Cinéma : entre nazisme et communisme, les heures de gloire du basket tchécoslovaque à l’écran

Photo: Falcon

Les films de sport tchèques sont rares, et même très rares. En attendant celui, très attendu, consacré au légendaire coureur à pied Emil Zátopek, dont le début du tournage est annoncé pour le printemps prochain, « Zlatý podraz » (« The Golden Betrayal » en anglais, littéralement « La Trahison d’or » en français), un drame relatant l’histoire de l’équipe de Tchécoslovaquie de basket-ball première championne d’Europe de l’après-guerre en 1946, est à voir dans les salles tchèques depuis quelque semaines. Le film propose aussi une plongée dans l’histoire sombre de la Tchécoslovaquie à l’époque du Protectorat de Bohême-Moravie et de l’installation au pouvoir du régime communiste.

Photo: Falcon
Déjà qualifiée depuis ses victoires contre la Russie et la Bosnie-Herzégovine en septembre dernier, l’équipe de République tchèque de basket, qui recevra la France ce vendredi à Pardubice (Bohême de l’Est) dans le cadre de la suite des éliminatoires à la Coupe du monde, participera à celle-ci l’année prochaine pour la première fois depuis trente-sept ans. En Chine, lieu de la phase finale, la Reprezentace fera ainsi partie des douze équipes qui représenteront le continent européen, ce qui, compte tenu de ses moyens moyens limités et du faible intérêt porté au basket par les médias et le public, constitue déjà un exploit en soi.

Cette qualification pour le Mondial permettra aussi de replacer la République tchèque sur la carte du basket international. Car depuis la dernière médaille d’argent décrochée par la Tchécoslovaquie en 1985, elle ne compte indéniablement plus parmi les nations fortes du basket européen. Un rapide coup d’œil au palmarès du championnat d’Europe nous indique pourtant que la Tchécoslovaquie, avec un total de douze podiums depuis la tenue du premier Euro en 1935 à Genève, a longtemps fait partie de l’élite sur le Vieux continent. Les années qui ont suivi la fin de la Deuxième Guerre mondiale constituent assurément la période la plus glorieuse du basket tchèque et tchécoslovaque. Et c’est notamment à cet immédiat après-guerre, marqué par la prise du pouvoir du régime communiste en 1948, que s’intéresse le film de Radim Špaček, sorti dans les salles le 25 octobre dernier :

« C’est l’histoire de la première génération de joueurs qui ont composé l’équipe nationale tchécoslovaque de basket. C’étaient tous de jeunes hommes d’une vingtaine d’années pleins d’enthousiasme qui avaient commencé à jouer avant la guerre. Puis le pays a été envahi, il n’a plus été possible de jouer sous le Protectorat et leur entraîneur a été tué par les nazis. C’est l’histoire d’une équipe qui a été sacrée championne d’Europe à la surprise générale en 1946 à Genève. Ils sont revenus au pays comme des héros et remplis d’espoir en l’avenir jusqu’au coup d’Etat en février 1948. »

« Zlatý podraz » est donc inspiré d’une histoire vraie : l’histoire des premiers et derniers champions d’Europe tchécoslovaques de l’histoire. A l’époque, ceux-ci, dont le film montre qu’ils logeaient alors dans un bordel de Genève tenu par l’actrice française bien connu du grand public tchèque Chantal Poullain, avaient d’abord disposé de la Suisse et de la Belgique dans leurs deux matchs de groupe, avant de dominer la Hongrie en demi-finale puis l’Italie en finale. Les scores du tournoi (victoires 42 à 28 contre la Hongrie et 34 à 32 contre l’Italie) donnent une idée de ce qu’était le basket à l’époque, une tout autre discipline que ce qu’il est devenu. C’est une des raisons pour laquelle le réalisateur Radim Špaček n’a pas eu besoin de faire appel à des acteurs de grand gabarit pour son tournage :

Radim Špaček,  photo: Jana Přinosilová,  ČRo
« On n’a pas choisi les acteurs en fonction de leur taille. Par contre, oui, un des critères du casting était qu’ils soient un minimum sportifs. Les dix acteurs finalement retenus ont eu six mois pour s’entraîner et acquérir les bases du basket avant le tournage des scènes sportives. Celles-ci étaient bien entendu répétées, on ne leur a pas demandé d’improviser. C’était une sorte de chorégraphie. La taille n’était pas un critère de sélection aussi parce que les joueurs de basket étaient des gens avec des gabarits normaux autrefois. Ils étaient beaucoup moins grands qu’aujourd’hui, où la plupart sont des géants. C’étaient de purs amateurs qui jouaient d’abord pour le plaisir. L’essentiel donc était le talent des acteurs, car les scènes de sport ne sont pas non plus très nombreuses. Ce que je voulais surtout, c’est que tout semble naturel. »

Car c’est bien là, dès lors qu’il ne s’agit plus de documentaires, toute la complexité des films de sport. A quelques rares exceptions comme la boxe, dont le 7e art a tiré plusieurs merveilles, les disciplines à bien se prêter aux codes et processus du cinéma ne sont pas nombreuses.

Heureusement, comme dans le cas de « Sur la ligne » d’Andrea Sedláčková, film qui traite du dopage organisé par l’Etat dans la Tchécoslovaquie communiste dans les années 1980 et a permis au public de découvrir les méandres d’un vaste système non seulement sportif et médical, mais aussi politique et idéologique (cf. : www.radio.cz/fr/rubrique/sport/dopage-tous-les-sportifs-tchecoslovaques-avaient-des-cheveux-boucles et www.radio.cz/fr/rubrique/sport/andrea-sedlackova-dans-mon-film-le-dopage-est-un-pretexte-pour-evoquer-la-cruaute-du-regime-communiste), « Zlatý podraz » se veut aussi être un film d’histoire et un drame romantique. Ce dernier aspect peut d’ailleurs décevoir les amateurs tant de sport que d’histoire, même si Radim Špaček affirme que c’est ce que lui a voulu :

« Il y a beaucoup de relations les plus diverses, une histoire d’amour inachevée et aussi beaucoup de politique et, c’est vrai, un peu moins de sport. Je dirais que c’est un film d’amour, d’amour du basket et d’espoir. »

Photo: Falcon
Produit pour le centenaire de la fondation de l’Etat tchécoslovaque, le film emmène les spectateurs jusqu’au championnat d’Europe à Paris en 1951, période de grande terreur politique en Tchécoslovaquie avec l’installation du régime stalinien. Battue – comme par hasard - d’un petit point par l’Union soviétique en finale, comme elle le sera encore par le même adversaire en 1959, 1967 et 1985, l’équipe tchécoslovaque dont on suit les aventures, véritable bande de copains littéralement à la vie, à la mort, y décroche une dernière médaille d’argent. Une médaille d’argent qui aurait d’ailleurs dû être d’or si l’adversaire en finale avait été autre que l’URSS et si l’entraîneur tchèque n’avait pas trahi – d’où le titre du film - ses propres joueurs en toute fin de match… Mais ce n’est déjà là presque plus qu’un détail, tant la grande Histoire, douloureuse pour les héros basketteurs, avait alors déjà pris le dessus sur l’histoire sportive forcément plus anecdotique…