances et vice-Premier ministre. A en croire Jan Jirák, professeur à l’Institut des études en communication et journalisme à la Faculté des sciences sociales de l’Université Charles à Prague, la situation ne serait cependant pas plus inquiétante et singulière que cela :
« Cette interconnexion que personnifie Andrej Babiš est malheureuse, c’est une évidence, mais ne soyons pas naïfs non plus. Pour ce qui est des médias, la connexion entre le monde des affaires et la sphère politique a toujours existé. Disons que dans le cas d’Andrej Babiš, cela saute un peu plus aux yeux. Je ne pense donc pas qu’il s’agisse d’un problème fondamental. Plus généralement, le véritable dilemme des médias privés est de déterminer qui est le détenteur la liberté d’expression. S’agit-il de la liberté des éditeurs, des groupes propriétaires des médias, ou bien de la liberté de ceux qui travaillent dans ces médias ? C’est là une question à laquelle il est difficile de répondre. »
Et à laquelle ne répond pas non plus RSF, qui indique ne pas avoir de modèle de référence en matière de fonctionnement des médias pour peu que le pluralisme de ceux-ci ne soit pas menacé par leur concentration économique.