Cécile Wajsbrot : « J’ai un besoin de réconciliation en moi. »

Cécile Wajsbrot

Dans le cadre du Mois des lectures publiques organisé dans les villes de Brno et d’Ostrava en juillet dernier nous avons accueilli en République tchèque une trentaine d’écrivains français. Parmi eux il y avait aussi Cécile Wajsbrot, romancière qui partage sa vie entre Paris et Berlin. Dans un entretien accordé à cette occasion à Radio Prague Cécile Wajsbrot a parlé de son œuvre mais aussi de l’histoire de sa famille qui est une des sources d’inspiration de ses romans. Voici la seconde partie de cet entretien.

Cécile Wajsbrot
Vous venez de participer au Mois des lectures publiques dans les villes de Brno et d’Ostrava. Quelle a été votre impression ? Avez-vous noué un contact avec le public tchèque ?

« Avec le public tchèque? C’est beaucoup dire mais en tous cas j’ai été impressionnée d’abord par la qualité d’attention qu’il y avait, par le nombre de personnes qui venaient et l’intérêt des questions posées. J’ai été impressionnée aussi par l’organisation dans le sens où en même temps que la lecture il y avait un écran sur lequel la traduction tchèque figurait. J’ai trouvé vraiment extraordinaire cette idée de permettre aux gens d’entendre le son d’une autre langue mais de pouvoir comprendre en même temps ce qui se lit. Et c’est une performance aussi pour la personne qui déroulait le texte sur l’écran, d’arriver en écoutant simplement le texte, à s’y repérer, à savoir quel passage projeter. Voilà j’ai été donc impressionnée par cet intérêt pour la littérature, pour la France en l’occurrence. »

Pendant un temps vous avez présenté la littérature des pays de l’Est au Magazine littéraire. Qu’est-ce que cette littérature vous a donné ? Cela vous a-t-il permis aussi de connaître la littérature tchèque ?

« Oui, bien sûr, parmi les littératures dont j’ai pu rendre compte, il y a avait la littérature tchèque. J’ai écrit beaucoup d’articles par exemple sur les livres de Hrabal qui étaient traduits à l’époque, à la fin des années quatre-vingts et au début des années quatre-vingt-dix. Je me souviens également d’un roman d’Ivan Klíma que j’avais beaucoup aimé. J’ai lu aussi Vaculík et beaucoup d’autres. »

Vous écrivez souvent pour la radio et cet entretien d’ailleurs sera aussi diffusé à la radio. Qu’est ce que le travail pour la radio vous donne ? Et quelle est la différence entre le travail pour la radio et les textes destinés à la publication ?

« J’aime beaucoup écrire des textes pour la radio, des fictions et des textes dramatiques. Par exemple avant le roman qui s’appelle ‘Mémorial’, j’ai d’abord écrit un texte pour la radio qui était un peu dans l’idée de ce roman et en même temps n’avait aucun rapport. C’était un peu comme la matrice de ce roman. En fait, de façon générale, j’ai l’impression que souvent les textes pour la radio sont un peu comme un laboratoire pour les romans, et me servent à expérimenter des formes. Je reviens encore à ‘Mémorial’. J’ai utilisé dans un texte pour la radio qui s’appelait ‘Consolation’ un système avec des voix. C’était une femme enfermée dans une poste, qui attendait le matin pour être délivrée. Cela se passait dans une ville de Pologne qu’elle était allée voir et où sa famille avait vécue. Et dans cette poste il y avait les voix de ses ancêtres. Et ‘Mémorial’, c’est un roman qui raconte le voyage d’une narratrice en Pologne, dans la ville dont sa famille est originaire, et dans ce voyage elle est accompagnée aussi par les voix. C’est un système un peu différent mais ce système de voix est venu dans une écriture pour la radio parce que je pensais aux sons et donc aux voix de la radio.

Moi j’aime beaucoup la radio. J’écoute très souvent la radio. La nuit j’ai souvent du mal à dormir et j’écoute la radio. Même ici j’ai écouté la radio, même si je ne comprends pas. Bien sûr, je peux piquer quelques mots mais j’aime bien. »

Maintenant vous partagez votre existence entre Paris et Berlin. Pourquoi cet engouement pour Berlin ?

Berlin
« Berlin, c’est une ville où d’abord je ne pouvais pas aller. Dans les années 1980 et à la fin des années 1990 je suis allée dans beaucoup de pays européens, j’étais aussi en Allemagne. Mais je ne pouvais pas aller à Berlin. Pour moi c’était encore la capitale du Troisième Reich. Et ça a changé après la chute du Mur comme si l’histoire s’était remise en mouvement. J’ai toujours eu conscience, même avant la chute du Mur, du travail de mémoire qui a été fait et qui se fait toujours en Allemagne et quand j’y suis allée pour la première fois, c’était il y a quinze an maintenant, j’ai vraiment aimé cette ville parce qu’elle portait à la fois les marques du passé, mais d’un passé qui n’était pas refusé, qui était affronté, et une espérance pour l’avenir. J’étais marquée par cette présence simultanée des plaques qui rappellent les événements du passé et notamment tout ce qui s’est passé sous le nazisme et des chantiers et des grues qui construisent quelque chose qui donne une impression d’avenir. Paris est une ville figée malheureusement, on peut dire presque une ville musée. »

Est-ce que donc votre vie à Berlin peut-être considérée comme une espèce de réconciliation ?

Cécile Wajsbrot
« Oui, au départ sûrement. Maintenant c’est… enfin oui peut-être encore maintenant mais j’allais dire que c’est même plus, c’est au-delà de ça. Je ne pourrais vivre dans une autre ville en Allemagne, mais Berlin, c’est très particulier. Oui, c’est vrai. De toute façon j’ai un besoin de réconciliation en moi et c’est dans ce sens aussi que j’ai eu besoin d’aller en Pologne. »

Lors de vos lectures publiques en Moravie avez-vous eu l’occasion de parler aux éditeurs d’une éventuelle traduction de vos textes en tchèque ?

« Non, malheureusement pas. Je ne pense pas que les éditeurs tchèques étaient présents. S’ils l’étaient, ils ne se sont pas signalés. Cela me ferait très plaisir et ça m’importerait même beaucoup que certains livres puissent être traduits en tchèque d’autant qu’à travers cette expérience de lectures j’ai eu des réactions de certaines personnes qui m’ont montré que ça pouvait toucher des gens ici. »

Que proposeriez-vous, si on vous demandait quels livres devraient être traduits en tchèque ?

« Je penserai à ce roman dont j’ai parlé, ‘Mémorial’, et puis à celui dont j’ai lu des extraits et qui se passe à Paris et à Berlin et s’appelle ‘L’Ile aux musées’ ou un autre qui s’appelle ‘Conversation avec le maître’ qui parle de musique. Ce sont des romans très différents dans mais lesquels les problèmes de l’histoire, du travail sur le passé, des rapports entre l’art et l’histoire, entre la politique et l’art sont abordés. »