Chants polyphoniques marseillais au festival de world music Respect
Après plusieurs concerts depuis le mois de mai, le festival de « world music » Respect a bouclé son édition 2008 sur l’île de Štvanice avec des groupes venus des quatre continents. Parmi eux, le groupe marseillais Le cor de la plana a initié le public pragois aux chants polyphoniques. Rencontre avec Manu Théron, qui a vécu quelques années en Bulgarie, et qui raconte comment sont nés ces chants polyphoniques provençaux.
« Je m’appelle Manu Théron, je suis un chanteur du groupe Lo còr de la plana. Ça veut dire le cœur de la plaine. C’est un groupe d’hommes qui chantent, qui s’accompagnent au bendir, c’est-à-dire des percussions nord-africaines et au tamburello, c’est-à-dire des percussions italiennes. On chante du répertoire en patois marseillais, en provençal, en occitan, et on tourne depuis environ 3-4 ans dans toute l’Europe et maintenant, on va même traverser l’Atlantique et le Pacifique. »
-On connaît les chants polyphoniques corses mais on ne connaît pas forcement les chants polyphoniques marseillais. Comment vous est venue l’idée de faire ce genre de musique ?
« La polyphonie était une blague au départ, ce n’est pas du tout une tradition ni à Marseille ni en Occitanie. On avait beaucoup rigolé avec cette histoire de polyphonie corse parce que le côté un peu « curé » du chant corse et le côté un peu « fin de soirée qui a mal tourné » nous a fait délirer. En même temps, la beauté de ce chant nous faisait délirer aussi. Donc on avait envie aussi de reprendre un peu cette dénomination mais ce n’est pas du tout la même polyphonie. Ce qu’on appelle polyphonie en corse, c’est un fait musical mais c’est surtout un fait social et un fait politique, et un fait poétique. Chez nous, c’est plutôt un fait musical avant tout. »
-Est-ce que votre séjour en Bulgarie vous a inspiré pour faire des chants polyphoniques ?
« Ça m’a beaucoup inspiré, c’est sûr. Mais ça m’a beaucoup aidé. Ils ont trouvé des solutions ; comment mettre en polyphonie, sur cinq ou six voix parfois, des choses qui sont extrêmement difficiles à apprécier du point de vue monophonique, du point de vue de l’unisson. Ils sont complètement parvenus à mettre des gammes quasi orientales, extrêmement complexes, et à instaurer des modèles polyphoniques avec ces gammes. Et je pense qu’avec d’autres peuples des Balkans, ils sont parvenus à instaurer des modèles pour tous les gens en Europe qui s’intéressent à la polyphonie. »
-Vous avez fait un workshop à l’Institut français de Prague. En quoi cela consiste ? Est-ce que vous faites souvent cela quand vous vous déplacez à l’étranger ?
« A l’étranger ou en France, on organise des ateliers de travail sur des chants polyphoniques et sur de la mélodie, de la « monodie », c’est-à-dire l’apprentissage des échelles, des gammes occitanes. On a même un spectacle où on y intègre les ateliers, un spectacle de chants politiques marseillais du début du siècle qu’on va faire tourner dans toute la France en prenant des chants politiques de chaque région où on va tourner. »
-Vous avez dit chants politiques ?
« Oui, des chants politiques. C’est-à-dire des chants qui sont issus pour la plupart d’un répertoire politique marseillais qui a toujours eu cours mais qui s’est très développé à la fin du XIXème siècle jusqu’à aujourd’hui. Ce sont des chants qui sont en général très contestataires et assez crus comme le parler marseillais et qui décrivent de façon assez aiguë des situations sociales et qui proposent des remèdes radicaux. On a découvert qu’il y a ces chants-là dans toutes les régions de France et qu’il faut les rechercher, les pratiquer et que l’on peut redonner vie comme cela non pas à une fierté mais à une histoire sociale et vraiment faire concevoir à des gens qui peut-être l’avaient oublié ou peut-être l’ignoraient totalement que les problèmes ont une histoire, que notre société a une histoire et qu’il faut être conscient de cette histoire. Et plus le peuple est conscient de son histoire, plus il a des chances d’être réellement libre. »