Cette année encore, le festival Théâtre des régions d'Europe a fait le plein...
Dominique Houdart : "...Ce n'est pas le Festival d'Avignon, mais je le trouve beaucoup plus humain. A force de revenir, on reconnaît des gens... Il y a une dame qui vient de passer à vélo, tout à l'heure, près du chapiteau, elle a dit : 'J'ai vu Zazie dans le métro l'année dernière. A quelle heure vous jouez ce soir ?' Ici, on a le vrai contact, alors qu'Avignon, c'est la fournaise et le grand tourbillon. J'aime ce festival à dimension humaine et à dimension d'une ville superbe." Cette ville superbe, dont parle Dominique Houdart, chef d'une compagnie de théâtre parisienne, c'est Hradec Kralove. Située en Bohême de l'Est, au confluent de l'Elbe et de l'Orlice, cette charmante ville historique et universitaire a accueilli du 21 au 30 juin la XIème édition du festival Théâtre des régions d'Europe. Quelque 50 compagnies tchèques, ainsi que des troupes de huit pays européens y ont présenté plus de 200 spectacles.
Le festival mise sur la convivialité et la diversité : théâtre, marionnette, théâtre gestuel, danse et spectacles de rue s'y côtoient, sans oublier des concerts à la belle étoile... Et si le titre de la manifestation flirte avec l'Europe, il y a bien une raison à cela. Ecoutez Ladislav Zeman, directeur du Théâtre Klicpera de Hradec Kralove, dont la troupe permanente est, par ailleurs, très réputée au niveau national :
"L'idée de mettre sur pied ce festival m'est venue lors d'un stage à Bruxelles, en 1993. A l'époque, après la chute du communisme, les Etats européens apprenaient juste à communiquer entre eux et la coopération entre les régions européennes a été très dynamique et d'actualité. Je me suis donc inspiré des festivals bouillonnants à l'Ouest et j'ai créé ce festival, qui a été tout de suite soutenu par Vaclav Havel. Il est même l'auteur d'un moto du festival, d'une sorte de manifeste qui est toujours valable, pour nous. Nous avons voulu que ce soit une joyeuse rencontre des hommes et femmes de théâtre et du public, organisée en fin de saison théâtrale, où on peut enfin souffler, où il n'y a plus de répétitions ni de premières. Les troupes présentent leurs meilleurs spectacles de l'année passée et on en discute, si on en a envie... on passe surtout des moments agréables entre amis..."
"La Chèvre ou Qui est Sylvia ?", comédie du dramaturge américain Edward Albee, sacrée meilleure pièce aux Tony Adwards en 2002 a inauguré le festival de Hradec Kralove. Avec un humour acerbe qui est le sien, Albee nous raconte une histoire de couple, pour le moins peu banale : il met en scène un célèbre architecte américain, amoureux d'une chèvre, son épouse, son fils et le meilleur ami de la famille. Briser les tabous et faire interroger les spectateurs sur leur vie, vie de couple et vie tout court... voilà son objectif. Si La Chèvre remporte, depuis un an, un succès fracassant au théâtre pragois Cinoherni klub, s'est aussi grâce à deux pointures du théâtre et du cinéma slovaques, choyées par le public tchèque et reconnues bien au-delà des frontières de leur pays, Emilia Vasaryova et Juraj Kukura. Emila Vasaryova m'a confié que le rôle de Stevie dans La Chèvre a été un défi qu'elle n'a pas hésité à relever...
Emilia Vasaryova :
"Edward Albee est un auteur remarquable. Les personnages féminins de toutes ses pièces sont brillamment écrits. Dans cette pièce-là, j'ai apprécié d'une part les dialogues intelligents et d'autre part le fait qu'à un moment donné, l'histoire tourne presque en tragédie, ou disons en tragi-comédie. Et ça se joue très bien, car la vie même est tragi-comique. Si l'auteur le saisit bien, le spectateur le comprendra aussi."
Personnages presque emblématiques du festival Théâtre des région d'Europe, les Padoxs, ont été créés par Dominique Houdart, chef de la compagnie parisienne qui porte son nom et celui de Jeanne Heuclin et qui est spécialisée dans le théâtre de figure. Les Padox, créatures en latex dans lesquels glissent les comédiens ressemblent à des extra-terrestres. Les festivaliers se sont habitués à les voir déambuler dans les rues... mais pour cette année, Dominique Houdart et Jeanne Heuclin ont monté, sous un chapiteau, avec des étudiants et des enfants de Hradec, un véritable spectacle "padoxien", dans l'ambiance des Quatre Saisons de l'année de Vivaldi. Dominique Houdart :
"Les Padox, c'est une envie que j'ai eu à un moment de notre existence de créer un personnage de théâtre pour notre époque. Personnage, ce n'est pas un rôle. C'est Arlequin, Guignol, Sganarelle etc. Il y a assez peu de grands personnages de théâtre que les gens peuvent reconnaître facilement. C'est un peu ambitieux de ma part, mais je me suis dit qu'au XXe siècle, depuis Ubu, il n'y avait rien eu. Alors pour les XXe et XXIe siècles, je propose, doucement, Padox. Il fallait que ce soit un personnage un peu international, donc il ne parle pas français, il est muet, il s'exprime par les gestes et par la gentillesse. C'est à la fois un bébé et un vieillard, il ne sait rien, parce qu'il vient d'ailleurs. Padox ne s'impose pas, il essaye de s'assimiler à la population, donc il agit par mimétisme. Au début, il y avait trois Padox, qui jouaient ensemble dans la rue, trois professionnels. Avec eux, on est venus à Hradec, il y a cinq ans. L'année suivante, on a fabriqué quarante costumes de Padox et on est revenu, parce que cette multiplication permettait, et c'était notre objectif, de faire jouer non pas des professionnels, mais des gens de la ville que nous visitions. Donc il y a eu une bonne trentaine d'habitants de Hradec Kralove, des étudiants pour la plupart, qui ont travaillé avec nous. Cela été un très beau moment, très fort. La population ici a magnifiquement bien réagi, avec l'humour qu'on connaît aux Tchèques..."
Vous avez travaillé uniquement avec des francophones ?
"Il y avait quelque francophones, mais la plupart ne parlaient pas français. Les Padox s'expriment par les gestes et entre nous et eux, il y avait une traductrice. Vous savez, ils ont tous une petite oreillette et moi, j'ai un micro. Le micro, c'est la traductrice, je lui dis ce qu'ils doivent faire et elle leur transmet. Voilà comment ça fonctionne."
Avez-vous monté le spectacle dans d'autres pays encore ?
"Oui, d'abord en France, bien sûr. Mais on l'a fait au Canada, en Norvège, en Autriche... Là, juste après, nous partons au Brésil et nous ferrons les Padox avec des prisonniers, à côté de Sao Paolo. Donc vous voyez, nous avons des expériences humaines extraordinaires avec les Padox..."
"Ce festival m'a permis de découvrir le théâtre tchèque que je connaissais déjà pas mal : je suis venu en 1968, pendant le Printemps de Prague et j'ai découvert deux grands auteurs, Havel et Topol. Au retour, j'ai même monté une pièce de Topol. Donc vous voyez, je suis assez proche de la culture tchèque. Connaître ce festival, ça été une très belle opportunité pour nous, car revenant tous les ans, cela nous permet de voir évoluer les grands metteurs en scène, comme Vladimir Moravek, de voir les marionnettes tchèques, comment elles sont proches encore de la tradition, mais avec des recherches quelque fois très étonnantes. Cela m'a aussi permis de militer pour le théâtre tchèque en France, au point que j'ai fait venir ici, avec l'aide du ministère des Affaires étrangères, deux directeurs de scènes nationales françaises, dont un, celui de Cergy-Pontoise, qui a invité à deux reprises les spectacles de Moravek en France. C'est donc plus qu'important pour moi de venir ici, pour l'échange, pour la compréhension et... pour construire l'Europe !"
La Compagnie José Manuel Cano Lopez de Tours-La-Riche a présenté à Hradec Kralove deux spectacles, dont un qui a associé deux auteurs et deux textes qui semblent au premier abord très différents l'un de l'autre : L'Affaire de la rue de Lourcine d'Eugène Labiche et La Métamorphose de Franz Kafka. Il a été mis en scène par le chef de la compagnie, José Manuel Cano Lopez. On l'écoute :
"La Métamorphose est un texte qui m'a accompagné depuis la fin de mon adolescence. Je me suis toujours dit qu'un jour ou l'autre, sur un plateau de théâtre, j'essayerai de le mettre en jeu et de retrouver ce qui m'a toujours bouleversé dans ce texte. Parallèlement à ça, j'avais aussi un texte qui me trottait dans la tête, qui est L'Affaire de la rue de Lourcine que j'avais déjà essayé de mettre en scène et j'avais arrêté. C'est la seule fois où j'ai arrêté un spectacle encore en répétition, parce que le texte résistait à ce que j'avais envie de faire. Mais il y a quelque temps, en relisant les deux textes, je me suis dit qu'il y avait des passerelles de manière très surprenante ! Oscar Lenglumé et Gregor Samsa se réveillent un matin avec quelque chose qui leur a échappé dans leur nuit. Pour Lenglumé, il ne sait pas ce qu'il a fait et il s'aperçoit qu'il a assassiné une charbonnière et que toute sa vie est métamorphosée. Pour Gregor, tout le monde le sait, il se retrouve dans son lit transformé en insecte. J'ai voulu mettre en relief ce qui pour moi est l'endroit de vie le plus fascinant, et c'est la nuit. J'ai voulu parler de ce qui se passe dans la tête d'un individu quand il s'endort, où toutes les barrières, toutes les défenses sociales n'ont plus cours. En plus, ces deux textes parler d'une manière totalement singulière et à l'opposé de l'humanité. Quand un événement bascule la vie de quelqu'un, comment réagissent les autres ? Lenglumé se transforme en véritable salaud meurtrier et de l'autre côté, dans le cas de Gregor Samsa, c'est son entourage qui se transforme en salaud meurtrier..."