Cinéma : Nicole Garcia présente « Mal de Pierres » à Prague
Nicole Garcia, c’est une carrière d’actrice riche de multiples rôles auprès des plus grands, d’Alain Resnais dans « Mon Oncle d’Amérique », de Claude Lelouch dans « Les Uns et les Autres », ou bien encore de Bertrand Blier dans « Beau-père ». C’est aussi une réalisatrice qui a fait ses preuves et qui le prouve avec son dernier long-métrage « Mal de pierres », sélectionné à Cannes bien sûr, mais aussi présenté en avant-première en Tchéquie dans le cadre du Festival du film français, dont la 19e édition s’est malheureusement achevée voici quelques jours. Pour Radio Prague, Nicole Garcia parle de la capitale tchèque, où elle a déjà tourné, mais surtout de son film, qui met aux avant-postes une Marion Cotillard taillée pour le rôle dans cette œuvre adaptée d’un roman de l’Italien Milena Agus.
Ce personnage principal, Gabrielle, qui est joué par Marion Cotillard, de quoi souffre-t-il exactement ? Est-ce simplement ce « mal de pierres » ?
« Le mal de pierres, on peut l’interpréter comme cela avec quelques clefs de la psychanalyse ou bien de la psychologie, mais elle a bel et bien une maladie physiologique qu’on appelle mal de pierres de manière littéraire. Maintenant on dirait qu’elle a des calculs rénaux, des pierres dans les reins, qui maintenant se soignent très bien avec des lasers. Mais à l’époque, il fallait partir en cure, boire beaucoup d’eau et encore c’était des guérisons beaucoup plus complexes, difficiles. Mais c’est vrai que c’est comme un symptôme. D’abord, c’est quand on veut la contraindre que les crises arrivent. Quand sa mère l’emmène chez un psychiatre le matin de ses noces. Quand elle fait une fausse couche à cause de cela. De toute façon elle ne veut pas d’enfant de cet homme que sa mère lui a imposé. Donc elle va partir soigner cette maladie de la pierre dans cette cure en Suisse, et c’est là qu’elle va rencontrer ce jeune lieutenant qui rentre blessé d’Indochine. Ils vont se rencontrer sur leurs blessures communes. Après pourquoi elle demande si fort cet amour, cette espèce d’hubris qui la fait se jeter à la tête d’un instituteur ? Quel est le manque ? »Marion Cotillard est impressionnante dans ce rôle de Gabrielle. Comment la dirige-t-on ? Comme cela se passe sur le plateau de tournage ?
« Comme toutes les autres actrices. Quand elle est actrice Marion, elle est vraiment actrice : elle est là à l’heure, elle sait son texte, elle est très engagée dans le rôle, elle y a pensé. Je pense qu’on a très bien travaillé ensemble parce que je pense qu’elle n’a jamais été aussi bien. Je la trouvais très belle dans le film d’Audiard, ‘De rouille et d’os’ et dans ‘La Môme’... »
Qui a été tourné à Prague d’ailleurs…
« Oui, bah voilà, je trouve qu’elle aurait dû venir avec moi célébrer Prague parce qu’elle était vraiment extraordinaire dans ce film. Dans ‘Mal de pierres’, je la trouve étonnante. Elle emporte le film. On la suit pas à pas, on comprend son chemin et pourtant on la voit dans sa désespérance, dans sa passion, dans sa joie. On la suit et ça c’est le fait de la très grande actrice qu’elle est. Elle m’a accordé une grande confiance, même au-delà. C’est comme une sorte d’abandon, elle n’a jamais joué avec son corps comme elle joue dans ce film. Moi qui ai passé de longs mois, et au tournage, et au montage avec elle, je l’ai beaucoup aimée pendant le film, je l’ai beaucoup regardée. C’est aussi cela les clefs d’une performance pour une actrice. Il faut être trois, il y a le caractère du personnage, ce qui est écrit, il y a le metteur en scène et l’actrice. C’est de ce triumvirat, de ce trio-là, que naît un grand personnage de cinéma. »Il y a un autre trio dans le film, celui entre Gabrielle et les deux hommes de sa vie. Comment avez-vous organisez ce casting masculin autour du personnage de Gabrielle ?
« On la marie de force avec cet homme qui a fui la guerre d’Espagne, un réfugié politique, qui se loue dans les saisons, dans les vendanges parfois ; là c’est la récolte de la lavande. Il est très taiseux, il est maçon à la Ciotat, il est le contraire de ce qu’elle attend d’un homme. En dehors de la sensualité et de la sexualité qu’elle appelle très fort de ses vœux, elle attend qu’il lui dise le monde, qu’il lui apprenne. Elle attend des hommes qui ont une culture plus grande que la sienne. Elle est tombée amoureuse d’un instituteur parce qu’il lui donne ‘Les Hauts de Hurlevent’. Elle croit que c’est un message d’amour. Et quand elle rencontre Louis Garrel, il lit, il lui donne un livre : ‘Propos sur le bonheur’ d’Alain. Ils sont à l’opposé et pourtant l’histoire va montrer que celui qu’elle ne regarde pas va lui prouver un amour inconditionnel, sans révéler le secret du film. »Dans ce film, il y a aussi un arrière-plan historique, l’Espagne de Franco, la guerre d’Espagne qui se passe vingt ans avant ces années 1950, la guerre d’Indochine, le sortir de la Seconde Guerre mondiale. Avez-vous une certaine affinité par rapport à cette période ?
« Je ne l’ai pas vraiment connue. Mais c’est vrai que Gabrielle fait peur à tout le monde sauf à ces deux hommes-là. Elle ne leur fait pas peur – c’est une femme un jour qui l’a dit dans un débat et je trouve cela très juste -, parce qu’ils ont connu la guerre. Donc ils ont connu la mort et effectivement ils n’ont pas peur d’elle, là où ses excès, ses déboires font peur à tous les autres. C’est un roman italien et je trouve que j’ai mis tellement de moi dans ce roman italien : je n’en reviens pas ! Il y a comme des emblèmes de moi, des petits drapeaux que je pourrais mettre, liés à ma propre histoire, dans tous les coins du film. C’est vrai que quand j’étais enfant, il y avait la guerre d’Indochine, j’avais un parrain qui était engagé dans cette guerre. Après on fait ce personnage qui rentre de la guerre d’Indochine. Il y a l’Espagne : comme mon nom l’indique, je suis d’origine espagnole par mon père. Je connais mal l’Espagne, je ne parle pas l’espagnol, parce que, pendant l’adolescence, rien que pour faire le contraire, j’ai appris l’allemand en seconde langue. Mais après il vous revient comme un boomerang des regrets de ne pas avoir honoré ses parents et c’est pour cela que j’ai fait de cet homme un Espagnol, et que la fin du film se passe là-bas, en Andalousie. »Vous êtes actrice et depuis maintenant longtemps également réalisatrice. Qu’avez-vous appris en tant qu’actrice que vous avez ensuite mobilisé dans la réalisation ?
« Inconsciemment, bien sûr j’étais très bercée par des choses en étant qu’actrice. Mais j’étais tellement loin à ce moment-là de faire de la mise en scène, c’est venu de manière tellement… par un autre côté… Je ne pense pas m’être inspirée ou avoir eu un désir pendant que j’étais actrice… Peut-être la rencontre avec Alain Resnais dans ‘Mon Oncle d’Amérique, je l’ai fait en 1980-1981, a été quelque chose pour moi de très fondateur. Peut-être que c’était à la source de mon désir de mise en scène. D’ailleurs quatre ans plus tard je faisais un court-métrage… J’étais complètement fascinée par Alain Resnais. Est-ce sa place de maître ? Peut-être aurais-je pu devenir sa muse ? Mais comme après il a choisi d’autres muses que moi... Comme je n’étais pas sa muse, je me suis dit que j’allais faire comme lui. Je crois que c’est un peu ça. »Et « Mon oncle d’Amérique » est un film un peu particulier dans son déroulement…
« Oui, c’était d’après les travaux d’Henri Laborit où sont comparés les comportements des mammifères, enfin des animaux, des souris. A quel point nos comportements d’être humain de leurs réactions… Il y avait donc comme cela Roger Pierre, Gérard Depardieu et moi qui jouions et on voyait que nous n’étions pas très loin de ces comportements. C’était très intéressant mais je crois que pendant ce tournage, je regardais Resnais, j’étais tellement impressionnée par lui ! D’ailleurs trop parce que j’aurais pu vivre de manière plus tranquille ce tournage… »Et puis jouer avec Gérard Depardieu est peut-être aussi déstabilisant ?
« Oui, il était un peu déstabilisant Gérard à l’époque, il n’était pas très aidant. Il aimait bien… Il est devenu plus tranquille maintenant.... Mais à l’époque il aimait bien déstabilisé. Mais c’était surtout Resnais, je n’avais pas trop de scènes avec Gérard. C’était Resnais surtout qui m’impressionnait. C’était un maître. En fait, j’ai voulu être comme lui : un maître. »
En tant qu’actrice vous êtes aussi venue à Prague. Avez-vous des souvenirs de ce tournage en République tchèque ou bien en Tchécoslovaquie ?
« Je crois bien que c’était en République tchèque, c’était pendant un été. Il faisait moins froid que maintenant. Cette ville m’a plu, tout le quartier juif, cette synagogue, le cimetière, la grande place, le nom de Kafka, le pont Charles… Mais c’était il y a longtemps, c’était il y a peut-être une vingtaine d’années. La ville avait été protégée. Je pense que demain je vais peut-être être étonnée par la vague des touristes – on m’a prévenu de cela -, qui peut-être rend la ville moins secrète que ce que j’avais trouvé. »
"Mal De Pierre" est sorti sur les écrans tchèques depuis le début du mois de décembre.