Bernadette Ségol : « Parler d’une seule voix sur la question de l’Europe sociale »
Ces 27 et 28 juin se déroule à Bruxelles un Sommet européen d’une grande importance portant sur la politique économique de l’Union européenne. En amont de cette rencontre, Bernadette Ségol, secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats, a effectué un véritable tour des capitales européennes afin de partager avec les dirigeants politiques leur analyse de la crise économique et d’évoquer les moyens d’y mettre un terme. Elle était ainsi le 10 juin à Prague pour rencontre le chef de l’Etat Miloš Zeman et celui qui était alors encore Premier ministre, Petr Nečas. Nous vous proposons de découvrir l’intégralité de l’entretien que Bernadette Ségol a accordé à Radio Prague suite à sa visite.
« L´objet pour les deux était le même c’est-à-dire de promouvoir la position que le Confédération européenne des syndicats prend vis-à-vis de la dimension sociale de l´Union européenne qui doit faire l´objet d´une feuille de route discutée au Conseil du mois de juin. Nous voulons leur faire part de nos positions mais aussi des grandes tensions sociales qui existent en Europe et du besoin urgent de remettre le social au centre du débat européen. »
Le Président de la République tchèque a accueilli plutôt favorablement la plupart des orientations que vous défendez, il l´a fait savoir par un communiqué. Le Premier ministre au contraire était plutôt opposé à certaines des mesures que vous proposez. Pouvez-vous détailler la teneur des échanges que vous avez eu avec eux ?
« Evidemment, nos propositions restent les mêmes. Il est certain que le président Zeman est accueillant et positif vis-à-vis de nos idées, particulièrement vis-à-vis de la nécessité de plans d´investissement pour relancer la croissance et l´emploi. Le premier ministre de la République tchèque espère plutôt relancer l´emploi par des réformes structurelles et des réformes du marché du travail, une rectification du marché du travail, ce qui n´est pas du tout notre approche. Mais nous parlons avec tous les responsables politiques. Evidemment, nous ne sommes pas tombés d´accord sur tout avec le premier ministre tchèque, ce qui n´est pas étonnant. »Vous n´êtes pas tombés d´accord notamment sur l´une des mesures que vous défendez, c'est-à-dire l´harmonisation fiscale de la taxation sur les sociétés à 25% dans tous les pays membres ?
« Nous demandons une harmonisation du taux de la fiscalité des entreprises. Nous avons effectivement avancé le chiffre de 25 % mais c´est un chiffre qui est une tentative. Si vous lisez les documents de la CES, ce que nous voulons, c´est qu´il n´y ait pas de concurrence fiscale entre les entreprises. Le chiffre que nous avançons est un chiffre que nous mettons sur la table, qui est à discuter mais il est certain qu´il est malsain pour les entreprises européennes de se faire concurrence sur le taux de taxation au niveau national. »
En ce moment, ce taux n´est pas le même dans tous les pays européens. En République tchèque, il est un peu plus faible que 25%. Dans d´autres pays européens comme la France, il est plus élevé. Ne craignez-vous pas une harmonisation par le bas?
« C´est pour cela que nous avons placé la barre relativement haut. En tout cas, d´abord ce qu´il faut acquérir, c´est le principe que dans une Union européenne où on a un marché intérieur, la concurrence ne peut pas se faire sur la fiscalité. Ceux qui paient le prix de cette non-harmonisation de la fiscalité, ce sont les travailleurs, parce qu’eux sont obligés de remplir les caisses de l’Etat par leur imposition. »Vous défendez aussi l’instauration d’un salaire minimum européen…
« Non ! Il y a une erreur dans l’interprétation. Nous défendons l’instauration d’un revenu minimum. Un revenu minimum, ce n’est pas un salaire minimum. J’ai vu les interprétations qui ont été données : je n’ai jamais parlé de salaire minimum mais de ‘minimum income’. Je peux expliquer pourquoi : nous défendons l’idée d’un revenu minimum qui serait défini sur des principes européens et décidé au niveau national. Un revenu national n’est pas nécessairement dépendant de l’emploi.
L’idée d’un salaire minimum, nous la défendons dans la mesure où les pays veulent un salaire minimum légal interprofessionnel. C’est le cas de beaucoup de pays européens. Il y a un certain nombre de pays pour lesquels il vaut mieux que cette fixation des salaires soit faites par convention collective. Et effectivement nous pensons que l’idéal est d’arriver à avoir des planchers minimaux qui soient faits par convention collective. Donc, du point de vue européen, nous défendons les syndicats qui demandent un salaire minimum décent dans leur pays, qu’il soit établi par convention collective ou par la législation. Et la référence que nous avons en matière de salaire décent c’est la définition qu’en donne le Conseil de l’Europe, qui est 60% du salaire moyen. »
Comment les dirigeants tchèques ont accueilli l´idée d´un revenu minimum ?
« Le président tchèque est très ouvert à cette idée. Le Premier ministre n´a pas franchement réagi à ce point là. Nous avons eu peu de temps avec le Premier ministre. Je comprends, nous sommes arrivés dans un moment où la population tchèque était plus préoccupée par les inondations et la première chose que j´ai dite a la fois au président et au premier ministre était que nous étions en sympathie avec les populations tchèques. »Ce Premier ministre Petr Nečas a mené, avec son gouvernement, une stricte politique d’austérité. Le pays est en récession depuis de longs trimestres maintenant. Le chômage atteint des niveaux inquiétants. Donc on ne peut pas dire que les politiques d’austérité, au niveau européen, portent leurs fruits. Vous défendez une autre politique, une politique plutôt de relance de la demande ?
« Oui, nous défendons une politique de relance par la demande, surtout dans des pays comme l’Allemagne qui ont connu dix ans de pression sur les salaires, mais aussi une politique de relance par l’investissement. Nous demandons un plan d’investissement de 1 à 2% qui puisse relancer l’économie et l’emploi. Et là, c’est clair que nous avons de grandes différences d’approche. Le Premier ministre tchèque estime que le niveau de chômage en République tchèque est meilleur que dans d’autres pays, mais nous savons aussi que le niveau du chômage n’a jamais été aussi haut dans l’absolu. Et les niveaux de pauvreté ou de risque de pauvreté en République sont aussi extrêmement importants. »
Quelles sont les autres mesures que vous avez défendu face à Miloš Zeman et à Petr Nečas ?
« D’abord un changement des politiques macroéconomiques, ensuite une politique de relance par l’investissement, des standards minimaux au niveau européen dont la question du revenu minimal, ou encore un développement du dialogue social qui soit un développement substantiel. Dans de nombreux pays, le dialogue social n’est souvent pas réel, c’est un dialogue de façade. Nous demandons aussi des mesures très concrètes sur la question des jeunes, de la garantie jeune. Il s’agit d’une priorité. Et nous demandons qu’au niveau macroéconomique, il y ait des indicateurs sociaux : comme des indicateurs sur la pauvreté, des indicateurs sur les inégalités, sur le chômage ou de politique active sur le marché du travail. Nous voulons que ces indicateurs soient aussi obligatoires que le sont les indicateurs économiques. »Vous pouvez nous expliquez ce qu’est la garantie jeune ?
« La garantie jeune, cela existe dans un certain nombre de pays. C’est l’obligation de donner un jeune, qui a été pendant quatre sans travail ou sans formation, la possibilité d’avoir dans l’idéal un emploi ou une formation ou un stage ou un apprentissage. »
Votre visite a Prague s´inscrit dans un tour des capitales européennes pour promouvoir une Europe sociale. Quels sont les objectifs de cette tournée ? Avez-vous l’impression que vos idées progressent ?
« Les objectifs de cette tournée, c´est de mettre les chefs d´Etat et de gouvernement qui vont se réunir à la fin de ce mois devant leur responsabilité politique. L´Europe sociale a été la victime de la crise que nous avons traversée. On a démantelé les systèmes sociaux, la protection sociale, les services publics. On a attaqué les relations sociales et notre message essentiel est de dire aux dirigeants européens que si vous ne remédiez pas à cet état de choses, si vous faites de l´Union européenne un simple marché, ils vont perdre le soutien des citoyens européens qui étaient favorables à ce projet. La démocratie parlera. »
Pouvez-vous nous présenter l’organisation dont vous êtes la secrétaire générale, la Confédération européenne des syndicats ? Quels sont les autres moyens d’action que vous avez à disposition ?
« La Confédération européenne des syndicats est la seule confédération syndicale au niveau européen. Nous regroupons 86 confédérations dans tous les pays de l’Union européenne et dans les pays candidats ainsi que dans des pays membre de l’Espace économique européen. Nous parlons d’une seule voix sur la question de l’Europe sociale. Et nous avons les mêmes moyens d’action qu’un syndicat classique : la négociation, la discussion avec des dirigeants politiques et le cas échéant la manifestation. Nous avons un plus je dirais car nous sommes un partenaire social reconnu dans les traités. Cela nous donne l’avantage de pouvoir être entendu au plus au niveau par les responsables politiques. »Et quelles sont vos composantes tchèques ? Il y avait Jaroslav Zavadil avec vous lors de votre rencontre avec les dirigeants tchèques…
« Bien sûr, le président de la Confédération tchéco-morave des unions syndicales (ČMKOS) qui est très actif dans la CES. Il est membre de notre comité exécutif, de notre comité de direction. D’abord, ce sont eux qui ont organisé ces rencontres. Le matin, j’ai eu l’occasion de m’exprimer devant leur comité exécutif. C’est ČMKOS qui a organisé les rencontres avec le Président de la République et le Premier ministre et je pense qu’il n’y a pas de différences d’analyse et d’objectifs entre le CES et ČMKOS. Il y a des différences évidemment du fait des situations nationales mais la vision de ce qu’il faut faire pour sortir de cette impasse est la même. »L’espoir d’une Europe sociale n’est-elle pas un peu illusoire aujourd’hui alors qu’on a l’impression que cette Europe se réalise plus avec les banquiers qu’avec les peuples ?
« Malheureusement, c’est pour l’instant l’impression, c’est effectivement ce qui se passe. Nous n’avons pas abandonné. Nous savons que le retour aux frontières nationales n’est pas une solution pour notre avenir, pour celui des nouvelles générations, pour l’emploi et donc, à un moment ou à un autre, il faudra bien que les leaders politiques s’en rendent compte. C’est en tout cas notre thème majeur avec l’investissement pour les élections au Parlement européen l’année prochaine lors desquelles nous serons extrêmement actifs. »