Bilan culture 2016 : de la scène submergée de Káťa Kabanová à la montgolfière pragoise Gulliver
Le bilan culturel de l’année 2016 que Radio Prague vous propose aujourd’hui commence en musique. Inutile de vous présenter Marta Kubišová, cette « voix de la rébellion en 1968 et la flamme de l’espoir en 1989 », comme le dit si joliment notre collègue Denisa Tomanová dans son émission musicale qu’elle a consacrée à cette grande dame de la chanson tchèque. A l’automne 2016, Marta Kubišová a sorti son dernier album, eh oui, le dernier, car la chanteuse qui fêtera l’année prochaine son 75e anniversaire a aussitôt annoncé la fin de sa carrière en 2017. Une carrière, rappelons-le, interrompue pendant vingt ans à cause de sa position intransigeante vis-à-vis du régime communiste. Le dernier album studio de Marta Kubišová s’intitule « Soul » et il regroupe une douzaine de chansons essentiellement d’auteurs américains, avec des paroles tchèques de Marta Skarlandtová, Václav Kopta et Pavel Vrba.
Par ailleurs, le Musée de la ville de Prague a ouvert cette année une nouvelle exposition permanente consacrée à l’architecture de la capitale tchèque sous le règne de Charles IV et de la dynastie des Luxembourg.
2016 fut aussi une « Année Václav Havel » : des dizaines d’expositions, de festivals, de projections de films, de représentations théâtrales, de débats et conférences ont été organisés, en République tchèque comme à l’étranger, pour commémorer le 80e anniversaire de la naissance de l’ancien président tchèque, ainsi que le 5e anniversaire de sa disparition, survenue le 18 décembre 2011. Plutôt que de répertorier toutes les manifestations « havléviennes », nous vous proposons d’écouter un souvenir peu ordinaire de Václav Havel que nous a confié Guillaume Basset, le directeur adjoint du Festival des écrivains de Prague :
« Je vivais en République tchèque depuis environ trois mois quand j’ai rencontré Václav Havel, qui n’était plus président à l’époque. J’avais rendez-vous avec un ami tchèque dans un bar, au Café Montmartre pour être plus précis. Havel était assis au bout d’une grande table, tout seul, un peu timide. Il était avec des amis et quand ils ont entendu qu’on parlait français, ses amis se sont mis à nous parler aussi en français. Nous avons fini par trinquer… J’ai eu l’occasion d’échanger quelques mots avec lui, des banalités sans fin, du genre : ‘Je vous admire, bravo pour ce que vous avez fait pour ce pays…’ Je n’ai pas eu l’occasion ensuite de le revoir, de parler avec lui de politique et de l’héritage politique qu’il aurait voulu que ses successeurs gardent et continuent. Je pourrais peut-être me permettre cette petite pique un peu méchante envers Václav Havel - un ami tchèque m’avait raconté cette anecdote : la différence entre Havel et Kundera, c’est que Kundera a fui la République tchèque et s’est installé en France pour devenir écrivain. Václav Havel est allé en prison pour devenir président. » Avec Milan Kundera, on passe à la littérature : en juin dernier, le roman de Milan Kundera « La vie est ailleurs » a été publié pour la première fois en République tchèque. Ecrit à fin des années 1960 et traduit en français en 1973, le livre, édité par Atlantis, a occupé la deuxième place dans l’enquête « Le meilleur livre de l’année », organisé par le quotidien Lidové noviny. Il n’est pas sans intérêt que dans cette enquête élaborée par des journalistes, écrivains et autres personnalités de la vie publique et culturelle, Milan Kundera a devancé d’une seule voix l’historien français Antoine Marès : la traduction tchèque de son livre intitulé « Edvard Beneš : Un drame entre Hitler et Staline » a été très appréciée des historiens et journalistes tchèques :« … Le livre n’est pas une sorte du monument dédié au deuxième président tchécoslovaque. En même temps, il ne le cloue pas au pilori. C’est un ouvrage qui le présente comme une personnalité exceptionnelle qui dépassait le cadre du milieu tchèque », peut-on lire dans les pages de Lidové noviny. Enfin, c’est un nouvel opus d’un auteur tchèque, Jiří Hájíček, qui a été désigné« Meilleur livre de l’année 2016 » par le journal. Nos auditeurs nous pardonneront de sauter impoliment les chapitres des arts de la scène et du cinéma… En évoquant juste un spectacle incontournable en ce moment en République tchèque : c’est l’opéra de Leoš Janáček « Káťa Kabanová », mis en scène par Robert Carsen au Théâtre national de Brno, en Moravie du Sud. Une belle représentation, « poétique et pleine d’émotion » selon la critique qui met en scène Pavla Vykopalová, Eva Urbanová et le soliste danois Magnus Vigilius et qui est joué à guichets fermés depuis sa première en novembre dernier. Déjà présentée sur plusieurs scènes mondiales, la « Káťa Kabanová » de Robert Carsen se déroule sur l’eau, une eau qui envahit tout l’espace scénique, celle du fleuve Volga où Káťa, empêtrée dans un mariage malheureux, finira par se jeter…Pour Radka Ondráčková de l’ONG reSITE, qui œuvre au développement durable des villes pour les rendre agréables à vivre, c’est le plus grand événement culturel de l’année : l’inauguration, à la mi-décembre, au Centre d’art contemporain DOX, d’un nouvel espace culturel baptisé Gulliver a en effet attiré l’attention du public et des médias. Créée par un architecte renommé, Martin Rajniš, ce Gulliver, une construction « transparente » en bois et en acier, mesure 42 mètres de long. Elle se veut être un lieu de rencontre entre littérature et art contemporain. Radka Ondráčková :
« Il s’agit d’une architecture en forme de montgolfière géante qui surplombe la cour de ce musée d’art contemporain. C’est un espace qui est absolument splendide, d’une légèreté incroyable… C’est une structure ouverte, donc le vent peut entrer et sortir. »
Comment peut-on y accéder ?
« On y accède par l’ascenseur jusqu’à la terrasse de l’un des bâtiments du musée, ensuite par un escalier métallique. Toute la construction repose sur deux piliers en acier. »Il s’agit d’une construction en bois…
« Oui, avec une toile qui protège la construction contre la pluie. Ce monument peut accueillir jusqu’à 200 personnes. Il apporte de la poésie à ce quartier de Prague 7 qui a une histoire plutôt industrielle. Il va aussi marquer le visage de Prague. Ce sera, à mon avis, une nouvelle image iconique de la capitale qui sera bientôt reproduite sur les guides touristiques. Personnellement, je serais vraiment contente si mes fenêtres donnaient sur ce Gulliver. »
Nous avons commencé en musique, nous terminons aussi en musique… En vous faisant écouter une nouvelle chanson du matador de la scène musicale locale, Karel Gott. Voici une des bonnes nouvelles de l’année 2016 : le retour de « Kája », comme le surnomment ses fans, sur scène, après une pause de plusieurs mois causée par une grave maladie.