Christophe Donner: «En écrivant pour les enfants je me rattrape de tout le mal que je fais aux adultes.»
Parmi les personnalités invitées au salon «Le monde du livre» il y a eu l’écrivain et cinéaste français Christophe Donner. Cet auteur qui explore souvent dans ses oeuvres les situations de sa propre vie, et qui ne recule pas devant les sujets tabous, a consacré aussi une grande partie de sa création à la littérature pour la jeunesse. Il a présenté à Prague, entre autres, la traduction tchèque d’un de ses derniers ouvrages «Un roi sans lendemain», roman sur la vie de Louis XVII, enfant-roi sacrifié sur l’autel de la Révolution française. C’est de ce roman, mais aussi d’autres thèmes qu’il a été question dans un entretien que Christophe Donner a accordé à Radio Prague et dont voici la première partie :
Que vous est-il passé par la tête quand vous avez reçu l’invitation de venir à Prague. Est-ce que les mots Prague, Tchéquie vous disent quelque chose ? Evoquent-ils quelque chose pour vous, par exemple des idées, des souvenirs, des réminiscences?
«Je suis déjà venu à Prague à l’occasion d’un voyage assez étrange, organisé il y a vingt ans par le syndicat d’étudiants français, juste après ‘la révolution’ de 1989, la vôtre. Et ces étudiants, l’UNEF (c’est le nom du syndicat des étudiants) ont organisé un train depuis Paris qui traversait toutes les contrées fraîchement libérées et qui était chargé de prêcher la bonne parole des vieux libérés français aux étudiants d’Allemagne de l’Est, de Roumanie etc., à Prague, Bucarest et dans une dizaine de villes importantes. J’ai donc passé, je crois, 24 heures à Prague à cette occasion-là. Et j’ai fait un livre qui s’appelle ‘L’Europe mordue par un chien’. Il y a un épisode qui se passe à Prague mais d’une manière assez folklorique, parce que trois cents étudiants qui rencontrent un millier d’étudiants pragois ça avait quelque chose de folklorique. C’était assez amusant à vivre, non pas comme un étudiant, mais comme un écrivain avec un regard critique.»
Vous avez la réputation d’un homme intransigeant qui sait défendre passionnément ses opinions et provoquer la polémique. Ce portrait rudimentaire correspond-t-il à la réalité?
«Malheureusement je crois que oui. C’est plus fort que moi, effectivement. Il faut que je râle, mais ce n’est pas que je râle tellement. Je suis obsédé, tracassé par un sens de la vérité, un sens de la justice qui me fatigue et me met dans des situations périlleuses. J’arrive à en faire commerce. Heureusement, grâce au commerce j’arrive à rester social. C’est un problème pas tellement sur le plan des opinions politiques, parce que je crois qu’aujourd’hui en France il n’y plus d’opinions politiques qui soient vraiment dangereuses si ce n’est les opinions vraiment odieuses du genre antisémite ou raciste. C’est des choses qui ne me concernent pas tellement, je crois, donc je suis un peu à l’abri de ça. Sinon je ne vois pas trop les opinions qui sont dangereuses, non. C’est plutôt au niveau de l’intimité que c’est pénible. Je rencontre des gens, je vois les gens dans leurs situations sociales et familiales et comme je suis écrivain, je raconte, j’écris ce que je vois, comment je les vois et c’est ça qui fait les problèmes. Je ne suis pas le seul écrivain dans ce cas là, évidemment, mais j’ai la fâcheuse habitude de mettre les gens en cause comme ça et, curieusement, ça déclanche des choses pénibles. Voilà. »
Vous partagez votre création entre les oeuvres pour enfants et les oeuvres pour adultes. Pourquoi écrivez-vous tellement pour les enfants ? Que voulez-vous leur dire ?
«Au départ c’était une éditrice, Geneviève Brissac, qui m’avait commandé des livres pour enfants au vu de ce que j’écrivais pour les adultes. Parce que c’est vrai que j’ai commencé à écrire sur mon enfance. Elle avait trouvé qu’il y avait quelque chose d’intéressant (j’ai commencé assez jeune) dans la manière dont je parlais des enfants. Et donc elle m’a fait écrire des livres pour enfants, des contes, qui me sont très agréables à écrire bien que j’en écrive moins maintenant. Ils me sont agréables pour contrebalancer justement ce côté cruel, intransigeant, vindicatif, ce côté autobiographique, à l’os, si on peut dire, c’est à dire une véracité cruelle. Et avec le récit pour enfants je faisais plus attention à mon lecteur. Quand j’écris pour les enfants, je prend des précautions que je ne prends pas quand j’écris pour les adultes que j’estime assez solides (j’ai tord d’ailleurs) pour recevoir les écrits que je leur envoie à la figure. Mes contes pour les enfants sont beaucoup plus moraux, très moraux, je me rattrape un peu de tout le mal que je fais aux adultes.»
Est-ce que vos livres pourraient intéresser aussi les enfants tchèques ? Ou ce sont des ouvrages trop liés avec les réalités françaises ?«Mes livres pour enfants sont traduits en beaucoup de langues et je pense qu’ils sont traduits aussi en tchèque, mais je ne peux pas vous le confirmer. C’est des livres absolument universels, j’espère. En tous cas dans beaucoup de pays il n’y a pas ce problème. Dans ces livres il n’y a que quelques références aux réalités françaises de temps en temps. Comme ce sont des contes moraux, ils ont effectivement une valeur universelle. Ils sont faits pour ça.»
Vous êtes venu pour présenter votre livre «Un roi sans lendemain ». C’est un roman sur un enfant, mais qui est écrit pour les adultes. Qu’est-ce qui a été le plus important pour vous lorsque vous avez décidé d’écrire un livre sur Louis XVII, le sort d’un enfant ou le sort d’un roi?
«C’est l’enfant, le roi et la révolution. C’est la conjonction de trois obsessions. La place de l’enfant dans la famille, la souffrance d’être au milieu des adultes, de ne pas comprendre, de ne pas pouvoir agir sur les choses, c’est une de mes obsessions quand j’écris mes livres pour enfants. Et la révolution s’est aussi tout ce qui a bercé mon enfance comme un mythe, je dirais, un mythe fondateur de ma famille de communistes français. Donc la Révolution française, c’est d’aller aux sources, d’essayer de comprendre ce qui s’est passé. Pourquoi encore aujourd’hui la révolution est une chose vécue d’une manière si merveilleuse par pas mal de gens qui n’en font pas d’ailleurs, qui restent dans leurs universités et dans leurs livres. C’est là aussi que c’est le plus agréable pour la faire. Et il se trouve que je suis tombé sur ce roi, sur cet enfant qui est roi, et qui est la victime la plus emblématique de la Révolution française, au sens où il est innocent parce que c’est un enfant. Il est assassiné de la manière la plus hypocrite qui soit et qui est assez symptomatique de cette question des intellectuels révolutionnaires : Est-ce que la fin en vaut les moyens? Est-ce qu’au nom de la Révolution on peut tuer un enfant ? C’est la question centrale parce qu’elle se répercute dans chacune des actions.»
(La seconde partie de cet entretien sera présentée dans la prochaine rubrique Rencontre littéraire.)