Trois voix d’écrivains de langue française
Le Jour de l’An est une occasion pour nous de jeter un regard en arrière et de vous rappeler quelques-unes des émissions littéraires les plus intéressantes de l’année 2010. Je vous propose donc des fragments de trois entretiens que j’ai réalisés avec trois personnalités importantes de la littérature de langue française : Jean-Marie Blas de Roblès, Cécile Wajsbrot et Koulsy Lamko, auteurs qui ont partagé avec Radio Prague leurs réflexions sur l’écriture et sur le métier d’écrivain.
Vous êtes né en Afrique, vous avez vécu dans plusieurs pays. Vous avez écrit un roman situé au Brésil et en Europe qui s’appelle « Là où les tigres sont chez eux ». Où êtes-vous chez vous ?
« Je suis chez moi en France. Je suis chez moi dans ma langue. C’est vrai je suis ce qu’on appelle ‘un pied noir’. Je suis né en Algérie française et j’ai été rapatrié en même temps que tous les Français d’Algérie dans les années 1960-61. C’est vrai aussi que du coup je suis quelqu’un de la Méditerranée, du pourtour de la Méditerranée, et je me sens latin. Et comme je le disais au départ, mon vrai pays c’est la langue et en particulier la langue française. »
Votre roman « Là où les tigres sont chez eux » marie plusieurs récits et plusieurs époques, il échappe a toute classification et il est très difficile de le résumer. Est-il vraiment « irrésumable » ?
« Je ne crois pas qu’il soit ‘irrésumable’. Si ça n’avait pas été clair dans mon esprit, je n’aurais même pas pu l’écrire. Non, je crois que c’est un roman qui implique plusieurs histoires selon un procédé traditionnel de la littérature comme les romans de Potocki ou quelque chose comme ça. Avec un procédé littéraire qui est très utilisé en littérature qui est celui d’un manuscrit retrouvé. Et ce qui fait la différence, c’est que le manuscrit qui est retrouvé dans mon roman, est censé d’être écrit au XVIIe siècle et raconte l’histoire d’un jésuite qui avait réellement existé. On va donc suivre en même temps la biographie de ce jésuite célèbre, Athanase Kirscher, et les vies de quatre voire cinq autres personnages dans le Brésil contemporain avec les destins qui s’entremêlent qui s’imbriquent mais qui finissent tous par converger quand même sur la figure de ce fameux jésuite. »
Parmi les écrivains français ayant participé au Mois des lectures publiques organisé en juillet dernier à Brno et à Ostrava figurait aussi Cécile Wajsbrot, romancière née en 1954 à Paris et qui partage aujourd’hui sa vie entre Paris et Berlin. Elle n’aime pas ce qu’elle appelle les « romans romanesques ». Voici ce qu’elle nous a dit à propos du genre de romans qu’elle écrit, de sa méthode littéraire et de son style :
« Pour moi un roman romanesque, ça veut dire un roman qui raconte simplement une histoire, et dans lequel l’action est le plus important. Ce que j’essaie de faire c’est de faire des romans, j’appellerais ça ‘romans littéraires’. C’est-à-dire où il y a à la fois un contenu et un travail sur la forme qui ne soit pas quelque chose d’expérimental, dans le sens où je ne cherche pas à écrire des choses où seule l’écriture compte, mais qui ne soient pas non plus comme les romans traditionnels ou académiques avec un déroulement simple. C’est un peu difficile à expliquer parce que c’est un peu difficile à faire aussi. A chaque fois que je commence un roman je me pose la question de la forme et à chaque fois j’essaie de trouver une forme qui corresponde au contenu. »
Dans vos livres vous parlez souvent de la solitude. La solitude est un des grands thèmes de vos romans. Comment la solitude se reflète-elle dans votre création ? Sommes-nous tous seuls, toujours seuls ? Qu’est-ce que la solitude nous donne et qu’est-ce qu’elle nous enlève ?
« Je crois aussi aux rencontres, aux rencontres entre les gens, aux liens qui peuvent se créer. Et en même temps, c’est paradoxal mais peut-être pas tant que cela, en même temps, je pense qu’on est seul au fond. D’abord la solitude est nécessaire, elle est nécessaire pour écrire, par exemple. On ne peut pas écrire en compagnie d’autres personnes, on a besoin d’être seul. Et même pour écouter de la musique, pour lire, pour toutes ces activités (je n’aime pas ce mot ‘activité ‘), pour tout ce qui est essentiel et profond, on le vit seul. Il y a quand même toujours une limite à la rencontre, à la communication, comme on dit, entre les êtres. Bien sûr, vous dîtes : qu’est-ce que ça nous enlève. On ne pourrait pas imaginer une vie totalement seule, on a besoin d’échanges, évidemment. On peut avoir cette illusion peut-être quand on est plus jeune, illusion d’une fusion totale qu’on recherche à travers un certain type de relations amoureuses, mais avec le temps on apprend que cette fusion n’existe pas. On est toujours en quête de quelque chose parce qu’on est forcément insatisfait de ce qui se passe. Et je pense aussi que cette quête est quelque chose de bien parce que ça nous permet d’avancer. On a un idéal. On sait qu’il est inaccessible mais, au moins, on a un but. »
L’écrivain Koulsy Lamko est venu présenter à l’Institut français de Prague sa pièce intitulée « Celle des îles » et le film « Abouna » dans lequel il joue. Koulsy Lamko est né en 1959 au Tchad mais, en 1983, il a été contraint de quitter son pays en proie à la guerre civile. Cet auteur de pièces de théâtre, poèmes, nouvelles, contes, scénarios mais aussi metteur en scène et comédien qui enseigne à l’Université d’Hidalgo au Mexique a également réalisé dans plusieurs pays toute une série de projets d’animation culturelle. Voici ce qu’il a répondu à la question de savoir pourquoi il écrit :
« C’est la question existentielle. Je vais reprendre tout simplement les mots d’Aimé Césaire qui dit : ‘Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, et ma voix la liberté de celle qui s’affaisse au cachot du désespoir.’ Par ailleurs il dit : ‘Et toi, mon cœur, et toi, mon âme, garde-toi de te tenir dans l’attitude d’un spectateur, car le monde n’est pas un proscenium. Un homme qui pleure n’est pas un ours qui danse.’ Je crois que tout cela résume mon engagement par l’écriture. Je suis venu pour avoir l’usage des mots, pour dire un certain nombre de douleurs, d’ostracismes que nous vivons, pour dénoncer pour dire l’égrillard aussi, et avant tout pour jouer avec les mots. Je suis un poète mais je refuse d’être un poète qui fait de l’art pour l’art. Je suis un poète engagé, il y a finalement tant de choses à dire sur notre monde qui va à vau-l’eau et dans lequel nous ne savons pas quel est le future que nous offrons à nos enfants. Comme dans le conte du Petit Poucet, mes livres sont de petits cailloux sur ce chemin de dire non, du dénoncement. »
Vous faîtes partie de la génération des écrivains qui en général ne vivent plus en Afrique et qu’on appelle « les oiseaux migrateurs ». Que pouvez-vous dire sur cette génération ?
« Il faut dire qu’en Afrique vivent aussi beaucoup de gens qui écrivent et dont l’oeuvre est bien connue dans leur pays ou dans les pays voisins. Nous, qui sommes de cette génération, nous avons près de cinquante ans. On est né autour des Indépendances. Les uns avant, les autres un peu après. Nous avons ressenti ce besoin de briser les carcans, les cadres normatifs qui nous ont été dressés, pour nous exprimer avec toute la liberté qu’il est important de s’arroger pour pouvoir dire ce que nous ressentons au plus profond de nous. On est parfois forcé à l’exil. Mais finalement l’exile peut nous aider à concrétiser cette belle parole qui dit que la Terre a déjà été conquise et il ne nous reste qu’à l’habiter. Voilà, nous essayons d’habiter la Terre puisqu’elle a déjà été conquise et les gens veulent aller sur Mars et sur la Lune et qu’elle n’appartient finalement à personne. »