Les antécédents familiaux de Cécile Wajsbrot
« J’ai eu le sentiment de vivre comme dans un double pays », dit Cécile Wajsbrot à propos de son enfance et de son adolescence. Le sort tragique de sa famille a été pour elle une des fortes impulsions pour la création littéraire, pour sa « nécessité d’écrire ». Grâce au Mois des lectures publiques organisé en juillet à Brno et à Ostrava avec une forte participation d’écrivains français, nous avons eu l’occasion d’accueillir chez nous cette romancière née en 1954 à Paris et qui partage aujourd’hui sa vie entre Paris et Berlin. Voici la première partie d’un entretien que Cécile Wajsbrot a accordé à Radio Prague :
« Pour moi un roman romanesque, ça veut dire un roman qui raconte simplement une histoire, et dans lequel l’action est le plus important. Ce que j’essaie de faire c’est de faire des romans, j’appellerais ça ‘romans littéraires’. C’est-à-dire où il y a à la fois un contenu et un travail sur la forme qui ne soit pas quelque chose d’expérimental, dans le sens où je ne cherche pas à écrire des choses où seule l’écriture compte, mais qui ne soient pas non plus comme les romans traditionnels ou académiques avec un déroulement simple. C’est un peu difficile à expliquer parce que c’est un peu difficile à faire aussi. A chaque fois que je commence un roman je me pose la question de la forme et à chaque fois j’essaie de trouver une forme qui corresponde au contenu. »
Pouvez-vous nous rappelez un peu l’histoire de votre famille ?
« Ma famille vient de Pologne - mon père, et, du côté maternel, mes grands-parents. Ils sont arrivés donc des deux côtés à Paris dans les années trente. Ils ont vécu la période de la guerre à Paris, en tout cas en France. Du côté de mon père, ils se sont réfugiés en Auvergne et ils ont été tranquilles jusqu’en 1942, quand on a aussi cherché à déporter les Juifs de ce qu’était la zone libre en France. La famille de mon père a été prévenue par un capitaine de gendarmerie qu’on allait les chercher le lendemain. Elle a donc pu se cacher et survivre. Et ce capitaine qui s’appelait Berger est devenu un ‘juste’, il faisait partie de la Résistance.
Du côté de ma mère, ils sont restés à Paris. Mon grand père a été convoqué le 14 mai 1941 comme tous les Juifs étrangers vivant à Paris et dans la banlieue. Ils ont reçu cette convocation pour vérification d’identité, et en fait, ceux qui y sont allés, ne sont jamais ressortis et ont été déportés dans le camp du Loiret à une centaine de kilomètres de Paris. Et de là, un an après, il a été déporté à Auschwitz et il y est mort. Ma grand-mère était donc restée à Paris avec ses deux enfants, ma mère et mon oncle.
Ma mère avait dix ans à l’époque de la rafle du Vel’d’Hiv à Paris où la police française est venue les chercher. Et ma grand-mère avait réussi à les faire partir en criant et en faisant semblant d’être très malade. Ils ont voulu prendre les enfants seulement. Elle leur a dit :’Vous avez déjà pris mon mari. Si vous voulez nous tuer, tuez-nous tout de suite.’ Je ne sais pas si c’est ça ou si c’est autre chose, en tout cas ils sont repartis en disant qu’ils allaient revenir. C’était dans la nuit et ils allaient revenir le matin. Et évidemment ma grand-mère est partie avec ses deux enfants au petit matin. Elle s’est réfugiée d’abord dans la banlieue de Paris et ensuite… Enfin c’est une histoire qui serait longue à raconter en détail. Mais c’était tout un périple pour arriver avec un passeur en zone libre. Ma mère a vécu deux ans, avec de faux papiers bien sûr, dans un pensionnat de religieuses catholiques et voilà, ils ont réussi à survivre et à rentrer à Paris après la fin de la guerre. »
Dans quelle mesure le choix des thèmes de vos romans a été influencé par l’histoire de votre famille, par vos antécédents familiaux ?
« Evidemment, moi, j’ai connu cette histoire très tôt. Cette version de l’histoire que chaque fois c’était la police française qui avait participé à ces opérations, n’était pas du tout la version officielle. Et j’ai donc eu le sentiment de vivre mon enfance et mon adolescence comme dans un double pays – un pays à l’intérieur, dans ma famille, et puis un pays au-dehors et sans aucun rapport, aucun lien entre les deux. Et donc je pense que ça m’a beaucoup marqué et que c’est sans doute une des choses qui est à l’origine de ma nécessité d’écrire même si dans ce que j’écris, je ne parle pas seulement de ces questions. »Dans vos livres vous parlez souvent de la solitude. La solitude est un des grands thèmes de vos romans. Comment la solitude se reflète-elle dans votre création ? Sommes-nous tous seuls, toujours seuls ? Qu’est-ce que la solitude nous donne et qu’est-ce qu’elle nous enlève ?
« Je crois aussi aux rencontres, aux rencontres entre les gens, aux liens qui peuvent se créer. Et en même temps, c’est paradoxal mais peut-être pas tant que cela, en même temps, je pense qu’on est seul au fond. D’abord la solitude est nécessaire, elle est nécessaire pour écrire, par exemple. On ne peut pas écrire en compagnie d’autres personnes, on a besoin d’être seul. Et même pour écouter de la musique, pour lire, pour toutes ces activités (je n’aime pas ce mot ‘activité ‘), pour tout ce qui est essentiel et profond, on le vit seul. Il y a quand même toujours une limite à la rencontre, à la communication, comme on dit, entre les êtres. Bien sûr, vous dîtes : qu’est-ce que ça nous enlève. On ne pourrait pas imaginer une vie totalement seule, on a besoin d’échanges, évidemment. On peut avoir cette illusion peut-être quand on est plus jeune, illusion d’une fusion totale qu’on recherche à travers un certain type de relations amoureuses, mais avec le temps on apprend que cette fusion n’existe pas. On est toujours en quête de quelque chose parce qu’on est forcément insatisfait de ce qui se passe. Et je pense aussi que cette quête est quelque chose de bien parce que ça nous permet d’avancer. On a un idéal. On sait qu’il est inaccessible mais, au moins, on a un but. »