Bořek Šípek, « aristocrate du design », est mort

Bořek Šípek, photo: ČTK

En 2011, une exposition à Paris présentait le travail de l’architecte et designer tchèque Bořek Šípek, décédé samedi à l’âge de 66 ans et qualifiait l’artiste d’« âme fantastique du design ». Fantastique, c’est le mot, au regard des créations verrières originales d’un Bořek Šípek qui a littéralement renouvelé un art traditionnel des pays tchèques. Si le verre a fait sa renommée, il est à l’origine de nombreuses autres créations dans le domaine de l’architecture et du design.

Photo: Art Salon S
Bill Clinton, Jacques Chirac, Mick Jagger, Bob Dylan ou encore Karl Lagerfeld : toutes ces personnalités ont pour point commun de posséder certaines des œuvres de Bořek Šípek. C’est dire que la renommée du designer et architecte tchèque a fait le tour du monde.

Né à Prague en 1949, il perd très jeune ses parents, ce qui l’amène à une indépendance et à une nécessaire prise de responsabilités précoces. C’est parce qu’un maître-verrier, René Roubíček, devient son tuteur que Bořek Šípek s’oriente vers le travail du verre qui ne le lâchera plus. En 1968, il profite du dégel politique du Printemps de Prague pour quitter la Tchécoslovaquie. C’est en Allemagne qu’il pose ses bagages pour faire ses études d’architecture, avant de créer son propre studio d’architecture et de design à Amsterdam.

En 2011, la galerie Hip à Paris exposait ses créations verrières. Radio Prague s’était entretenu alors avec Bertrand Courtaigne, qui entretenait un lien d’amitié avec Bořek Šípek. Pour lui, l’artiste tchèque s’inscrivait dans la tradition du verre tchèque tout en renouvelant celle-ci :

Václav Havel et Bořek Šípek,  photo: ČTK
« Bořek Šípek s’inspire effectivement des traditions anciennes de fabrication : tout ce qu’il fait est soufflé à la bouche par des maîtres-verriers dans ses ateliers. Il a des assistants qui l’aident à produire ces pièces qui sont souvent très délicates et difficiles à fabriquer. Le style de Bořek Šípek est unique et reconnaissable immédiatement. Il rompt avec les traditions du passé et permet d’avoir une production extrêmement inventive et renouvelée. »

Ce n’est qu’après la chute du communisme dans son pays en 1989 que Bořek Šípek peut enfin retourner dans son pays. Un retour en fanfare puisque, trois ans plus tard, il est chargé par le nouveau président fraîchement élu, Václav Havel, de transformer les intérieurs du Château de Prague, siège du chef de l’Etat tchèque. Avec le Slovène Josip Plečník au début du siècle, qui y a laissé son empreinte créatrice et était lié au président Tomáš G. Masaryk, les changements et aménagements fruits du travail de Bořek Šípek entre 1992 et 2002 vont de pair avec la présidence de Václav Havel.

Photo: Art Salon S
Décédé des suites d’un cancer samedi, Bořek Šípek n’aura pas vécu suffisamment longtemps pour se voir récompensé dans son pays pour l’ensemble de son œuvre. Une cérémonie était prévue en mars prochain par la fondatrice du prix Czech Grand Design, Jana Zielinski, qui évoque le souvenir de Bořek Šípek :

« Bořek Šípek est sans aucun doute le plus grand designer mondial d’origine tchèque. Il faut bien se rendre compte que, dans les années 1980, il était au top de l’architecture et du design mondiaux. J’aime beaucoup le comparer à un ‘aristocrate du design’, parce qu’il a réellement insufflé au design un aspect aristocratique. Je pense que c’est lié à ses études de philosophie, en parallèle de l’architecture et du design. Il est incroyable de voir que lui-même, qui se considérait davantage comme un architecte, ait atteint un tel niveau dans le design. Demandez à n’importe quel expert étranger : si vous dites ‘design tchèque’, ‘verre tchèque’, Bořek Šípek arrive toujours en première place ! »

Bořek Šípek,  photo: ČTK
Bořek Šípek disait de son travail de designer que ce n’étaient pas tant les formes baroques qui l’intéressaient – et pourtant, Dieu sait que ses créations évoquaient ce style ! – qu’un rapport baroque au monde. Une chose est sûre, qu’il s’agisse de son œuvre d’architecte ou de designer, son travail était indissociable de sa vie et de son identité, comme Bořek Šípek l’avait encore récemment confié à la Télévision tchèque, alors qu’il était déjà malade :

« Cela remplit ma vie. Mon travail me passionne. En fait, je réfléchis constamment à ce que je vais faire et de quelle manière je vais le faire. D’une certaine façon, on peut dire que le travail me maintient la tête hors de l’eau. »