Avec Laurent Jacob sur le cinéma tchèque, les femmes réalisatrices et la liberté de ton

Cinéma aujourd'hui dans Culture sans frontières. Radio Prague vous propose une interview avec Laurent Jacob, directeur de la sélection de la CinéFondation. La CinéFondation qu'est-ce que c'est ? Dans le cadre du prestigieux festival de Cannes, il s'agit d'une sorte d'observatoire de la création cinématographique étudiante à travers le monde. Elle s'est donnée pour mission de détecter les futurs grands du cinéma de demain. Laurent Jacob a accepté de répondre aux questions de RP, à son retour du festival du cinéma étudiant, Fresh Film Fest, qui s'est déroulé du 22 au 26 août à Karlovy Vary.

Laurent Jacob,  photo: CTK
Il faut tout de même préciser que Laurent Jacob a un lien tout particulier avec la République tchèque. En amoureux de la musique tchèque, il avait fait le trajet en 1990 pour voir le fameux concert du grand chef d'orchestre Rafael Kubelik, revenu diriger le poème symphonique Ma patrie, de Smetana, dans la Tchécoslovaquie redevenue libre. Faisant l'école buissonnière pour pouvoir voir un chef d'orchestre qu'il aimait particulièrement, il garde un souvenir ému de ce moment unique où, sur la place de la Vieille-Ville, le public vibrait à l'unisson avec Kubelik, déjà fort malade, et avec les musiciens interprétant cette musique si symbolique pour les Tchèques en ces mois de liberté retrouvée, après la chute du régime communiste.

Mais sans plus attendre, laissons la parole Laurent Jacob qui nous raconte les origines de la CinéFondation :

« La CinéFondation existe depuis 10 ans. A l'origine c'était juste une sélection de films d'étudiants qu'on montrait pendant le festival de Cannes. Après cela, on a rajouté une partie « résidence » à Paris où on invite de jeunes cinéastes étrangers à venir passer quatre mois à Paris et à profiter des facilités pour obtenir des coproductions avec la France et surtout pour finir leur scénario. « L'atelier » est une autre division de la CinéFondation, qui a été créé plus récemment. On sélectionne des projets et à Cannes on fait rencontrer à leur réalisateur et producteur, des financiers, des producteurs étrangers. On édite un livre des projets et les gens peuvent le consulter avant sur Internet, puis rencontrer les réalisateurs. On essaye de parachever ainsi le financement des films et de permettre leur création. »

Vous revenez du Fresh Film Fest qui s'est achevé le 26 août, comment cela s'est-il passé ? Quels films avez-vous vus qui vous ont intéressé ?

'Lilli'
« Moi j'ai regardé une séance de films de la FAMU choisis par une revue tchèque. Mais une des utilités de ce voyage a été de prendre des contacts avec des responsables de la FAMU pour améliorer les liens entre la CinéFondation et la FAMU et nous permettre de voir le plus de films possibles de leurs étudiants. Sinon, la sélection était vraiment très bonne. C'est un des festivals où je suis allé où j'ai trouvé la sélection excellente. Dans la compétition, les films qui ont gagné des prix étaient un film finlandais, fait par une Polonaise, Lilli, assez dur, âpre sur une jeune droguée, et un très bon film d'animation anglais qui s'appelait Milk Teeth et pour une fois, le palmarès a été à la hauteur de la sélection, c'est-à-dire que le jury a très bien fait son travail et il a donné, à mon avis, les prix aux bons films. »

Parmi les films que vous avez vus au Fresh Film Fest, y a-t-il des films que vous voudriez montrer l'an prochain à la CinéFondation ?

« Peut-être, on va regarder. Peut-être le film d'animation anglais qui sort de la National Film and Television School. On va peut-être lui demander de nous envoyer le film, le regarder. Un des problèmes de la CinéFondation c'est qu'on ne montre pas de documentaires. Là, on a vu pas mal de très bons documentaires mais ce ne sera probablement pas pour nous. »

C'est un choix de ne pas montrer de documentaires ?

« C'est un choix. Cannes est essentiellement un festival de fiction. Donc la CinéFondation qui est une sorte de réservoir pour les générations futures qui reviendront à Cannes avec leurs longs métrages après avoir montré leurs courts métrages d'école à la CinéFondation, c'était logique qu'on s'intéresse principalement à la fiction. Depuis deux ou trois ans, je montre un ou deux documentaires où il y a quand même un peu de fiction, qui sont mis en scène parfois. C'est vrai que parfois, la frontière est floue entre le documentaire et la fiction. »

Il y a un film d'animation tchèque aussi qui a été récompensé, en tout cas qui a eu une mention. Pour vous, la tradition de grande qualité de l'animation tchèque continue-t-elle aujourd'hui ? Je pense aux générations précédentes des Tnka ou de Jan Svankmajer...

'Contact'
« Et son fils, justement, a fait un film à la FAMU. J'ai montré un de ses films à la CinéFondation. On a montré huit films tchèques d'animation environ, depuis les dix ans de la CinéFondation. Ils continuent d'avoir la passion pour cela, de savoir le faire, le talent de trouver les étudiants qui sont doués pour cela. Je pense qu'ils ont des problèmes de moyens, mais ils ont toujours l'amour de l'animation. C'est vrai qu'à la CinéFondation, on a montré bien plus de films d'animation tchèques que de films de fiction de la FAMU. Il y a deux ans, on a montré un film d'un étudiant qui s'appelle Jan Bohuslav qui est toujours à la FAMU et va faire un nouveau film. Le film était formidable. Un autre film, Contact, de Martin Duda. C'est des études qui durent très longtemps, on peut continuer à faire des films après cinq ou six ans de pratique à la FAMU et finir son film de fin d'étude. On espère beaucoup de ces gens là, et d'autres. Je crois que l'animation est une petite famille au sein de la FAMU, ils sont très soudés, ils s'entraident, ils font des choses dans leur coin, chez eux, avec leurs logiciels, ils en proposent à la FAMU qui les inclut ou pas dans le cursus, en plus de ceux qu'on leur demande de faire. Mais ils sont très actifs. »

Et en ce qui concerne la fiction ? Auriez-vous tendance à dire que c'est plus faible ?

« Je ne sais pas si c'est subjectivement que je trouve qu'on n'a pas obtenu de films aussi marquants que les films d'animation. Cette année, j'ai hésité : il y avait deux films de fiction intéressants, faits par deux femmes, Lenka Wimmerova et Zuzana Kirschnerova. J'ai hésité longtemps. La CinéFondation est une sélection très mince en fait, on montre très peu de films en fait, cette année on en a montré seize sur 1200 candidats, donc il faut qu'on soit très enthousiaste pour sélectionner un film. Ceux-là, je les aimais beaucoup tous les deux, mais finalement, j'en ai préféré d'autres. J'espère que dans les années qui viennent on va montrer des films de fiction de la FAMU, car c'est une école glorieuse et mythique et il n'y a pas de raison qu'il n'y ait pas un film de la FAMU qui soit au niveau des grandes écoles du monde actuelles. »

C'est justement ce qu'on a tendance à dire aujourd'hui : par rapport au cinéma de la nouvelle vague tchèque, des années 1960 le cinéma tchèque a l'heure actuelle est peu producteur de bons films, en tout cas de films qui sont exportables à l'étranger. Que pensez-vous qu'il manque à cette génération de l'après 1989 ?

'Pusinky'
« Je crois qu'il manque de l'imagination, une liberté de ton, peut-être la faculté de sortir des sentiers battus. Et c'est de plus en plus difficile par rapport à la nouvelle vague, parce que le financement du cinéma inventif, audacieux et un peu risqué est tombé. C'est devenu de plus en plus difficile de produire des films qui témoignent autant du fait que le cinéma est un art et un divertissement. Je pense que le cinéma tchèque souffre de cela, fait des films qui marchent très bien en République tchèque, qui s'exportent aussi, puisque Sverak a eu l'Oscar (pour le film « Kolya », ndlr) et ils font des films tout à fait visibles. Mais ils manquent du ton acéré et de l'imagination des Forman, Passer, Chytilova. C'est devenu de plus en plus difficile de sortir du moule de la production. Les financiers et les diffuseurs imposent un chemin tout tracé. Si vous voulez faire l'effort de sortir de ce chemin, vous le payez assez cher : vous mettez beaucoup plus de temps pour faire un film, vous ramez pour obtenir les financements... Et on m'a dit que par rapport à tous les autres pays d'Europe, la République tchèque était le pays où le financement du cinéma par l'Etat était le moindre. Si on n'a pas en plus des producteurs privés une incitation des pouvoirs publics à la création, c'est difficile : on a encore beaucoup en France et ce qui permet au cinéma français d'être original et créatif. Peut-être que ça s'est perdu un peu en République tchèque. Mais on a vu cette année un premier film d'une réalisatrice qui s'appelle Karin Babinska, « Dolls » en anglais (« Pusinky » en tchèque, ou « Les bisous », ndlr), qui laisse espérer en l'avenir. J'espère d'ailleurs, en voyant ces deux films d'étudiantes de la FAMU, on se dit que le cinéma peut devenir au moins aussi féminin que masculin en République tchèque, ce qui serait très bien. »

Vous disiez que la FAMU était une école réputée. Qu'est-ce qui fait une bonne école ? Quelle serait la définition d'une école pour qu'en sortent de bons créateurs ?

« C'est difficile à dire, une bonne école, c'est à mon avis une école qui fait l'effort des professionnels, des réalisateurs, des techniciens qui auront du travail, donc il y a cet enseignement nécessairement classique. Mais la bonne école c'est celle qui permet aux étudiants de faire des expériences parce que quand est-ce qu'un jeune réalisateur pourra faire des expériences, si ce n'est à l'école ? Après, ce sera très dur. Donc il faut leur laisser un minimum de marge de liberté pour essayer des choses, quitte à se tromper. Souvent les résultats ne sont pas forcément à la hauteur des espérances, mais il y a énormément d'écoles dans le monde qui imposent une voie dont on ne peut pas sortir. Les bonnes écoles comme NYU à New York, l'Université de Tel-Aviv ou la Fémis à Paris tolèrent une certaine liberté, et je pense que c'est ça la marque des bonnes écoles. »