Champagnes et vins français à Prague : « au-delà de 200 couronnes, on a du mal à vendre, il faut arriver à des tarifs raisonnables »
Dans le quartier de Žižkov, un jeune Français a ouvert il y a un peu plus d’un an un magasin, Antoine Philippe, qui propose vins et champagnes français. Il s’appelle Antoine Verhaeghe et il importe donc ces produits français en République tchèque.
A la base, j’ai commencé avec le champagne et on travaillait avec neuf producteurs, qui viennent tous de la montagne de Reims. J’ai une gamme assez complète, puisqu’on a à peu près 90 champagnes différents, et on a également des vins différents : les vins de Bourgogne, des Chateauneuf-du-Pape et Côtes du Rhône, tous les vins d’Alsace et une gamme importante de vingt-quatre Bordeaux, qu’il s’agisse de Mœlleux, de Grands vins de Bordeaux ou des petits vins. On a agrémenté tout cela de vente de spécialités – saucissons, terrines, biscuits de Reims – et je ramène aussi un peu d’Armagnac et de Cognac pour les spécialistes. »
Et les Tchèques aiment bien les liqueurs françaises de ce type…
« Oui, ils aiment bien ce qui est très fort. »
Vous avez ouvert le magasin il y a un an et demi environ. Exercez-vous cette activité commerciale depuis plus longtemps ? Et pourquoi avoir choisi la République tchèque pour monter cette affaire ?
« J’ai fait un Master gestion et logistique à Lilles. J’ai ensuite travaillé un an chez Auchan, au service transport et logistique. Je suis arrivé ici directement après. La raison est que je suis venu ici en vacances avec des amis. C’était pour mon anniversaire et je voulais m’acheter une bouteille de champagne. En regardant les prix, je me suis dit qu’on était à peine à 800 km de Reims mais que c’était cher. L’idée m’est venue de voir un peu comment était le marché à Prague, de faire une étude de marché… Mon créneau, c’est vraiment les petits vignerons, les petites productions. On fait sur le champagne des vignerons qui ont entre quatre milles et cinquante milles bouteilles, sachant que la plupart font quatre milles bouteilles et un seul atteint les cinquante milles. Pour le vin c’est la même chose, ce sont des petits vignerons. Je n’ai pas de grande maison. Je travaille avec un négociant et le reste, ce sont des petites maisons. Et c’est peut-être ce qui n’existe pas forcément encore à Prague. L’objectif était vraiment de ramener des choses un peu locales de France à des tarifs plus abordables, puisqu’on a vu que si on dépasse le créneau de vente, pour une bouteille de Bordeaux, des 200 couronnes, on a du mal à la vendre – ce qui est la même chose en France, au-delà de huit euros. Je pense qu’il faut arriver à des tarifs raisonnables. »Comment avez-vous monté cette société ? Est-elle basée en France, en République tchèque ? Ce n’est probablement pas facile de faire des études de marché et de plaquer son emploi pour se lancer dans une activité à Prague…
« J’ai d’abord fait un tour de la République tchèque pendant un mois environ. J’ai fait toutes les villes, où j’ai cherché tous les cavistes. J’ai noté ce qu’ils avaient, à quels tarifs. Ensuite, ne parlant pas tchèque au départ, j’ai cherché quelqu’un qui pouvait m’aider dans cette démarche. J’ai cherché des spécialistes de création d’entreprise, des avocats et même des connaissances mais la meilleure solution a été de passer par un avocat, qui a mit en place toute la société. Ça a été très bien fait. Ça a pris environ un mois et demi. C’est une s.r.o, qui est l’équivalent d’une SARL française. Ça a permit de pouvoir travailler très rapidement. Il y a ensuite des démarches de douanes qui sont un peu plus complexes si on ne parle pas tchèque. Il faut d’ailleurs une personne qui parle tchèque dans l’entreprise. Il y a aussi des démarches un peu compliquées à la poste par exemple. »A la poste ? C’est-à-dire la logistique pour faire venir vos produits ?
« Pour la douane par exemple, j’ai besoin d’un certificat pour faire fonctionner tout ceci sur mon ordinateur. Et ce certificat, il faut aller à la poste et expliquer à la postière qu’il me faut ce certificat pour travailler. Ce sont quelques barrières, mais qui ne sont pas très nombreuses. »
Vous vous fournissez essentiellement auprès de petits récoltants. Comment les choisissez-vous ?
« Je choisis après dégustation. Tous les vins que je vends, je les ai goûtés avant. Ensuite, j’essaie de trouver le vin qui s’adapte vraiment au palais des Tchèques. Sur le champagne, je sais que le palais est assez sucré, puisqu’ils aiment bien le demi-sec et Bohemian sekt, et tout cela est assez sucré. Tout en restant dans du brut, on essaie de trouver des champagnes qui correspondent plus au palais tchèque. De même pour les vins. On a un vin de Loire, gamay 100%, qui est très proche du Beaujolais. Les Tchèques adorent le Beaujolais nouveau. On a également tout ce qui est Côtes du Rhône, Châteauneuf-du-Pape, connu aussi grâce à la chanson tchèque populaire sur ce vin. Le but est de viser ce qui est connu, comme le Châteauneuf-du-Pape et le Chablis, qui sont appréciés par les Tchèques, de Prague en tout cas. On n’est pas encore présent dans tout le pays mais c’est notre objectif. »Vous dites que votre créneau, au départ, c’est le champagne. Vous dites aussi qu’une bouteille de vin, au-delà de 200 couronnes ou huit euros, est difficilement abordable pour le consommateur, en France comme en République tchèque. Mais le champagne est lui-même un produit cher, un produit de luxe. Il y a vraiment une grosse différence de prix avec le Bohemian sekt, qui est beaucoup consommé ici…
« Pour le champagne, à titre d’illustration, sont consommées en France 180 000 millions de bouteilles. Ici, c’est 200 000. La différence se fait déjà sur les tarifs. En France, les prix sont entre dix et vingt euros sur du champagne basique, ici on est entre trente et quarante euros minimum. Donc on vend moins parce que les prix sont plus élevés, et je pense que plus on en vendra, plus les prix se tasseront. Dans le magasin, je me suis aperçu que je vendais pas mal de champagne, parce qu’on est spécialisé dans ce domaine, et les gens voient bien que c’est un produit spécial, qui a une histoire, puisqu’on montre bien comment ça se passe au moment de la production. Notre but est aussi de travailler avec les producteurs pour les faire venir ici, pour qu’ils expliquent que c’est un produit qui est long à produire – le champagne, ça met au moins dix-huit mois, voire trois ans – et que ce n’est pas un produit qui est fait en masse. »Votre site internet est exclusivement en tchèque. Vous visez délibérément les consommateurs tchèques, mais auprès de qui démarchez-vous ? S’agit-il des restaurants, des particuliers ? Comment vous faites-vous connaître ?
« Quand je suis arrivé, je voulais démarcher les restaurants et les hôtels. Je me suis vite rendu compte que c’était compliqué parce qu’il fallait leur livrer un carton de temps en temps. Pour le paiement, c’était aussi difficile, quand on démarre. J’ai un peu changé de stratégie parce que c’était plutôt un système de réseau. Mon objectif est de passer sur du particulier. On a un contact assez sympathique avec la personne qui va boire le vin. On a une histoire à expliquer et je pense que le contact passe bien quand on est étranger – on est français, et quand on vend un produit français, c’est très sympa. Je suis donc plutôt dans cette optique actuellement, c’est-à-dire sur un contact direct avec la clientèle. Je pense que l’on peut développer ça ici à Prague. Je ne néglige pas pour autant le grossiste que je suis puisque j’importe. Il faut faire tout ce qui est possible. »On voit, au moins à Prague, se multiplier les magasins ou petites boutiques de vins, de fromages, de délicatesses gastronomiques. Est-ce une concurrence malvenue pour vous ou pensez-vous que cela peut être un mieux que ce type de produits se démocratise ? Est-ce un point positif ou un point négatif pour votre activité ?
« Je pense que de manière générale, c’est positif. Cela veut dire que les Tchèques sont intéressés par ce qui est bon. Moi, je suis quand même spécialisé sur les produits français. Ici, c’est 100% français. C’est vraiment l’image que je souhaite donner, pour que l’on sache qu’Antoine Philippe, c’est seulement français et c’est un produit assez spécial. »Photos : Anne-Claire Veluire