Biographie de Jiří Mucha, homme qui n’a jamais choisi le chemin facile

La vie de Jiří Mucha est une suite d’événements et d’aventures qui forment un roman passionnant. Il a été correspondant de guerre, voyageur, prisonnier politique, écrivain mais avant tout homme courageux qui voulait vivre sa vie et a su garder une certaine liberté même sous les régimes totalitaires. Il a vécu entre 1915 et 1991 et sa vie, dont certaines étapes restent voilées de mystère, ne cesse d’intriguer ceux qui l’ont connu et même ceux qui ne le connaissent que par ses livres. Seule l’écrivaine Jolana Šopovová a osé écrire sa biographie. Il lui a fallu vingt ans pour rassembler des témoignages et des documents sur Jiří Mucha. Son livre paru au printemps 2011 est une importante contribution à notre connaissance de cet homme fascinant et secret.

Jolana Šopovová
Jolana Šopovová a rencontré Jiří Mucha pour la première fois en tant qu’étudiante de l’histoire du théâtre et du cinéma et lui a demandé une consultation concernant le travail qu’elle préparait pour un séminaire et qui allait devenir finalement sa thèse de doctorat :

« Pour moi c’était une rencontre essentielle parce que sous le régime totalitaire j’ai compris que la liberté n’est pas une question de conditions extérieures mais une décision personnelle. C’est ce que Jiří Mucha m’a montré et ce qui m’a permis de respirer et de commencer à me comporter différemment. »

L'écrivain Jiří Mucha est le fils du peintre Alfons Mucha, un des principaux artisans du style Art nouveau. Né en 1915 dans une famille où le patriotisme tchèque est considéré comme une des vertus fondamentales, Jiří n'arrivera jamais à renoncer à ce petit pays au centre de l'Europe qui est sa patrie, bien que ce petit pays le fasse souffrir et le soumette à des épreuves difficiles. Cosmopolite, grand voyageur, il pourrait s'établir sans problème en Grande-Bretagne ou ailleurs dans le monde, et pourtant il revient toujours à sa maison de Prague, parce que briser les liens avec sa patrie serait pour lui cesser d'être lui-même. Il dira: " Je n'ai jamais choisi le chemin facile, je n'ai pas voulu vivre ailleurs. Quand on est patient, tout arrive. Dans les périodes difficiles, il ne faut surtout pas se laisser pendre. Tout le reste, on peut le supporter. Et après, on se dit toujours: ça valait la peine." La vie de Jiří Mucha s’achèvera en 1991 après la chute du communisme et au seuil d’une nouvelle époque. Jolana Šopovová regrette de n’avoir pris la décision d’écrire un livre sur Jiří Mucha qu’après sa mort :

« En 1992, lorsque j’ai décidé d’écrire cette biographie, j’ai commencé à rechercher systématiquement les gens qui approchaient déjà du terme de leur vie et je me suis mise à les interviewer. Certains d’entre eux se sont tellement ouverts à moi qu’ils m’ont prêté leur correspondance, leurs photos, etc. Je me suis lancée, selon la méthode classique, à la recherche des sources dans les archives mais certaines archives à l’époque n’étaient pas encore accessibles ou l’accès aux informations était limité. »

Le portrait de Jiří par son père Alfons Mucha,  1925
La jeunesse de Jiří Mucha n’est pas exempte d’erreurs et d’hésitations. Jiří tente tout d'abord de renouer avec le succès de son père, mais il échoue à l'examen d'entrée à l'Académie des Beaux-arts à Prague. Il étudie donc la médecine et l'histoire de l'art et se lance dans le journalisme. Vers la fin des années 1930, il s'établit à Paris pour y poursuivre ses études de médecine, et c'est là que la guerre le surprend. Enrôlé en 1939 dans le contingent tchèque d'Agde, il se rend ensuite en Angleterre, entre dans la Royal Air Force et devient correspondant de guerre de la BBC. Cette partie de sa vie lui vaudra la disgrâce des autorités communistes tchécoslovaques après la guerre. Dès 1948, son nom figure sur la liste noire et, en 1951, il est arrêté comme espion et condamné à six ans de prison et de travaux forcés. Libéré, il exploitera son séjour en prison dans son oeuvre littéraire.

Jiří Mucha
En 1968, après l'occupation de la Tchécoslovaquie par les troupes soviétiques, il explique devant les caméras des télévisions d'Europe et d'Amérique ce qui vient de se passer. Il ose le faire malgré le danger que cela représente, malgré sa décision de continuer à vivre en Tchécoslovaquie, malgré une crise cardiaque qui vient de le frapper. Elu président du PEN club tchèque, il sera l'un des premiers écrivains tchèques à saluer publiquement le retour à la démocratie après la révolution de 1989 et poursuivra ses riches activités littéraires jusqu'à sa mort en 1991. Il laisse un certain nombre de livres, et notamment le roman-essai "Le soleil froid" inspiré de son séjour dans les prisons staliniennes, la chronique "La Guerre se poursuit", le roman "La tête de Lloyd", qui retrace sa vie nomade et cosmopolite, ainsi que le roman autobiographique "Au seuil de la nuit".


Jiří Mucha  (à gauche) avec Bohuslav Martinů,  Rudolf Kundera  (assis)
Il n’est pas facile de rédiger une biographie d’un homme qui a tellement voyagé et dont l’existence était tellement cosmopolite. C’est un travail qui dépasse largement les frontières d’un pays et Jolana Šopovová s’est vue obligée de chercher aussi dans des archives étrangères :

« C’est dans cette catégorie de documents qu’il faut classer probablement aussi tout ce qu’a mis à ma disposition le peintre Rudolf Kundera. Je lui ai rendu visite à Cassis et il m’a donné la correspondance qu’il avait entretenue avec Jiří Mucha à partir de la fin des années 1920 lorsque Rudolf Kundera avait commencé à assister Alfons Mucha lors de la création des toiles monumentales de l’Epopée slave. C’est à cette époque qu’a commencé l’amitié entre Rudolf et Jiří. Rudolf m’a donné aussi beaucoup de photos et m’a permis d’entrer en contact avec d’autres personnes. »

La biographe de Jiří Mucha ne passe pas sous silence même la période sombre des années 1950 lorsqu’il a été emprisonné et lorsqu’il a joué probablement un jeu dangereux avec la STB, police politique du régime communiste. Jolana Šopovová n’est pas seule à se demander pourquoi l’écrivain a accepté au début des années 1950 de collaborer avec la STB et pourquoi il n’a cherché à mettre fin à cette collaboration que relativement tard, dans les années 1960. Toutes ces questions et toutes ces spéculations ne peuvent cependant rien changer à sa conviction que Jiří Mucha était un homme intègre :

« Je dois dire que le travail sur ce livre m’a apporté beaucoup de surprises. Mais aucune de ces surprises ne m’a fait changer l’opinion que je m’étais faite de Jiří Mucha lors de nos rencontres personnelles. Ce travail m’a fait découvrir plutôt que Jiří Mucha était probablement l’unique homme ayant réussi à traverser le XXe siècle avec une conscience des faits et une sérénité incroyables, ce XXe siècle qui était tellement rempli de tournants et confusion. »

Jiří Mucha
Qui était donc Jiří Mucha ? Que pouvons nous dire, après avoir lu sa biographie, de son caractère, de sa vie intérieure, de son rapport vis-à-vis du monde ? Peut-on résumer une vie si riche, si agitée et si marquée par les vicissitudes de l’histoire ? Jolana Šopovová a tenté de le faire tout en étant consciente qu’il n’était pas possible de saisir toutes les facettes de ce caractère compliqué :

«Il avait certainement une nature d’aventurier. Et c’est peut être un paradoxe parce qu’il était d’une part aventurier et d’autre part un homme très judicieux. Je dirais qu’il était croyant. Il croyait réussir certaines choses et c’est pourquoi il les a réussies. Il croyait surmonter les injustices et les vexations dont il était l’objet et il les a surmontées. Je pense donc que le principal trait de son caractère était la foi, non seulement la foi en lui-même, mais en l’homme en général. C’est le comédien Miloš Kopecký qui a dit une grande vérité sur lui, vérité avec laquelle je m’identifie complètement. Miloš Kopecký a dit : ‘Au milieu de beaucoup de gens, il était toujours seul.’ ».