« Autrefois, les Canadiens considéraient que les hockeyeurs d’Europe de l’Est venaient leur piquer leur travail »
Avec 51 points en 37 matchs, dont 28 buts et 23 assistances, depuis le début de la saison régulière, David Pastrňák est actuellement à la fois le quatrième marqueur et le meilleur buteur de la NHL. Mais l’ailier des Bruins de Boston est un peu l’arbre qui cache la forêt. A la différence de leurs glorieux aînés vainqueurs notamment du « Tournoi du siècle » aux Jeux olympiques de Nagano en 1998, rares en effet sont désormais les joueurs tchèques à compter parmi les tout meilleurs dans la prestigieuse ligue nord-américaine de hockey sur glace.
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Spécialiste du hockey sur la chaîne de télévision québécoise Le Réseau des sports, François Gagnon s’est confié récemment à Radio Prague International suite à l’intronisation de Václav Nedomanský au Temple de la renommée à Toronto. A cette occasion, nous avions évoqué avec lui l’état actuel du hockey tchèque, mais aussi, par exemple, le regard qui était porté autrefois au Canada sur les joueurs d’Europe de l’Est :
« C’était l’ennemi. C’étaient des soldats notamment à cause de l’ancienne équipe soviétique. Il a fallu la ‘Série du siècle’ en 1972 (nom donné à une série de huit matchs, quatre disputés au Canada puis quatre autres à Moscou, entre l’équipe du Canada composée de ses meilleurs joueurs professionnels et celle de l’URSS, multiple championne du monde, pour déterminer laquelle des deux était la meilleure, ndlr) pour que l’on prenne conscience qu’ils étaient tous des militaires de carrière gradés, ils étaient aussi d’abord d’excellents joueurs de hockey. Tout le monde se souvient de la manière avec laquelle ces joueurs soviétiques ont coupé le souffle à tout le monde lors des premiers matchs au Canada. Les observateurs et le public étaient surpris par leur style de jeu et leur succès s’est rapidement traduit par un certain capital de sympathie. »
« Václav Nedomanský a quitté la Tchécoslovaquie pour émigrer au Canada deux ans après cette Série, et il a effectivement le premier joueur d’Europe de l’Est en NHL, mais il existait déjà deux camps au Canada : celui des admirateurs de ces joueurs-là qui avaient franchi le rideau de fer et qui étaient considérés avec un œil admirateur en raison de leur technique et celui – plus important – de ceux qui considéraient qu’ils n’étaient que des ‘voleurs de jobs’. On les regardait de haut, on estimait que c’étaient des joueurs trop frêles qui ne pratiquaient pas le hockey dur de l’Amérique du Nord. Mais c’étaient des joueurs qui étaient plus fins dans leur observation du jeu que les gros costauds qui allaient ‘brasser de la viande’ dans les coins des patinoires. »
Comment expliquez-vous que Václav Nedomanský ne soit que le deuxième joueur tchèque de l’histoire à avoir été intronisé au Temple de la renommée à Toronto ?« C’est la loi des grands nombres. C’est effectivement le deuxième après Peter Šťastný (ancien très grand joueur slovaque qui, avant d’émigrer au Canada en 1980, a été notamment sacré deux fois champion du monde avec la Tchécoslovaquie, ndlr)… »
Le deuxième plutôt après le gardien Dominik Hašek…
« Oui, excusez-moi, c’est peut-être une erreur, mais je considère les Slovaques et les Tchèques qui ont joué à une certaine époque comme faisant partie d’un même pays, même si je sais bien que la Slovaquie et la République tchèque sont aujourd’hui deux pays bien distincts. C’est vrai que ce n’est pas énorme, mais il y aura très certainement d’autres joueurs qui les rejoindront dans un proche avenir. D’un autre côté, si on prend un pays comme la Russie, on ne trouve que dix de ses joueurs au Temple de la renommée… A mes yeux, le plus important n’est pas le nombre, mais bien que les plus grands joueurs de l’histoire du hockey tchèque et slovaque – ou tchécoslovaque – soient reconnus, comme cela a été fait récemment avec Václav Nedomanský. »« Jaromír Jágr a été et reste un phénomène »
Les hockeys tchèque et slovaque traversent une grave crise de résultats depuis plusieurs années. Le nombre de leurs joueurs évoluant en NHL tend à baisser lui aussi, surtout si on le compare à l’énorme boom qui a suivi la chute des régimes communistes en Europe de l’Est dans les années 1990. Est-ce une évolution que vous avez observée au Canada également ?
« Oui, mais ce n’est pas là un phénomène propre au hockey tchèque. Pour parler de ma nation, même le Québec produit de moins en moins de hockeyeurs. Les réponses se trouvent au niveau de la pratique des jeunes. Au Québec, nous sommes les témoins d’un désintérêt des jeunes pour le hockey organisé. L’équation est simple : si vous avez moins de candidats à son début, vous avez aussi un choix plus restreint de bons joueurs à la fin qu’il y a de cela 20, 30 ou 50 ans. »« Que font les jeunes aujourd’hui après l’école ? Jettent-ils encore leur sac dans un coin une fois rentrés chez eux pour enfiler des patins et aller jouer au hockey ? Si la réponse est négative, cela aura des retombées négatives jusque sur l’équipe nationale à long terme. Les jeunes, c’est la base. C’est désolant pour le hockey, mais parallèlement les jeunes restent très actifs. Simplement, concrètement au Québec, le soccer – ou le football comme vous dites chez vous – est devenu un phénomène, le sport numéro un. Les jeunes Canadiens le découvrent et délaissent le hockey pour donc se tourner vers le foot, le tennis ou d’autres sports encore. »
« Du coup, aujourd’hui, nos meilleurs athlètes ne se pratiquent plus nécessairement vers le hockey. Et même si le plus important reste que les jeunes pratiquent un sport, l’amateur de hockey que je suis peut être inquiet de cette évolution. Je pense que c’est la même chose ailleurs dans le monde, en Europe notamment, et la question est de savoir si un pays comme la République tchèque pourra continuer à produire des joueurs de la qualité d’un Jaromír Jágr ou d’un Václav Nedomanský. »
Ou d’un David Pastrňák, actuellement meilleur buteur en NHL. Quel regard portez-vous sur son début de saison ?
« Selon moi, la ligne d’attaque qu’il forme avec Patrice Bergeron et Brad Marchand à Boston est la meilleure de toute la Ligue. C’est le trio le plus complet, et je fais là abstraction des statistiques. C’est une composition rêvée pour n’importe quel entraîneur. Pastrňák est non seulement un franc-tireur extraordinaire, mais aussi un joueur qui attire l’attention sur lui pour toutes les bonnes raisons. C’est le type de joueur qui peut faire taire les critiques qui visent les hockeyeurs européens. »
« Bien que les partisans (supporters) des Bruins soient traditionnellement des cols bleus, et même à certains égards des ‘hooligans’, peu ouverts sur les Européens, leur équipe possède avec Zdeno Chára un capitaine slovaque et avec David Pastrňák un attaquant tchèque qui prend la Ligue d’assaut. Tu as beau avoir un scepticisme patriotique, la réalité est là pour te convaincre du contraire… Alors que Chára (42 ans) profitera bientôt d’une retraite bien méritée, Pastrňák sera là pour prendre le relais. »
François Gagnon, vous n’êtes pas sans savoir que le vrai phénomène en République tchèque reste Jaromír Jágr, malgré ses 47 ans…
« (Il coupe) Jágr est le même phénomène partout ! (il se marre) »
…Il continue de jouer dans son club formateur Kladno, dont il est également le propriétaire. Continuez-vous à le suivre depuis le Canada ?
« Je le suis à distance, mais davantage en raison de Tomáš Plekanec (qui a porté le maillot des Canadiens de Montréal durant l’essentiel de sa carrière en NHL – et disputé près de 1 000 matchs -, avant de revenir en République tchèque en 2018, ndlr), qui lui aussi est originaire de Kladno et est un grand ami de Jágr. Je l’ai appelé récemment pour évoquer quelques souvenirs avec lui. C’est ainsi que je me tiens informé de ce qui se passe dans l’Extraliga tchèque et des performances de Jágr. Voilà un joueur qui sera intronisé au Temple de la renommée dès qu’il pourra l’être (au plus tôt trois ans après la fin de la carrière d’un joueur). »« Nous sommes conscients en NHL de la chance que nous avons de pouvoir voir tous ces joueurs à l’œuvre ne serait-ce qu’à un moment donné de leur carrière. Mais c’est bien aussi qu’ils rendent ensuite au hockey de leur pays ce que celui-ci leur a donné quand ils étaient plus jeunes pour les aider à grandir jusqu’à la NHL. Mais oui, pour en revenir à Jágr, c’est réellement un phénomène. Il l’a été et le reste aujourd’hui encore. »