Vins naturels : la Tchéquie toujours en quête d’identité viticole
Bien qu’il peine parfois à trouver une place au pays des buveurs de bière, le marché viticole tchèque devient avec le temps un gage de qualité. Depuis quelques années, il se tourne vers une production naturelle.
Quelque 17 600 hectares de vignes recouvrent les sols de la Tchéquie. Chaque année, environ 550 000 hectolitres de vin sont produits soit 73 millions de bouteilles. Le marché du vin tchèque est constitué d’à peu près deux tiers de vin blanc qui offre une combinaison intéressante d’arômes et de goûts épicés spécifiques au sol de Moravie. Lentement mais sûrement, la culture du vin se développe sur les tables tchèques, tout comme la superficie des zones cultivées qui s’accroît elle aussi. Klara Kollárová, sommelière tchèque renommée, qui a remporté le titre de « Sommelière de l’année » en 2019, constate également la croissance de cette culture en voie de renaissance, pourtant très ancienne en Tchéquie :
« La consommation de vin augmente tous les ans en République tchèque. On compte une consommation de 21 litres de vin par habitant ce qui est mieux que par le passé. La production viticole tchèque, particulièrement en Moravie, remonte au IXe siècle, et était surtout liée à l’Eglise. Pendant des siècles, le vin avait sa place dans la société et de nombreux vignerons cultivaient les terres. »
« La période communiste a détruit la production viticole en détruisant la relation entre l’homme et la terre. Tout ceci a dû être reconstruit après la révolution de Velours. Je pense qu’actuellement la deuxième génération de vignerons sait où elle veut aller avec ses vins et la qualité qu’elle veut leur donner. D’un côté, les producteurs viticoles font de très bons vins. D’un autre côté, les gens voyagent et découvrent cette culture de boire du vin. Ces tendances se croisent : la qualité du vin tchèque et une meilleure éducation au vin des consommateurs en République tchèque. »
Malgré tout, la production viticole tchèque est encore timide et récente. Elle est aussi et surtout destinée vers le marché intérieur car sa faible quantité ne lui permet pas d’être exportée vers les marchés étrangers. Mais la nouvelle génération de vignerons tchèques est en quête de plus de visibilité afin de se faire une place sur les tablés des marchés mondiaux. Ils veulent montrer que la République tchèque ne fait pas seulement de la bière.
En mars, la participation de vignerons aux compétitions internationales a porté ses fruits. Les papilles du jury du concours viticole Vinalies Internationales à Paris ont couronné les vignerons tchèques qui ont raflé pas moins de trente médailles. Les jeunes producteurs sont motivés par l’idée de produire un vin de qualité afin de briller davantage dans les compétitions viticoles mondiales. En quête de renommée et d’excellence, les producteurs se tournent davantage vers une fabrication naturelle. Une tendance à la hausse ces dernières années, notamment en raison de l’intérêt croissant des consommateurs pour des produits plus naturels et biologiques.
« Concevoir le vin comme un art »
Le secteur mondial du vin se veut de plus en plus soucieux de ce que les vignerons mettent en bouteilles. La République tchèque n’échappe pas à la règle puisque ces dernières années, la production de vins biologiques a augmenté. Selon Eurostat, 1 741 hectares de vignobles, soit 3,3 % de la surface totale de vignes, étaient certifiés biologiques en 2019, une augmentation de 32 % par rapport à l’année précédente. Au cœur de cette tendance, les vins naturels et biodynamiques se distinguent par une production avec le moins d’intervention humaine possible. Klara Kollárová revient sur cette distinction entre un vin naturel et un vin biologique.
« L’identité des vins biologiques est connectée à la façon même de faire le vin et elle définit la démarche dès la culture des grappes de raisins. Il y a une tendance vers une culture biologique qui relève d’une approche raisonnée et raisonnable envers les sols en adoptant une production responsable. L’approche biologique consiste véritablement à ramener la vie dans les sols avec l’objectif de cultiver les meilleures grappes de raisins possibles sans utiliser de produits chimiques. Il y a une règlementation claire de la viticulture de vins biologiques qui définit précisément ce que les viticulteurs peuvent utiliser à la fois dans les vignes et dans les caves. »
« Dans le secteur du vin naturel, au sens large, les viticulteurs privilégient une fermentation spontanée et non accompagnée, et la plupart du temps, ne filtrent pas le vin. Il n’y a pas d’intervention humaine ou d’ajout ce qui explique qu’on les surnomme ‘vin non manipulé’. Bien que la définition reste floue, un vin naturel est considéré comme tel quand il y a eu le moins d’intervention possible dans le procédé de fabrication. »
D’après Klara Kollárová, le cadre et les règles clarifient le champ de production des vins biologiques. Mais concernant les vins naturels, c’est davantage une tendance car il n’y a aucune définition claire et précise, tout comme il n’existe pas de législation définie pour réglementer leur production.
« Dans le secteur du vin naturel, la législation n’existe pas donc les producteurs ont un large champ des possibles. C’est un ‘mouvement’ de production qui s’est développé en France à partir des années 1970 avec des vignerons comme Nicolas Joly. Ce dernier concevait le vin comme un procédé artistique en opposition à une production industrielle du vin. Aujourd’hui, les vins naturels s’inscrivent dans une ‘nouvelle vague’ composée de nouveaux vins. C’est très difficile de donner une définition de ce qu’est ou de ce que peut être un vin naturel. C’est peut-être aussi pour cette raison qu’il n’y a pas de cadre clairement défini de la production. Une chose est sûre, les producteurs de vins naturels veulent protéger le nom et l’approche. Ils prônent une intervention minimale dans le procédé de fabrication, notamment dans la fermentation en acceptant de prendre des risques. »
« La nature, le sol, le terroir sont le plus important »
De nombreux viticulteurs tchèques ont adopté des pratiques de viticulture biologique ou naturelle pour produire des raisins de qualité supérieure sans l’utilisation de produits chimiques nocifs, mais sans pour autant revendiquer être des producteurs de vins naturels. Le but de la production de vins naturels est de laisser s’exprimer le terroir et la personnalité du vignoble, ainsi que de produire un vin pur, authentique, et sans artifice. Ainsi, les viticulteurs sont de plus en plus nombreux à se tourner vers des techniques de vinification naturelles afin de produire des vins qui reflètent davantage le terroir et l’authenticité du vignoble. Isabelle de Plessix, co-fondatrice de l’Agence Wine Travel in Czech, qui organise des circuits touristiques dans les vignobles tchèques, revient sur l’importance de cette authenticité présente au cœur de toute viticulture :
« Le vigneron dira lui-même, que la nature, le sol, le terroir sont le plus important. Les producteurs sont sensibles à ces enjeux : éviter les pesticides fait partie de leur métier. Obtenir un label n’est pas toujours une priorité. Mais ils sont toujours sensibles à ces questions d’autant plus qu’elles sont posées par le client. Tous veulent s’abstenir le plus possible d’utiliser des intrants ».
Isabelle de Plessix souligne le fait que la production de vins naturels est marginale car elle peut représenter à la fois un risque de rendement en perdant la récolte contrairement à la production de vins conventionnels où le viticulteur peut intervenir. La viticulture naturelle implique une plus grande dépendance des conditions naturelles. Pour Klara Kollárová, le secteur du vin naturel est surtout porté par les jeunes producteurs :
« Il faut relativiser la part minoritaire de producteurs qui déclarent produire du vin naturel. Ce que l’on voit dans les vignobles tchèques, est que même sans cadre législatif, de plus en plus de jeunes producteurs acceptent d’intervenir le moins possible dans le procédé de fabrication du vin. Et c’est finalement l’aspect majeur du vin naturel. Ce n’est pas nécessairement de ne rien faire, mais c’est surtout ne plus agir par prévention pour anticiper telle ou telle réaction : laisser le vin se faire. Les vins conventionnels s’inscrivent dans cette dimension de sécurité. Nous allons mettre tel produit pour que le vin fermente de telle manière. Face aux possibles risques que présentent la fabrication de vins naturels, il est important d’être préparé à agir rapidement si besoin, mais plus d’agir en amont. Finalement, la plupart des producteurs tchèques sont soucieux d’avoir la production la plus saine possible pour produire le vin le plus qualitatif. »
Une tendance encore marginale et chère à mettre en œuvre
Cette tendance au vin naturel, bien qu’encore marginale, fait déjà partie du paysage viticole tchèque. Même s’il n’y a pas de demande spécifique pour le vin naturel, les consommateurs sont intéressés par ces procédés de fabrication. Isabelle de Plessix explique que les vignerons producteurs de vins naturels s’intègrent à la carte des circuits que son agence propose :
« Il y a très peu de vins naturels en République tchèque. Il n’est pas simple de pouvoir lier, sélectionner et organiser les circuits touristiques autour de ces vignerons. Mais nous intégrons ces démarches de vins naturels et biodynamiques pour élargir notre sélection de vignobles. Par exemple, un de nos circuits à Kutná Hora passe par le seul vignoble détenteur du label Demeter. Ce label européen, certifié en biodynamie est très exigeant. Lors de ces visites, les vignerons peuvent expliquer leur système de vinification et leurs règles. Le producteur explique pourquoi son vin n’est pas filtré et pourquoi sa robe est floue. Un autre vignoble, en Moravie, Stávek, est également un vigneron sensible à la vinification naturelle. Notre agence fait en sorte d’intégrer dans les circuits des vignobles qui s’inscrivent dans ce procédé de vins naturels en République tchèque ».
Les producteurs de vins naturels sont contraints de se distinguer du fait de l’absence de label ou de règles à proprement parler. Cela constitue à la fois une contrainte, tout comme une liberté. Bien que le prix à la bouteille reste élevé, le marketing déployé autour des étiquettes fantaisies par les producteurs leur permet de se démarquer.
« Je pense qu’ils doivent se distinguer car même les labels existants ne sont pas toujours officiellement reconnus. Ils doivent se démarquer pour justifier des prix plus élevés. Les étiquettes fonctionnent car le client est sensible au marketing de la bouteille. Encore une fois, l’absence de label, permet aux producteurs d’aller plus loin en termes de marketing que les vins conventionnels. Concernant les prix, les consommateurs comprennent le prix plus élevé car ils sont conscients des contraintes qui existent sur les viticulteurs. La raison principale étant qu’ils peuvent tout simplement perdre une récolte. Ils doivent pouvoir rebondir à l’aide de la trésorerie des récoltes précédentes pour continuer leur activité. »
« Les viticulteurs de vins naturels sont peu nombreux et vendent leurs produits à un prix assez élevé mais une minorité parvient à les exporter à l’étranger, notamment sur les marchés français, allemands ou scandinaves. Je pense qu’il y a une tendance croissante mais lente. En France, le vin naturel renaît mais en République tchèque, cela prend plus de temps car l’impulsion repose sur une faible minorité. »
Le secteur du vin naturel fait encore face à des critères encore trop contraignants pour les vignerons tchèques : travailler une terre abîmée par le passé, s’adapter au marché local et laisser les consommateurs découvrir le vin.