« Avec les palindromes, les mots s’envolent d’une langue à l’autre et font des allers-retours »

Photo repro: František Havlůj - běžíliška

Rencontre, dans cette nouvelle rubrique culturelle, avec Veronika Doutlíková et Vincent Gassin-Gradstein, deux artistes qui se sont rencontrés pendant leurs études à la fin des années 1980 et qui viennent de publier un petit livre original intitulé Palindromes. Jeux de mots, jeux de langues, jeux surréalistes sur le sens, les mots et les images sont au cœur de cet ouvrage intitulé « 18 SLOV, 18 VOLS ».

Photo repro: František Havlůj - běžíliška
Veronika Doutlíková, bonjour, vous êtes plasticienne tchèque, vous êtes passée par Paris d’où votre maîtrise du français, et vous vivez aujourd’hui à Pardubice. Vincent Gassin-Gradstein, bonjour, vous êtes peintre et professeur d’architecture. Vous vivez en France, entre Lille et Paris. On se retrouve à l’occasion de la sortie d’un petit ouvrage franco-tchèque, linguistico-artistique qui s’appelle Palindromes. Rappelez-nous d’abord ce qu’est un palindrome…

VD : « Un palindrome est un mot qu’on peut lire dans les deux sens. Dans le cas présent, c’est d’un côté un sens tchèque, de l’autre un sens français. »

VG : « Un palindrome est un mot qu’on lit de gauche à droite et de droite à gauche. »

En tchèque, vous appelez cela « obrácenky » ?

VD : « Oui, c’est un mot assez joli qui signifie que quelque chose est à l’envers. »

Mais ce n’est pas le terme officiel… VD : « Oui, c’est inventé ! »

Ce sont donc des palindromes entre des mots tchèques et français. Pour qu’on se rende un peu compte, pouvez-vous nous donner des exemples de palindromes ?

VD : « Oui. Par exemple ‘MES’ ou ‘SEM’. ‘MES’ en français signifie ‘le mien’, et ‘SEM’ signifie ‘ici’, comme dans ‘viens ici’. »

Il y a des palindromes très drôles d’ailleurs, parmi vos exemples…

VD : « Oui comme ‘NOC’ (nuit en français, ndlr) et ‘CON’ ! »

Photo repro: František Havlůj - běžíliška
Un autre m’a fait rire d’ailleurs, autour du mot français ‘PET’ !

VD : « Oui, ‘PET’, qui à l’envers donne ‘TEP’ en tchèque, soit le pouls, le battement de cœur. »

Et puis forcément, il fallait que le titre du livre lui-même soit un palindrome…

VD : « 18 mots en tchèque se dit ‘18 SLOV’ et quand on le lit dans l’autre sens, cela donne ‘18 VOLS’ en français. »

VG : « Les mots s’envolent d’une langue à l’autre et font des allers-retours… »

Revenons à la genèse de ce petit livre, en rappelant d’où vous vous connaissez tous les deux…

VG : « On s’est rencontrés dans un échange d’écoles d’arts appliqués. Un groupe d’étudiants français est allé à Prague rendre visite à des étudiants tchèques. On a été très bien accueillis et ensuite les Tchèques sont venus nous rendre visite en France. C’était à la fin des années 1980. »

Ça remonte à loin en fait !

VD : « Oui, et pour nous les Tchèques, c’était très exotique à l’époque. Nous nous sommes retrouvés à Paris juste avant la chute du rideau de fer. C’était tout neuf de pouvoir passer les frontières. On a découvert le vaste monde. »

Et de là est née une amitié…

VG : « De là est née une amitié. Mais aussi nous étions sous le charme de Prague, des visites qu’on a faites, de la beauté de la langue, de sa musique, et puis des activités artistiques partagées. »

Ce projet est donc l’aboutissement d’autres projets menés peut-être entre temps ? Ou bien est-ce le tout premier sous forme de retrouvailles ?

Photo repro: František Havlůj - běžíliška
VG : « Nos amis tchèques nous ont invités en 1990 à faire une grande exposition à Prague. A cette occasion, l’un deux avait fait des affiches qui inondaient la ville, avec une grosse dame toute rouge qui tenait un drapeau français dans la bouche ! C’était vraiment une joie. Sur ces vingt années, on a fait beaucoup d’échanges géographiques, littéraires, épistolaires. C’est une occasion de se retrouver et de concrétiser un objet artistique avec notre maturité respective. »

Concrètement, comment est née l’idée de ce livre, de repérer ces palindromes franco-tchèques et de les mettre en forme dans ce petit livre, créant un jeu linguistique entre les deux langues ?

VG : « L’idée est née dans la tête de Veronika qui est cette migrante permanente à la fois intellectuelle et géographique. Je crois que ça lui est venu aussi à force de fréquenter les dictionnaires, et de cet effort constant qu’elle fait et de cette joie qui est pour elle de parler français. J’ai répondu oui tout de suite à sa proposition de jouer avec les mots. Ce qui nous lie beaucoup c’est la question du jeu. Le palindrome incarnait ces allers-retours permanents qu’on a en tête pour ces deux pays. Après, effectivement, il fallait linguistiquement mettre en forme, trouver, chercher. Il y a des mots qu’on a censurés, qui étaient un peu plus durs. Il y a des mots qu’on a rajoutés à la fin puisqu’on propose au lecteur de s’amuser et de créer leurs propres palindromes, peut-être plus sous forme de phrases que de simples mots. C’est aussi quelque chose de participatif. »

Comment avez-vous articulé par la suite les palindromes avec l’aspect proprement visuel, graphique et artistique du livre ?

VG : « C’est vraiment notre amitié qui a permis de partager à quatre mains ce travail. On est partis d’une technique que je laisserai expliquer par Veronika, qui est spécifique et qui donne l’atmosphère graphique du livre. Mais simplement, on s’est coltinés comme n’importe quel illustrateur les mots français et leur traduction tchèque et inversement. Quand il y a deux mots par page, ça fait quand même quatre significations, soit deux mais respectivement dans chaque langue. Et on s’est donc appuyés sur le sens de ces mots pour décider à quoi ressembleraient les images… »

Photo repro: František Havlůj - běžíliška
VD : « La technique est spéciale car c’est le résultat d’une réaction chimique. C’est créé sur des papiers thermiques et on utilise la chaleur pour que l’image apparaisse. C’est un procédé un peu miraculeux. On peint aussi sur des vieilles images ce qui donne un aspect nostalgique, comme le cinéma en noir et blanc. »

Le français est connu pour beaucoup jouer avec les mots. Je pense aux contrepèteries, aux palindromes, donc. Est-ce que c’est aussi une tradition en tchèque ?

VD : « Mais oui ! Il y a des palindromes tchèques, comme ‘Jelenovi pivo nelej’ soit ‘Ne verse pas de bière à un cerf’. Et cette phrase en tchèque peut se lire dans les deux sens ! »

Et y a-t-il cette tradition de jouer avec les mots, à l’école par exemple ?

VD : « Oui, il existe plein de jeux à l’école qui sont à la base de palindromes ou jeux de mots. »

VG : « Finalement, ce qui nous relie, c’est quand même l’accueil de cette poésie : ce n’est pas très sérieux tout ça ! Ça nous permet d’utiliser nos mots, d’être dans un échange quotidien mais sous une forme plus artistique ou amusante. »

Et puis pour des artistes, c’est intéressant de passer du côté purement visuel au monde de la littérature, des mots, de la poésie. C’est une expérience nouvelle pour vous deux ?

VG : « Moi je suis peintre, donc c’est vrai que je suis plutôt dans les images, excepté que ma peinture depuis cinq ans mélange des lettres… L’accueil des lettres dans l’image est une vieille tradition. »

VD : « Et moi, quand je réalise des illustrations, je suis toujours influencée par les lettres, les textes. C’est très important. Je m’amuse beaucoup avec les jeux de mots. C’est quelque chose que j’aime depuis l’enfance… »

Il y a une exposition à Pardubice autour de ce livre. Quelles sont ses dates et que va-t-elle présenter exactement ?

Photo repro: František Havlůj - běžíliška
VD : « Elle est organisée à l’Alliance française de Pardubice. C’est sur la place principale de la ville et c’est jusqu’au 8 avril. On y présente des dessins et la démarche visuelle qu’on a eue pour créer ce livre. »

C’est également organisé dans le cadre des Journées de la francophonie…

VG : « Oui, c’est le cas. La Tchéquie apprécie beaucoup le français et fait venir beaucoup d’écrivains. Nous ne sommes certes pas écrivains, mais comme nous jouons avec la langue, c’est dans le cadre de ces Journées que cette exposition a lieu. A peine sorti des presses, ce livre semble bénéficier d’une certaine reconnaissance et intérêt. Il y a aura donc une deuxième exposition de celui-ci à l’Institut français de Prague, où le livre sera montré avec les dessins qui ont présidé à son élaboration. Rappelons que ce livre est sous l’égide de deux éditeurs, un tchèque et un français… »

VD : « Oui, ils nous ont beaucoup soutenus. L’un est tchèque, Běží liška, c’est une petite maison d’édition, mais qui fait de très beaux livres pour enfants. Notre livre est plutôt pour les familles bilingues. »

VG : « Côté français, les éditions HD ont accepté généreusement de participer à cette aventure. »

Comment ont réagi Français et Tchèques, soit connaissant les deux langues, soit qu’une seule, quand vous avez montré où les épreuves soit le livre ?

Photo repro: František Havlůj - běžíliška
VD : « Je crois qu’on peut facilement se prendre dans ces 18 mots ! (rires) La réaction est assez surprenante : il y a des mots que vous connaissez, mais quand ils ont deux sens, tout de suite, vous finissez par ne pas être sûr de la signification… C’est un peu la même chose que quand on répète toujours le même mot. »

Le mot perd son sens premier. Et vous Vincent, qu’en pensez-vous ?

VG : « Il y a eu quelques témoins avant la sortie du livre. Avant les avertissements de la quatrième de couverture, ils étaient plutôt effrayés de l’épreuve et de l’exigence demandée au lecteur. Les réactions vont être plutôt à l’avenir. Mais il y a plutôt de l’enthousiasme à l’idée du partage entre deux pays et deux langues. »

Certains palindromes ont un aspect assez surréaliste. C’est intéressant de rappeler que le mouvement surréaliste, né en France, existe encore en République tchèque. Il y a eu ces échanges franco-tchèques dans les années de l’entre-deux-guerres. C’est une manière de renouer avec cette tradition – en toute modestie ?

VG : « En toute modestie oui. On n’échappe pas à notre histoire, on y appartient et on la cultive. Je sais que pour les palindromes bilingues, il existe une édition confidentielle en France, des années 1980. On n’est pas les premiers, mais on est contents de faire ressurgir cette possibilité. C’est vrai que dans la composition des doubles pages de notre livre naissent des choses un peu saugrenues qui sont l’illustration des mots, qui n’auraient pas normalement vocation à être ensemble, mais qui sont pourtant réunies. »