Avec le tableau du château de Konopiště, Versailles mise sur le bon cheval pour son exposition
Le compte à rebours est lancé. Il ne reste désormais plus que quelques jours avant l’ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024. À Versailles, en écho aux épreuves d’équitation qui se dérouleront dans le parc du château, une nouvelle exposition consacrée au cheval et à la civilisation équestre en Europe a ouvert ses portes ce mois-ci dans les salles de l’ancienne résidence royale. A exposition exceptionnelle, œuvres exceptionnelles : l’une des œuvres phares de l’exposition arrive tout droit de Tchéquie, plus précisément du château de Konopiště (Bohême centrale). Interrogée par Radio Prague Int., la conservatrice du patrimoine au château de Versailles et commissaire de l’exposition, Hélène Delalex, a accepté de revenir sur l’histoire de cette œuvre issue de la collection de l’archiduc François-Ferdinand, tombée dans l’oubli durant près de 200 ans, et qui dorénavant trône fièrement dans la plus belle salle du château de Versailles.
« Cheval en majesté, au cœur d’une civilisation », c’est le nom de la nouvelle exposition du château de Versailles. Pouvez-vous nous présenter en quelques mots cette exposition et le cadre dans lequel elle s’inscrit ?
« C’est une exposition un petit peu hors-norme à Versailles : d’abord par sa taille, par son sujet aussi et par le fait que l’exposition se répartit dans différents endroits du château, ce qui promet aux visiteurs certains face-à-face parfois tout à fait saisissants. C’est une exposition sur laquelle je travaille depuis presque dix ans maintenant et qui, finalement, a été programmée de manière très opportune à l’occasion des épreuves équestres des Jeux olympiques qui se dérouleront dans le parc de Versailles. Un vieux rêve a ainsi pu se concrétiser grâce à cette occasion magnifique. »
Parmi toutes les peintures exposées, une en particulier a attiré notre attention à Radio Prague Int., puisqu’elle provient du château de Konopiště, en Bohême. Il s’agit du portrait équestre de Léopold de Médicis. Pouvez-vous nous décrire la toile en question ? De quand date-t-elle ? Qui en est l’auteur ? Et, surtout, qu’est-ce qu’elle représente ?
« Ce tableau nous le devons au Flamand Justus Sustermans, l’un des grands peintres de la cour de Toscane au début du XVIIe siècle. La toile date de 1623. Elle représente le petit Léopold de Médicis, futur cardinal, à l’âge de sept ans, sur un cheval qui paraît gigantesque au regard de la taille de son cavalier. C’est d’ailleurs là une anomalie. D’ordinaire, les enfants sont représentés sur des petits chevaux, comme le faisait Velázquez, ou même sur des poneys. Cette disproportion accentue le caractère mystérieux de cette toile. »
Quelle est la démarche habituelle pour concevoir une telle exposition ? Comment avez-vous eu connaissance de ce tableau ? Le connaissiez-vous auparavant ou alors une personne vous l’a-t-elle suggéré pour l’exposition ?
« La démarche habituelle veut, qu’après avoir établi une liste des œuvres importantes, nous organisions en quelque sorte des voyages diplomatiques afin d’exposer notre projet aux institutions et obtenir leur accord de prêt. Dans le cas présent, cela ne s’est pas du tout passé ainsi. C’était un hasard total. J’étais, en effet, à Prague pour un colloque international sur un tout autre sujet, puisqu’il était question des cabinets de Marie-Antoinette, et l’organisation de Prague m’a proposé de profiter de ce voyage pour visiter certains châteaux et palais du patrimoine tchèque. La découverte du château de Konopiště a donc été un heureux hasard. Je me souviendrai toujours, dans la longue enfilade de salles, de la toute petite chambre où je suis tombée nez à nez avec cette œuvre que je ne connaissais pas, puisque redécouverte seulement très récemment par l’historien de l’art Gianluca Tormen, à partir d’un inventaire. »
« Cette visite demeurera l’un des grands souvenirs de ma carrière. Je suis restée littéralement en arrêt devant cette œuvre, hypnotisée par sa puissance, dans cette toute petite chambre dont elle semblait déborder. C’est à ce moment-là que j’ai compris que ce serait l’une des grandes œuvres de l’exposition que j’étais en train de préparer. »
En quelle année cette visite du château de Konopiště a-t-elle eu lieu ?
« L’année dernière ! Le projet était déjà très avancé. Mais lorsque j’ai découvert cette œuvre, j’ai immédiatement revu ce projet pour pouvoir accorder à cette œuvre la place qu’elle méritait. »
« Rappelons que le fil rouge de cette exposition est aussi de proposer au public de nouvelles œuvres, soit parce qu’elles sortent des réserves, soit parce qu’elles sont prêtées pour la toute première fois. Pour le portrait équestre de Léopold de Médicis, se retrouver aujourd’hui au centre de la galerie des Glaces, après être tombé dans l’oubli pendant près de 200 ans, relève presque d’un conte de fées. »
L’importance phénoménale du cheval
Quels détails ont attiré votre attention lorsque vous avez vu cette toile pour la première fois ? Qu’est-ce que ce tableau a de plus que les autres pour être en tête d’affiche de l’exposition ?
« L’importance phénoménale du cheval pour commencer qui est, à bien des égards, le véritable protagoniste de cette œuvre. Sa blancheur absolument magistrale est accentuée par le clair-obscur tout à fait virtuose. Le fond neutre, noir, fait lui presque penser à une icône. Il n’y a pas d’arrière-plan, juste un focus très étrange sur ce petit enfant vêtu d’un costume non conventionnel. »
« Grâce aux travaux de recherche de Gianluca Tormen, nous savons par ailleurs que l’équidé représenté est une jument andalouse, offerte aux Médicis par un prince français issu de la Maison de Lorraine et exilé en Toscane. Cette jument est morte à un âge avancé, tuée d’un coup d’arquebuse à la tête. Sa crinière, absolument vertigineuse, a, elle, été précieusement conservée dans un coffre. »
« Tout est absolument hypnotisant dans cette œuvre et nous nous devons de rappeler aux visiteurs qu’il n’est pas besoin de connaître le sujet, ni d’être familier de l’art ou de l’histoire de l’art, pour être absolument saisi devant ces grands chefs-d’œuvre qui parlent d’eux-mêmes. »
Comment ont réagi les administrateurs du château de Konopiště quand vous leur avez annoncé que vous souhaitiez emprunter le tableau pour l’exposition ?
« J’étais encore dans les couloirs de Konopiště quand j’ai glissé à la personne qui m’accompagnait que j’allais très certainement faire une demande. Nous avons tout de suite senti un véritable enthousiasme de la part de l’administration tchèque, puis de la part du patrimoine. Ce prêt a été, de ce point de vue, une formidable occasion de coopération entre nos deux institutions et nos deux pays. »
Dans quelle pièce du château de Versailles l’œuvre est-elle désormais exposée ?
« Nous avions, dès le départ, l’idée de consacrer la galerie des Glaces à accueillir une seule œuvre qui serait une œuvre phare. Nous avions un temps envisagé d’autres icônes beaucoup plus connues, mais finalement nous nous sommes mis d’accord sur cette œuvre. Je pense que ce choix a été le bon. Son installation a véritablement été un moment magique. Il n’est pas habituel, en effet, d’exposer une œuvre dans la galerie des Glaces. Nous avons même dû, à cet égard, retirer des lustres de la pièce pour avoir plus de recul et apprécier l’œuvre. C’est une histoire tout à fait unique qui ne se reproduira certainement jamais. »
Quelles autres toiles, parmi celles présentées dans l’exposition, méritent selon vous également le détour ? Y en a-t-il d’autres provenant de Tchéquie ?
« Nous aurions pu. Nous avions, en effet, dans la liste une série de peintures d’Hamilton qui venait du château de Hluboká. Nous avons cependant dû faire des choix et y avons donc finalement renoncé. Nous avons toutefois une très belle collaboration avec la Suède qui est un autre fil rouge de l’exposition. Les visiteurs pourront notamment découvrir en ouverture de l’exposition des tableaux monumentaux du XVIIe siècle des chevaux préférés de Charles XI de Suède qui étaient également conservés pour la plupart dans les réserves et qui n’ont aucun équivalent. »
Le portrait équestre de Léopold de Médicis et l’exposition « Cheval en majesté, au cœur d’une civilisation » sont à découvrir au château de Versailles jusqu’au 3 novembre.