Chantal Poullain : d’un vaudeville à la « Vie sur la corde »
Même après de longues années en République tchèque, la comédienne française Chantal Poullain conserve un accent authentique lorsqu’elle parle tchèque, un accent qu’on la soupçonne quelque peu d’entretenir et qui, quoi qu’il en soit, est devenu sa marque distinctive. Quand Radio Prague l’a rencontrée à la fin de l’été, Chantal Poullain amusait encore les spectateurs avec un vaudeville d’Eugène Scribe, mais se préparait déjà pour une nouvelle saison cet automne au Théâtre Ungelt, où elle joue dans trois pièces différentes.
« J’ai une admiration pour les spectateurs. Ils sont quand même venus, malgré l’orage épouvantable. Quand on a commencé à jouer, il pleuvait. J’ai pensé que personne n’allait venir, mais ils sont tous venus et ils sont restés tout le spectacle. C’est fascinant, j’ai beaucoup de respect pour eux. A cause de la pluie, on a décidé de jouer aujourd’hui sans entracte, donc le spectacle n’a pas été trop long et nous les acteurs avons accéléré, pour ne pas que le public souffre trop. »
En 2013, la pièce était présentée en plein air pour la deuxième année consécutive. Il s’agit d’un spectacle écrit par le dramaturge français Eugène Scribe en 1842 qui s’appelle « Le Verre d’eau ». Chantal Poullain le caractérise ainsi :« C’est un spectacle d’été, assez léger, c’est un vaudeville. Pour moi, c’est vraiment un spectacle d’été typique, ce n’est pas une pièce qu’on joue en salle au théâtre Ungelt, c’est un spectacle qu’on joue uniquement ici, dehors. »
Vaudeville est une pièce sans prétentions morales ni psychologiques. C’est une « comédie comique », dont l’intrigue, transparente, se base sur l’humeur obligée des situations caricaturales. Contrairement à la version originale, la version présentée à Prague se situe dans une station thermale en Autriche. Les rôles principaux sont interprétés par Zlata Adamovská, Petr Štěpánek et Chantal Poullain. La comédienne française fait revivre le personnage de la reine, une femme qu’elle juge assez faible de caractère :
« Elle souffre de toute l’hypocrisie autour d’elle. Elle représente une manifestation du pouvoir un peu léger, mais qui est manipulée et se laisse manipuler. C’est un personnage qui m’amuse, mais sans plus. Elle est juste sympathique. C’est vraiment le style de Scribe, avec toute sa légèreté et son humeur. »Eugène Scribe reste confié à la scène d’été en plein air, « Le Verre d’eau », qui est la seule de ses 400 pièces encore jouée, devra attendre 2014 pour de nouveau divertir les spectateurs. Et pour Chantal Poullain, l’automne s’annonce comme d’habitude dense :
« J’ai trois spectacles, dont un que je vais jouer ici en une performance pour une entreprise qu’on fait traditionnellement ici à Nový Svět. Je vais jouer ‘Six heures de danse en six semaines’. Mon personnage s’appelle Lilly, c’est un personnage que j’adore, qui est beaucoup plus âgé que moi. C’est la rencontre entre deux personnes qui n’auraient jamais dû se rencontrer, mais comme elle est une solitaire, elle a pris un cours de danse et elle rencontre ce professeur de danse qui rentre dans son monde et elle rentre un peu dans le sien. Au départ, c’est à la limite de l’impossible, ils ne peuvent pas se comprendre, et puis les choses se développent. Ils ont tous les deux un très lourd sac à dos sur les épaules, espèce de poids très lourd de leur vie, il y a un grand partage et à la fin c’est… non, je ne vais pas tout dire. »
« Six heures de danse en six semaines » de Richard Alfieri est une pièce intime avec deux comédiens. Chantal Poullain est accompagnée par son collègue acteur, Pavel Kříž. Il n’est pas sans intérêt de noter que Pavel Kříž, dont le rôle est donc d’enseigner à danser, a remporté le concours télévisé de danse « StarDance » en 2010. Dans la pièce, il s’agit, comme Chantal Poullain le décrit elle-même, d’une rencontre impossible entre deux personnages issus de deux mondes différents. La pièce réussit à mettre en valeur la gradation de l’histoire. En revanche, le vécu des deux personnages semble trop chargé. Ils resteraient sans doute des caractères admirables et seraient plus réels si leur fardeau était un peu moins lourd. La première des « Six heures de danse en six semaines » remonte à 2011, mais Chantal joue également dans une autre pièce, et ce depuis 1999 :« Au théâtre Ungelt, je joue aussi ‘Le jeu du mariage’ d’Edward Albee. C’est une confrontation entre l’homme et la femme. Chez Albee, il y a ce don de connaître le caractère de la femme et de l’homme d’une façon étonnante. La pièce montre le combat de ces deux êtres qui se font du mal mais qui en même temps s’aiment profondément. C’est un spectacle qu’on joue depuis treize ans déjà. »Chantal évoque en dernier le spectacle le plus récent qu’elle joue à Ungelt, dont les personnages sont également très particuliers :
« J’ai encore un tout dernier spectacle, ‘Na vaše riziko’- ‘A vos risques et périls’. C’est un très beau texte et une très belle situation. Une chanteuse de rock revient dans la maison de son père qui est décédé. Elle y découvre la personne à qui son père a laissé la possibilité de vivre jusqu’à sa mort. Alors, elle a la maison avec l’ami de son père. C’est au départ une relation impossible et puis tout se transforme, et c’est aussi un très beau spectacle. »
Chantal Poullain a joué dans de nombreux films et autres pièces de théâtre en République tchèque et à l’étranger, mais son engagement au Théâtre Ungelt est très fidèle. Elle explique pourquoi :
« Le théâtre Ungelt, c’est un petit paradis pour moi, parce que c’est un théâtre qui est basé sur le jeu de l’acteur. Il est petit, les spectateurs sont très proches et c’est un vrai plaisir pour moi de jouer là-bas. J’ai joué aussi au Théâtre national et dans ces grands théâtres, mais je me suis vraiment trouvée au Théâtre Ungelt, où je travaille depuis treize ans. »Pour Chantal Poullain, qui joue tous ses rôles en tchèque, la question du multilinguisme se pose tout naturellement. Ses petites erreurs qui apparaissent lors des spectacles sont souvent surprenantes aussi pour ses collègues :
« Il y a certaines erreurs qui arrivent au moment même, mais pour la plupart, elles sont comptées, elles surviennent pendant les répétitions et le metteur en scène a décidé de les fixer. Pour moi, la langue tchèque restera très difficile, je ne suis pas du tout bilingue, donc j’apprends mes textes. Je le parle dans certaines situations, mais improviser un texte, c’est toujours assez comique, parce que je l’improvise avec mon tchèque. Mais tous mes personnages sont étrangers, et les gens me connaissent et s’ils viennent me voir, il y a toutes les chances qu’il y ait de petites choses sympathiques qui se passent à tous les coups. »
Chantal Poullain avoue qu’elle se construit un monde français autour d’elle en vivant en République tchèque :
« Moi, je parle français, en fin de compte, je sors de chez moi et je parle tchèque, mais à la maison, j’ai mon monde qui est français. Je lis, écris, écoute les nouvelles en français. Sauf quand je sors, je dois parler tchèque, et au théâtre, c’est aussi en tchèque. »
Pendant plusieurs années, Chantal Poullain a tourné dans tous les pays du monde avec son ex-mari, Bolek Polívka. A l’époque, ils jonglaient entre l’italien, l’anglais, le français et le tchèque. C’est peut-être à cette période que remonte la fascination pour les mots que Chantal a pu pleinement développer lors de l’écriture de son livre « La vie sur la corde » (Život na laně), paru en 2012 :« Je viens d’écrire un livre, qui est en tchèque, et j’y parle beaucoup de la problématique des mots qui me fascine, mais surtout, c’est quelque chose que je sens en tchèque. Quand on écrivait ce livre, parce que je ne pouvais pas l’écrire moi-même, on a travaillé pendant quatre ans là-dessus, et je disais tout le temps ‘Non, non, je ne le dirais pas ça comme ça, dis-moi comment on pourrait le dire autrement ? Ah oui, c’est ça !’, et là, tout à coup, je saisis le mot. Même si je n’ai pas pu le trouver moi-même, je le reconnais. L’écriture a été très enrichissante, parce qu’au lieu de dire une idée en une phrase, comme si je l’écrivais en français, vous le dites en cinq ou six phrases et je pars dans les explications exactes de ce que je voulais exprimer, aussi parce que la personne avec laquelle j’ai écrit le livre ne parle pas du tout français. Je suis très satisfaite du résultat, parce qu’à la fin, le bouquin, ce sont mes mots, même si je ne les ai pas écrits moi-même. »
Comme elle le précise tout de suite, il ne s’agit pas d’une autobiographie linéaire qui raconte la vie de Chantal Poullain. C’est une série de réflexions sur la vie parsemées de souvenirs d’enfance, de petits messages personnels et de vérités fondamentales :
« Ce n’est pas un livre sur ma vie, même si bien sûr je raconte l’histoire de ma famille qui explique pourquoi je suis ici, mais il y a surtout des thèmes, comme l’émigration et qu’est-ce que ça représente d’être migrante, la maladie, parce que j’étais aussi très malade… J’ai inclu tout ce qui pourrait inspirer ou aider les gens. C’est le but du livre. Au départ, je ne voulais pas l’écrire, je ne voyais pas de sens, tout le monde connaît en effet ma vie, mais à partir du moment où je me suis basée sur le fait que ce livre pourrait aider quelqu’un ou l’inspirer, c’est comme ça que cela a démarré. »Les admirateurs de Chantal Poullain peuvent se réjouir. Non seulement elle a entamé en pleine forme la saison d’automne au Théâtre Ungelt, dont les spectacles se jouent comme d’habitude à guichet fermé, mais elle a également insinué qu’un second livre était en cours de préparation. Elle n’a toutefois pas voulu en dévoiler le contenu.