La comédienne Chantal Poullain décorée de la Légion d’honneur

Chantal Poullain

Comédienne et chanteuse, Chantal Poullain a quitté sa France natale en 1978 pour la Tchécoslovaquie où, aux côtés de son partenaire de vie de l’époque, le comédien et mime Bolek Polívka, elle a su conquérir le public, que ce soit sur les planches ou à l’écran. Mardi, la France lui a remis la Légion d’honneur, notamment, pour sa contribution aux relations culturelles franco-tchèques :

« C’était une grande surprise et un honneur d’avoir cette reconnaissance et de recevoir la Légion d’honneur, je suis sous le choc. Je suis honorée et ravie d’avoir reçu cette distinction, ça fait aussi plaisir à ma famille, à mon fils, à tous ceux qui m’entourent… C’est magnifique mais j’ai encore beaucoup de travail à faire, dans ma vie, pour encore plus la mériter. »

Vous avez partagé le destin des Tchécoslovaques, des Tchèques, dans les années les plus difficiles, celles de la normalisation, mais aussi des moments historiques. Que retirez-vous de cette expérience que ne peuvent connaître les Français qui vivaient au-delà, dans un pays libre ?

Chantal Poullain | Photo: Pavla Kopřivová,  ČRo

« Je pense que ça m’a appris énormément de choses : jamais je n’aurais pensé vivre ça. Cela m’a fait découvrir l’importance de certaines choses aussi : ce qu’est la liberté d’expression et le respect des choix qu’on fait dans la vie. J’ai même pensé à ma grand-mère de l’époque quand je faisais les queues pour trouver du citron par exemple : avant de vivre en Tchécoslovaquie, je pressais le citron et je le jetais, et puis j’ai appris, en pensant à ma grand-mère qui me donnait des leçons, qu’il faut économiser et savoir respecter chaque produit dont on peut manquer… Et quand on est jeune, on passe à côté de ce genre de choses. C’est vrai qu’ici j’ai appris beaucoup. J’ai eu des moments difficiles aussi, c’était un peu triste comme atmosphère, il ne faut pas oublier. J’ai dû apprendre à m’habiller de manière beaucoup moins visible, à rester en retrait pour pas être différente des autres, j’ai tout fait pour qu’on m’accepte. Et c’est vrai que ce n’était pas facile ! »

Mais les Tchèques vous l’ont quand même bien rendu, finalement.

« Les Tchèques me l’ont rendu à 100%, à 110% même. Ils m’ont acceptée, ils m’ont pris comme une des leurs. Bien sûr que les Tchèques m’ont adoptée, et ils acceptent même mon tchèque qui est à couper au couteau. Ils me donnent beaucoup de possibilités et c’est un honneur. J’aime beaucoup les Tchèques. »

L’ambassadeur de France rappelait toute la palette de votre travail, comédienne, chanteuse mais aussi engagé dans l’humanitaire. Parmi tout ce que vous faites, est-ce que tout est complémentaire ou il y a quelque chose que vous affectionnez plus qu’une autre ?

« Pour ce qui touche à ma profession, il faut que je sois tombée amoureuse d’un scénario. Que ce soit le cinéma, ou le théâtre. La chanson c’est très différent, c’est une façon d’être moi, dans une situation prévue, sans être un personnage. Avec la chanson française je suis moi-même. Je lance un message à travers mes chansons. Je parle beaucoup avec le public aussi, car ils ne parlent pas tous le français. Je leur explique donc pourquoi j’écris cette chanson, pourquoi j’ai choisi cette chanson et je raconte des histoires qui se sont passées dans ma vie. Il y a tout un programme mais je suis moi, je ne suis pas cachée derrière un personnage ou une situation. Ensuite, pour moi, la fondation Archa, c’était normal, ça fait partie de mon éducation. À partir du moment où vous avez la possibilité d’aider les autres, c’est évident qu’il faut le faire, ça nourrit. Quand on voit le plaisir ou les réactions des enfants qui réagissent différemment aux traitements médicaux parce qu’ils se sentent mieux, ça vous nourrit, ça vous donne de la force. »

L’ambassadeur de France à Prague,  Alexis Dutertre avec Chantal Poullain | Photo: Anna Kubišta,  Radio Prague Int.

L’ambassadeur de France à Prague, Alexis Dutertre, revient au micro de Radio Prague Int. sur les raisons qui l'ont conduit à distinguer la comédienne et chanteuse Chantal Poullain :

Alexis Dutertre,  Chantal Poullain,  Vladimír et Bolek Polívka | Photo: Anna Kubišta,  Radio Prague Int.

« C’est un parcours. La raison pour laquelle nous avons choisi de faire chevalier de la Légion d’honneur Chantal Poullain, c’est parce que c’est un parcours qui illustre un grand moment historique et plusieurs étapes dans la relation franco-tchèque. Elle est venue par amour en Tchécoslovaquie à l’époque de la normalisation, un choix inverse de celui de beaucoup de Tchécoslovaques. Elle a vécu plus de dix années en essayant de faire son métier d’artiste, de trouver des espaces, des interstices pour pouvoir créer. Elle amenait avec elle aussi une image d’ailleurs, une image de France qu’elle a partagée avec les Tchécoslovaques. Il y a aussi la reconnaissance artistique, avec le théâtre, en tchèque, la chanson aussi, le cinéma avec plus d’une quinzaine de films, dont avec des cinéastes de la Nouvelle vague tchécoslovaque. »

Chantal Poullain a également créé la Fondation Archa Chantal…

Photo: Nadace Archa Chantal

« C’est la troisième raison pour laquelle nous avons souhaité la distinguer : son engagement à l’égard des enfants malades, qu’on qualifierait d’humanitaire mais qui est aussi sociétal, humain. Avec Archa Chantal, créée en 1993, elle a choisi, parce qu’elle a fait elle-même l’expérience de la maladie, d’apporter de la joie, de la couleur à l’hôpital pour améliorer la condition des enfants malades hospitalisés. Un engagement de cette constance dans toutes les épreuves et les aventures qui ont marqué la Tchécoslovaquie puis la Tchéquie, un engagement artistique et un engagement humain : c’est une sacrée personnalité que les Tchèques aiment, connaissent, et qui incarne une réalité de la relation humaine entre la France et la République tchèque. Il n’y a pas que les sujets officiels. »

Vous rappeliez une anecdote de son parcours mais qui a son importance aussi pour ce lien franco-tchèque : il y a quelques années, elle a prêté sa voix à un personnage de dessin animé de la Télévision tchèque, la Dame blanche, afin d’apprendre aux plus petits le français…

« C’était un programme conjoint entre l’Institut français de Prague et la Télévision tchèque, en 2016-2017. Elle a été la voix de ‘bila pani’, la Dame blanche, pour un programme d’apprentissage du français à destination des plus jeunes. Et avec un succès fou ! Plus de 200 000 jeunes ont vu le programme et entendu la voix de Chantal Poullain à l’époque. »

Chantal Poullain est sans doute plus connue en Tchéquie en tant que française que l’inverse, mais peut-on dire qu’elle fait le pont entre la Tchéquie et la France d’une certaine façon ?

Photo: Anna Kubišta,  Radio Prague Int.

« C’est exactement cela. Son choix c’est celui de la Tchécoslovaquie, puis de la République. C’est donc normal qu’elle soit plus connue ici puisqu’elle a fait le choix de vivre ici et de s’engager dans ce pays. Mais elle est originaire de Marseille, rentre régulièrement en France… Ce lien humain existe. C’est engagement d’une Française ici, avec toute la sensibilité et l’attention aux autres. C’est ce qu’il faut retenir. Chantal Poullain sait ce qu’a été la normalisation, ce qu’est être un artiste dans un régime communiste totalitaire qui précisément muselait les artistes. En même temps, elle a vécu tous les changements liés à la révolution de Velours. Elle est finalement plus qu’un pont : c’est une illustration de ce qui fait des liens humains entre la France et la République tchèque. Cela fait partie de mérites éminents qu’il s’agit de reconnaître. La Légion d’honneur, fondée par Napoléon Bonaparte et avec le décret réécrit par le général De Gaulle, c’est bien pour reconnaître les mérites éminents. »