Avec le K2, Radek Jaroš est devenu le 15e alpiniste de l’histoire au sommet des quatorze « 8 000 » sans oxygène
Fin juillet dernier, Radek Jaroš a enfin vu son rêve se réaliser : en venant à bout du redoutable K2, deuxième plus haut sommet du monde après le Mont Everest avec ses 8 611 mètres, l’alpiniste tchèque a intégré le club très fermé des quinze hommes, lui compris donc désormais, à être parvenus à gravir, sans oxygène artificiel, les quatorze sommets situés à plus de 8 000 mètres existant dans le monde.
« Nous sommes restés à peu près une heure au sommet. Le temps d’admirer le paysage, de prendre des photos des environs, avec le drapeau tchèque et aussi bien entendu avec les drapeaux des sponsors, sans lesquels une telle expédition serait difficilement réalisable. Toutefois, il a fallu refaire les photos, car le mien a gelé et celui de mon collègue pour l’ascension, Jan Trávníček, n’était pas sur le bon programme. Et puis nous avons repris quelques forces pour la descente. »
On s’attendrait à un récit d’aventure empli de grand romantisme, et c’est à du pur pragmatisme que l’on a droit. Interrogé par la reporter de la Radio tchèque, membre de l’expédition, qui se trouvait au camp de base à sa descente du sommet du K2, c’est avec ces mots que Radek Jaroš a décrit les quelques moments passés là-haut, tout en haut de cette montagne dont, aujourd’hui encore, seuls quelques centaines d’alpinistes ont réussi l’ascension. La description de ce grand moment d’adrénaline et, on le suppose, d’émotion, était d’autant moins romanesque que le panorama n’était pas optimal au sommet, comme l’explique Radek Jaroš :« La vue était bonne, sauf que la très grande majorité des sommets alentour de 7 000 mètres étaient sous les nuages. Nous savions que la Terre est ronde, mais nous n’avons donc pas pu profiter de ces centaines et milliers de montagnes. En même temps, le temps pour cela est relativement court. Il faut aussi récupérer après l’ascension et en prévision de la descente et faire des choses tout à fait courantes. A cette altitude, ne serait-ce que retirer ses gants quelques secondes est déjà toute une affaire, même s’il faisait exceptionnellement ‘chaud’ cette année. »
En 1986, le légendaire Reinhold Messner, déjà le premier à réussir l’ascension de l’Everest sans oxygène et en solitaire, était devenu le premier alpiniste de l’histoire à parvenir au sommet des quatorze « 8 000 ». L’Italien avait alors réalisé ce qui est parfois appelé « La couronne de l’Himalaya », comme le titre du livre traduit en français de Krzysztof Wielicki, légende de l’alpinisme polonais. Mais là non plus, ce n’est pas aux grands noms qui ont marqué l’histoire de la conquête de l’immense massif asiatique que l’alpiniste tchèque a d’abord pensé au sommet du K2 :
« C’est un mélange de plusieurs choses à la fois. Je me suis d’abord trouvé seul en attenant que mon collègue Jan parvienne lui aussi au sommet. Entretemps, une équipe de trois alpinistes pakistanais est aussi arrivée en haut. Mais j’ai profité de ces quelques moments de solitude. C’est alors un peu le film de ma vie, et pas seulement d’alpiniste, qui est passé en accéléré. Mais je serais incapable d’évoquer une pensée concrète, tout se bouscule un peu dans ces moments-là. »Les pensées de Radek Jaroš se bousculaient d’autant plus que le K2, durant l’ascension duquel environ un alpiniste sur cinq trouve la mort, est longtemps resté une montagne maudite pour lui. Et à 50 ans, le Tchèque avoue qu’il n’est pas certain qu’il se serait lancé dans une sixième expédition si cette cinquième tentative d’ascension avait de nouveau échoué, comme les précédentes, notamment en raison de conditions climatiques extrêmes et souvent changeantes ou, comme lors de la dernière en 2007, à cause d’une blessure à un doigt :
« Franchement, je n’imaginais pas revenir ici une nouvelle fois. Cette année, il faut bien reconnaître que nous avons eu beaucoup de chance, c’était presque de la science-fiction. Une quinzaine de jours seulement se sont passées entre notre arrivée au camp de base et notre sortie. Je me souviens qu’en 2003 nous avions passé soixante jours sans pouvoir sortir du camp de base, tellement les conditions étaient impossibles. Certainement que nous étions jeunes à l’époque, car c’est quelque chose que je ne serais plus capable de faire aujourd’hui. »
Dans les années 1980, âge d’or de l’alpinisme marqué par l’ouverture de multiples nouvelles voies dans l’Himalaya, un autre Tchèque s’était illustré, lui aussi sans oxygène artificiel, sur les pentes du K2. A l’époque, Josef Rakoncaj avait été le premier homme au monde à vaincre la montagne tant redoutée à deux reprises.Lorsque nous l’avions rencontré pour la dernière fois au début de l’automne 2011, Radek Jaroš sortait de l’ascension, quelques mois plus tôt, du Lhoste et de ses 8 516 mètres. A l’époque, il ne lui manquait plus que deux sommets, mais pas des moindres, pour arriver aux quatorze « 8 000 » : l’Annapurna, lui aussi particulièrement compliqué, et le K2.
Un an plus tard, en 2012 donc, l’ascension de l’Annapurna, bien que réussie, lui avait valu à son retour l’amputation de tous ses doigts gelés au pied gauche et de deux autres au pied droit. C’est pourquoi il a fallu attendre deux ans de plus pour revoir le Tchèque se lancer dans l’aventure du K2. Et comme il l’avoue lui-même, il s’agissait aussi pour lui de rayer ce quatorzième et dernier sommet à plus de 8 000 mètres de la liste pour enfin prétendre avoir réalisé cette fameuse « Couronne de l’Himalaya » :
« Il n’y avait pas que ça, mais c’est vrai que, dans ma carrière, le K2 est la troisième montagne à plus de 8 000 mètres dont j’ai tenté l’ascension. Mais à l’époque, même en rêve, je n’envisageais pas du tout parvenir au sommet des quatorze. Mais affirmer que j’étais prêt à abandonner le K2 serait un mensonge. Si cela avait été le cas, je n’y serais pas revenu une cinquième fois. Bien sûr que cette couronne était devenue un objectif, une fin en soi. Bien sûr que je voulais devenir le quinzième alpiniste au monde à pouvoir prétendre avoir réalisé cette performance. Mais si j’avais de nouveau échoué cette fois, je ne serais peut-être plus jamais revenu, ou alors pas avant plusieurs années… »
Peu importe désormais. Seize ans après l’ascension de l’Everest, son premier « 8 000 », Radek Jaroš a enfin bouclé la boucle.