Bienvenue dans la ville aux cent clochers… et aux dix millions de touristes!
Alors qu’il y a trente ans, les murs décatis et les couleurs passées de ses bâtiments témoignaient de près d’un demi-siècle de communisme, Prague s’est en quelques années imposée comme l’une des plus belles villes du monde. Aujourd’hui victime de son succès, elle est touchée par une problématique commune aux métropoles de son rang : le tourisme de masse.
La cinquième ville la plus visitée d’Europe semble ne pas connaître de saison creuse, si bien qu’à l’automne comme au printemps, ses plus célèbres places sont davantage investies par des visiteurs étrangers que par les Praguois eux-mêmes. Allemand, anglais, français, italien, chinois, russe ou encore coréen : autant de langues qui résonnent sans cesse dans les rues de la capitale tchèque, donnant au centre-ville des allures de tour de Babel.
« 70% des visiteurs viennent à Prague pour la première fois, et ils se massent dans le centre historique de la ville, autour de la route du château. »
Barbora Hrubá travaille à l’Office de tourisme de Prague, qui déploie depuis 2015 une stratégie de promotion des quartiers plus éloignés du centre-ville praguois comme par exemple Holešovice, Karlín ou Letná.« Nous essayons d'attirer le plus de gens possible dans les quartiers voisins du centre-ville. Cela va de pair avec les tendances touristiques actuelles, puisque peu de personnes veulent ressembler au ‘touriste’ lambda qui ne visite que les monuments les plus iconiques et puis s’en va. Les gens recherchent quelque chose d’un peu plus insolite, ils veulent poster une story Instagram d’un lieu que leurs amis n’ont encore jamais visité. Le magazine britannique Time Out a récemment publié une liste des cinquante quartiers les plus sympathiques du monde, et Nové Město, la Nouvelle-Ville de Prague, figure sur cette liste ! Les gens sont de plus en plus intéressés par ces lieux et moins par un tourisme dit ‘commercial’. Ils veulent voir davantage de local, d’authentique. »
‘Promouvoir des entreprises tchèques ainsi que le respect de la culture, de l’histoire et de l’héritage locaux’ nous dit encore la porte-parole de l’Office de tourisme. Mais comment rechercher l’authentique, quand les magasins locaux sont supplantés par des boutiques de babioles en tout genre qui ont plus à voir avec l’attrape-touriste qu’avec le passé tchèque ? C’est l’écueil qu’ont rencontré Pierre, Aurélie et leurs filles, en vacances à Prague pour une semaine et en quête d’une connexion plus personnelle avec la capitale :« Là, on est dans un décor de théâtre, mais après il faut voir les coulisses. Si deuxième voyage il y avait, ce serait plus dans cette optique de découvrir la vie intrinsèque de la ville, et ça c’est quelque chose que l’on ne connaît pas. On s’est régalé de vos pâtisseries, qui ne sont pas typiques du tout, dont je ne prononcerais pas le nom (‘trdelník‘, ndlr). Des connaissances nous ont dit que ça n’était pas du tout local. Nous aurions pu rentrer en France en se targuant d’avoir goûté une petite spécialité tchèque ! »
Depuis quelques années, le nombre de visiteurs étrangers à Prague stagne et connaît même une imperceptible baisse, bien qu’il demeure impressionnant. Au total, presque 8 millions de touristes ont foulé le pavé du célèbre Pont Charles en 2018. Si le nouveau conseil municipal s’est depuis l’an dernier beaucoup plus intéressé à ce sujet, endiguer le tourisme de masse n’est pas sa priorité, notamment pour des raisons économiques. Selon l’Association des hôtels et restaurants de République tchèque, un Praguois sur onze travaille dans le tourisme, ce qui fait dire à Barbora Hrubá :
« La situation idéale serait de pouvoir bénéficier des même retombées économiques pour deux fois moins de touristes, ce qui n’arrivera probablement jamais ! »En moyenne, le nombre de nuitées reste stable, à raison d’un peu plus de deux nuits passées à Prague. La mode est au ‘city break’, soit au voyage de courte durée, et c’est sur le Pont Charles que nous avons rencontré Mick et Ludivine, des city-breakers arrivés la veille et repartant le lendemain :
« C’est très beau, mais c’est très touristique aussi. On fait du tourisme avec des touristes donc on ne voit pas vraiment comment vivent les gens ici, mais c’est intéressant quand même de voir l’architecture et les monuments. Ça change, et puis ça fait partie du jeu : on veut tous voir la même chose donc on n’a pas trop le choix. »
Il est vrai que le couple, nous confiant son coup de cœur pour l’horloge astronomique, n’a pas jeté son dévolu sur l’endroit le plus méconnu de la ville. Si le lieu a également impressionné Pierre, ce n’est peut-être pas pour de bonnes raisons :
« Je ne vous cache pas que la place de la Vieille-Ville noyée de monde c’est épouvantable, dans le sens où ça n’est pas l’image de carte postale où tu déambules seul avec les pigeons… C’est très beau, le mot épouvantable n’est pas en rapport avec la beauté du site, mais ce que je veux dire c’est que l’atmosphère est loin du romantisme ou des romans de Kafka. »
« Quand on va sur la place de la Vieille-Ville aux heures justes, quand l’horloge va sonner, c’est impressionnant. Mais ils sont touristes comme nous, ils ont le droit d’être là comme nous, donc c’est le jeu ! »
« On a quand même l’impression de voler la ville aux Praguois, ce qui nous gêne un petit peu… On se dit que grâce au tourisme, la ville vit économiquement, c’est le nerf de la guerre, mais on a quand même un peu l’impression de violer leur territoire. »
En effet et toujours selon Barbora Hrubá, si la plupart des Praguois comprennent l’engouement touristique et sont conscients du levier économique qu’il représente pour leur ville, « certains riverains ont l’impression que la ville ne leur appartient plus vraiment » et désertent de fait le centre-ville. Thomas Pérocheau est allé à la rencontre d’une Praguoise, Eva, pour l’interroger sur le sujet :
« Je pense que le centre de Prague souffre du surplus de tourisme. Chaque touriste est différent, mais en général ce que je n’aime pas, ce sont les touristes alcoolisés, qui viennent seulement à Prague pour s’amuser, faire des soirées, sans vraiment s’intéresser à l’histoire. »
Les autorités de Český Krumlov, ville tchèque dans le sud du pays, également victime du tourisme de masse, ont opté pour des créneaux horaires nécessitant une réservation en amont, afin d’endiguer l’afflux permanent de touristes. A Prague a même été évoquée l’idée d’instaurer un tourniquet en vue de réguler la fréquentation du Pont Charles.Cependant, malgré le fait que les discussions soient toujours en cours, Barbora Hrubá ne pense pas que l’idée soit d’actualité. A son sens, la solution n’est pas dans la régulation ni dans la restriction, mais dans la promotion d’autres trésors de Prague que ceux qui ornent son centre historique, par ailleurs inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1992 :
« Je recommanderais assurément de visiter la Bibliothèque technique nationale dans le quartier de Dejvice à Prague. C’est un monument assez récent, très moderne, qui comporte de très jolis détails architecturaux, mais qui est aussi tout à fait fonctionnel en tant que bibliothèque. A propos d’architecture moderne, il y a aussi le complexe River City dans le quartier de Karlín, ainsi que ses jolis bistros et cafés. Ou encore le quartier de Holešovice, qui a été le cœur industriel de la ville et dont les anciennes fabriques sont aujourd’hui des studios de design, des ateliers, de nouvelles galeries modernes… C’est sans aucun doute le must ! » Le château de Troja, le site de Vyšehrad, ou encore la réserve naturelle de Stromovka : Prague possède son lot de paysages moins prisés des envahisseurs pacifiques armés de perches à selfie que son château. Sans parler des richesses extérieures à Prague telles que Kutná Hora, Terezín ou encore le château-fort de Karlštejn. Des alentours qu’Aurélie envisage de découvrir lors d’un potentiel retour en République tchèque :« Il faudra faire Prague et les alentours, parce que là on a l’image ‘carte postale’ avec les monuments, les choses à faire, etc. Il faudrait voir aussi comment vivent les Tchèques : Prague n’en est peut-être pas un véritable reflet tout comme Paris ne reflète pas forcément la vie des Français au quotidien. La richesse de ce voyage, c’est qu’on a visité des choses basiques mais on a eu la chance de rencontrer des gens qui étaient francophones avec qui on a pu échanger et qui ont eu la gentillesse de nous apprendre des choses - notamment concernant ce gâteau, qui nous ont conseillé des adresses, qui ont eu la gentillesse de nous guider dans leur ville, et ça c’est chouette ! Parce que du coup on a vu des choses que n’ont peut-être pas fait tous les touristes. On a été très bien accueillis et les Tchèques en fait sont très francophiles. »