Camille Hunt, galeriste : « On aimerait plus de galeries, plus de concurrence à Prague »

Jan Šerých, TAKEMEHOME

Suite aujourd’hui de l’interview avec la galeriste Camille Hunt, de la galerie Hunt-Kastner. Avec sa collègue américaine d’origine tchèque Katherine Kastner, elle anime une petite galerie dans le quartier de Holešovice à Prague, qui a pour ambition de représenter les jeunes espoirs de la scène artistique tchèque et de devenir une référence dans la promotion de l’art contemporain. Elle explique quand et comment est née la galerie sobrement intitulée Hunt-Kastner.

Camille Hunt et Katherine Kastner
« Ça fait quatre ans qu’on est là, mais ça fait quatre ans que je suis à Prague, tout comme Káča ma collègue. Avant d’ouvrir la galerie on travaillait toutes les deux à la galerie Futura, le centre pour l’art contemporain. »

Qui se trouve à Smíchov...

Jan Šerých,  TAKEMEHOME
« Tout à fait. On est parties pour des raisons diverses. Je dis souvent, en anglais qu’il y avait ‘trop de cuisiniers dans la cuisine’. Futura, c’est un très bel espace, mais énorme, on faisait de grandes expositions de groupes d’artistes. On pensait que ce qui manquait vraiment à Prague c’était une galerie privée qui s’occupe de la carrière des artistes. On a que dix artistes avec lesquels on travaille intensémment. Il ne s’agit pas uniquement des expositions que l’on prépare dans notre espace. Mais on travaille aussi sur les catalogues, la documentation, les expositions ailleurs aussi, à l’étranger, et les foires. Ça c’est un aspect très important... »

C’est là que vous rencontrez les acheteurs...

« Oui, mais pas seulement les acheteurs. Il y a aussi tous les commissaires qui viennent pour voir ce que font les jeunes galeries. En une semaine, à ces foires, on rencontre plus de monde issu du monde professionnel des arts qu’en un an dans la galerie. »

Vous dites, une dizaine d’artistes. Quels sont ces artistes tchèques que vous représentez ?

Daniel Pitín,  Men in the garden
« Il y a Eva Koťátková, par exemple, que nous présentons à la galerie en ce moment. Les autres noms que les auditeurs pourraient connaître, c’est par exemple Josef Bolf qui a certaines oeuvres à la Galerie A l’anneau d’or, dans le cadre de l’exposition Po sametu (Après le velours) qui présente beaucoup d’autres artistes comme Daniel Pitín ou Jirka Týn avec qui on travaille aussi. A l’heure actuelle, Josef Bolf a aussi une exposition individuelle à la galerie de l’hôtel de ville de la Vieille-Ville. La plupart des artistes avec lesquels on travaille sont jeunes. Ce qu’on fait avec la galerie, c’est d’établir ces artistes. »

Vous êtes une sorte de tremplin pour ces jeunes artistes ?

« Un peu. Mais on ne prend pas pour autant des étudiants. Il ne faut pas qu’ils aillent directement de l’école à une galerie, je pense. »

En fonction de quoi choisissez-vous les artistes que vous représentez, est-ce en fonction de vos propres coups de cœur, avec votre collègue ?

Jiří Thýn,  Less
« C’est cela. Il y a beaucoup d’artistes avec lesquels on aimerait travailler, évidemment. On ne peut pas tout faire, donc on essaye de faire un choix. C’est très difficile. On se limite pour l’instant à une dizaine parce qu’on n’a pas la possibilité de travailler correctement avec une vingtaine d’artistes. On verra à l’avenir si on peut travailler avec plus d’artistes. On a choisi la jeune génération, mais bien sûr, il y a beaucoup d’autres artistes plus âgés avec lesquels on aimerait travailler ou qu’on admire. Mais on ne peut pas tout faire. Ce sont des critères arbitraires, mais c’est ce qu’il faut faire sinon on ne s’y retrouve plus. »

Dans l’esprit des étrangers, Prague est associée à l’art, mais à l’art plus ancien, baroque, gothique... C’est une ville de tradition. Mais elle est moins associée à l’art contemporain, puisqu’il y a Bâle, Berlin, Venise. Est-ce que ça change ? Est-ce que vous avez vu une évolution depuis le temps que vous travaillez dans ce milieu ?

Veronika Bromová,  Hathor's Handbag
« C’est vrai qu’on n’associe pas Prague à l’art contemporain malheureusement. Il y a beaucoup de bons artistes, mais il n’y a pas l’infrastructure derrière. Il y a certes beaucoup de galeries à Prague, mais ce sont des galeries touristiques. Mais il y a peu de galeries qui s’intéressent à ce qui sort des écoles. En ce qui concerne les institutions, comme les musées, les galeries de la ville de Prague, je dirais que ça pourrait aussi s’améliorer. L’infrastructure est pauvre. C’est pour cela que les artistes tchèques contemporains peinent à être connus dans le monde entier. Je dis toujours que les Polonais sont plus ‘nationalistes’ donc ils soutiennent leurs artistes. Mais évidemment, c’est dur de comparer la Pologne, qui est énorme par rapport à la République tchèque. Donc les artistes sont très bons, mais il faut plus de galeries professionnelles. En plus, en République tchèque, il y a beaucoup de galeries d’artistes, qui ont de petits espaces à eux. Il y a des choses intéressantes qui se passe, mais ça reste confiné au monde artistique. Le public ne sait pas où se trouvent ces petites galeries qui sont un peu cachées, parfois chez les gens. Nous on a beaucoup de chance, car on voit tout de suite la galerie depuis la rue. »

Il y a de grandes baies vitrées en plus...

« Oui, du coup, les gens du quartier nous connaissent, ils viennent parfois... Ca engage plus le public. »

Un centre comme le DOX qui a ouvert dans le quartier de Holešovice, qui est une plus grosse structure, n’est-ce pas une façon d’atteindre un public plus large ?

« Oui, on est très contentes que le DOX existe. On espère que le quartier de Prague VII devienne plus un quartier artistique. Il y a l’Académie des Beaux-Arts pas loin. Le DOX est un magnifique espace musée, galerie, centre d’art. »

Et puis il y a la Galerie nationale qui n’est pas très loin, où se trouvent aussi des œuvres contemporaines...

« C’est vrai. Je ne dirais pas que c’est un quartier de galeries parce qu’il n’y en a beaucoup, mais il y a en effet les Beaux-Arts, la Galerie nationale, le DOX maintenant. Ça nous encourage. Parfois on nous pose des questions sur la concurrence. Mais nous, on aimerait plus de galeries, plus de compétition, parce que ça ferait vivre la ville, il y aurait plus de commissaires, d’acheteurs qui viendraient. »

Petra Vargová,  Sound Flowers
C’est vrai que quand on va à Berlin voir des expositions d’art contemporain, on a l’impression que les gens y vont comme ils iraient au supermarché. Ça bouge, ça vit... Peut-être y a-t-il à Prague un problème de dissémination des petites galeries alors que dans d’autres villes, elles sont plus regroupées...

« C’est vrai, ici, elles ne s’organisent pas non plus pour avoir leur vernissage le même soir. Dans d’autres villes, les galeries sont dans le même quartier et elles organisent leur vernissage le même soir, ce qui fait que les gens peuvent passer d’une galerie à une autre. Mais ici, il n’y a pas assez de galeries dans un quartier. »

Vous voulez promouvoir les jeunes artistes tchèques à l’étranger. Vous vous rendez à des foires... Quels sont les profils des potentiels acheteurs ou collectionneurs ? Que recherchent-ils chez ces artistes tchèques ?

« Ils rechechent avant tout la qualité. Peu importe que l’artiste soit tchèque ou néerlandais. C’est vrai que quand ils nous voient, ils sont intéressés, parce qu’on est une galerie tchèque, mais nous ne sommes pas tchèques, Káča et moi, et on est souvent la seule galerie tchèque aux foires. On nous demande souvent s’il y a quelque chose de spécifique dans l’art tchèque. Je dirais que non. Mais de la même façon qu’il n’y a pas de spécificité dans l’art américain ou chinois. Il y a des petites choses mais la communauté est tellement connectée aujourd’hui que les artistes ont les mêmes influences. »

Parmi les artistes que vous représentez il y a donc cette jeune artiste Eva Koťátková que vous exposez ces temps-ci. Comment l’avez-vous découverte et pourquoi avez-vous choisi de l’exposer ?

Eva Koťátková,  Controlled Memory Loss
« Káča et moi, ça fait longtemps qu’on est à Prague et qu’on travaille dans le milieu artistique. On connaissait souvent déjà les artistes personnellement. Donc Eva, on savait ce qu’elle faisait à l’école, on a vu son développement. Son travail nous intéressait. Ce que j’aime beaucoup chez Eva, c’est cet aspect conceptuel, même si je n’aime pas trop ce mot. Le résultat de ces idées, ce sont ses réalisations : ses constructions, ses vidéos, ses photos. L’élément visuel y est très important, c’est une combinaison très forte du visuel et des idées. Elle explore les environnement connus de tous, comme la maison, la famille, l’école. Elle explore ces milieux communs qu’on ne questionne pas vraiment. Elle prend des moments ou des gestes très simples, comme s’asseoir, dîner avec quelqu’un et elle essaye de nous faire réfléchir à ce propos, aux structures qui nous entourent, aux bâtiments qui nous fixe à un endroit... L’exposition chez nous est une sorte de jeu... »

Un jeu de formes...

Eva Koťátková,  Controlled Memory Loss
« C’est un énorme jeu avec différentes étapes. Ce qu’on a devant nous, ce sont trois cadres, trois constructions en bois. Elle les a aussi réalisées en grandeur nature. Il y a une cage pour quelqu’un debout, assis et allongé. Partout il y a des petits papiers afin que les spectateurs suggèrent des idées. C’est très interactif. Je disais tout à l’heure qu’il n’y avait pas de spécificité à l’art tchèque, mais peut-être il y a quelque chose que l’on voit chez les artistes contemporains de manière générale, c’est un art qui touche à la psychologie et aux problèmes sociaux. »

Je vous rejoins là-dessus. L’art aujourd’hui, contrairement à l’art plus ancien, incite le spectateur à être actif, acteur de l’œuvre d’art et à ne plus être simplement spectateur...

« Exactement. »

Galerie Hunt-Kastner
Pour finir, un mot encore sur la galerie. La particularité, c’est que le nom de votre galerie est écrit en tout petit à l’entrée, et c’est le nom de l’artiste que vous exposez qui se retrouve sur l’enseigne de la galerie...

« Il y a le nom de l’artiste et sur une autre enseigne, il y a aussi le nom de l’exposition. Il faut chercher pour trouver le nom de la galerie ! »

L’exposition d’Eva Koťátková, Controlled Memory Loss, c’est jusqu’au 7 mars.

www.huntkastner.com